Polémique autour d'une adoption homosexuelle refusée dans le Jura
“Parce que le Conseil général croit aux valeurs de la famille, il s’engage aux côtés des jeunes parents.” Signé Jean Raquin, président du conseil général du Jura.
_ Cette petite phrase sur la page d'accueil du site internet du département du Jura reste en travers de la gorge d'Emmanuelle B. et de Laurence R., âgées de 48 et 47 ans. Vivant en couple depuis 1990, elles souhaitent avoir un enfant. Il y a dix ans, Emmanuelle B. a donc déposé une demande d'agrément, en tant que célibataire, puisque la loi n'autorise l'adoption qu'aux célibataires et aux couples mariés.
Premier refus : la France condamnée par la CEDH
Mais à l'issue d'un long parcours judiciaire, elles se heurtent à un refus renouvelé du conseil général, qui délivre les agréments à l'adoption.
Emmanuelle et Laurence croyaient pourtant avoir eu gain de cause après un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui s'est penchée sur leur affaire.
Leur première demande d'agrément, déposée en 1998, a été rejetée, sous le précédent président du conseil général, au motif notamment de l'homosexualité de la requérante. Après avoir épuisé les recours internes, le couple se tourne vers la Cour européenne, en 2002. Six ans plus tard, l'arrêt tombe : le 22 janvier 2008, la Cour condamne la France. La décision est jugée discriminatoire, car fondée sur l'homosexualité.
Second refus après un entretien
Emmanuelle B. dépose donc un second dossier. Le couple est vu par les services sociaux concernés et un psychologue agréé par le département. Les conclusions des rapports sont très favorables.
_ Mais surprise, après avoir passé une audition d'une quinzaine de minutes devant la commission départementale d'agrément, elles voient leur demande une nouvelle fois rejetée.
Le courrier explique que la compagne d'Emmanuelle B., Laurence R., n'est pas suffisamment impliquée dans le projet et que les deux femmes sont en désaccord sur l'âge de l'enfant à adopter.
“Motifs totalement fallacieux”, dénonce Caroline Mécary, l'avocate d'Emmanuelle B. qui souligne les conclusions contraires des rapports sur ces deux points. Et de dénoncer l'intervention du nouveau président du conseil général, Jean Raquin, élu depuis mars 2008.
Lequel se défend d'être intervenu dans le dossier : “Les rapports sociaux et psychologiques donnent un avis favorable. La commission a pris une décision inverse de ces deux rapports”, admet Laurent Bourguignat, directeur de cabinet de Jean Raquin. “ C'est à l'issue de l'entretien qu'elle a émis un avis défavorable et le président l'a suivi”. Selon lui, les deux femmes auraient étalé leurs désaccords sur l'âge de l'enfant à adopter devant la commission, d'où l'impression défavorable de l'instance.
Longues procédures judiciaires en perspective
Version contestée par les deux femmes, qui soulignent qu'elles sont venues toutes les deux à la commission d'agrément, alors que ce n'est pas obligatoire. “Quand on a des doutes sur une candidature, on ne prend pas une décision de refus. Ce n'est pas comme ça que ça se passe habituellement. on demande un complément d'investigation, avec de nouveaux avis. Des assistants sociaux ou un psychologue réinterrogent les personnes”, s'indigne Me Caroline Mécary, qui dénonce un procédé “pernicieux”.
La justice devra une nouvelle fois trancher la question. Le tribunal administratif de Besançon sera saisi, ainsi que la Haute autorité de lutte contre les discriminations, le comité des ministres en charge de l'application des arrêts de la Cour européenne et le commissaire aux droits de l'Homme. Des procédures qui risquent de prendre encore beaucoup de temps.
Grégoire Lecalot
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