Fronde de la police : l'administration peut-elle refuser des arrêts-maladies de policiers ?

Un arrêt du Conseil d'Etat d'avril 2023 considère que l'administration peut rejeter des arrêts-maladies lorsqu'ils sont établis massivement et de manière inhabituelle dans le cadre d'un mouvement social, alors que les agents ne disposent pas du droit de grève.
Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
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Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, avec le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez (au centre), et le directeur de la police nationale, Frédéric Veaux, le 27 juillet 2023 à Paris. (BERTRAND GUAY / AFP)

Les autorités haussent le ton face à la fronde des policiers. La direction générale de la police nationale (DGPN) et le préfet de Paris ont annoncé, vendredi 4 août, que certains arrêts-maladies de policiers pourraient être refusés afin d'assurer la "continuité du service public de la sécurité". Frédéric Veaux, patron de la police nationale, et Laurent Nuñez, préfet de police Paris, jugent, dans deux notes internes que franceinfo a pu consulter, que "la réception d'un nombre important et inhabituel d'arrêts de travail sur une courte période dans certains services territoriaux de la police nationale nuit gravement à leur fonctionnement normal".

Cette décision a été prise après que des agents se sont mis en arrêt pour protester contre le placement en détention provisoire, le 21 juillet, d'un fonctionnaire de la BAC de Marseille (Bouches-du-Rhône), soupçonné de "violences aggravées" contre un jeune homme, Hedi. Cette fronde pourrait s'assimiler à une grève, alors même que les fonctionnaires de police n'ont pas le droit de faire grève.

"Circonstances particulières"

L'administration peut-elle légalement refuser des arrêts-maladies de policiers ? "Juridiquement, oui, avance Johan Zenou, avocat expert en droit du travail à Paris, à franceinfo. L'institution se base sur une décision du Conseil d'Etat qui date du 21 avril 2023 et qui fait jurisprudence."

Dans une affaire concernant des agents pénitentiaires qui avaient eu recours à des arrêts-maladies à Beauvais (Oise) pour prendre part à un mouvement social, la plus haute juridiction administrative avait admis que "dans des circonstances particulières", les arrêts-maladies peuvent être refusés aux agents lorsqu'un mouvement social de grande ampleur se traduit, dans une administration où la grève est interdite, par la réception sur une courte période d'un nombre inhabituel d'arrêts de maladie rendant impossibles les contre-visites, prévues par l'article 25 du décret de 1986.

Selon le Conseil d'Etat, "l'administration est fondée, dès lors qu'elle établit que ces conditions sont remplies, à refuser d'accorder des congés de maladie aux agents du même service, établissement ou administration lui ayant adressé un arrêt de travail au cours de cette période".

Les policiers pourront saisir le Conseil médical

"Même si ce ne sont pas les mêmes corps de métier, la décision de la police répond à la même logique", analyse Johan Zenou. Selon lui, "le Conseil d'Etat veut dire que lorsqu'il y a beaucoup d'arrêts-maladies sur une courte période, et que ces derniers mettent en difficulté la mission de service public, l'administration peut les rejeter". L'avocat rappelle que cette décision s'inscrit dans "des circonstances particulières", puisqu'en temps normal, un employeur ne peut s'opposer à un arrêt-maladie, "même chez les policiers".

Selon les deux notes internes de Frédéric Veaux et Laurent Nuñez, les policiers seront informés de l'éventuel refus de leur demande et ils pourront "établir la réalité du motif médical ayant justifié leur absence ou saisir le Conseil médical compétent." 

Enfin, la question de la rémunération se pose. L'administration a évoqué la possibilité de procéder à des retenues sur salaires. "Si l'arrêt-maladie est rejeté [et que le policier est absent], cela sera considéré comme une absence injustifiée, avec la possibilité d'une retenue de salaire, mais seulement dans le cas où l'arrêt est injustifié", précise Johan Zenou. "Le combat va être difficile, parce qu'il est administratif et juridique", a concédé sur franceinfo Bruno Bartocetti, secrétaire national du syndicat Unité SGP-FO Police, qui juge cette décision "dure".

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