Au procès des parents du petit Bastien, les travailleurs sociaux se disent aussi "victimes"
Le petit garçon était suivi par les services sociaux de Seine-et-Marne. La directrice de ces services a tenté d'apporter des réponses. Puis le travailleur social qui le suivait a défendu son "boulot", avec une voix hachée par l'émotion.
Bastien, 3 ans et demi, est mort dans un lave-linge le 25 novembre 2011. Son père est accusé de l'avoir introduit dans l'appareil, puis d'avoir actionné le bouton. Il est jugé devant la cour d'assises de Seine-et-Marne pour meurtre aggravé, la mère pour complicité de meurtre. La famille vivait dans un appartement insalubre et exigu, dans un immeuble de Germiny-l'Evêque, un gros village en banlieue de Meaux. Entre décembre 2009 et juillet 2011, quatre informations préoccupantes sur la situation des enfants ont été effectuées, sans pouvoir éviter le drame.
Pourquoi les services sociaux n'ont-ils rien vu ? Ce n'est pas leur procès : ils ne sont pas renvoyés devant la justice mais entendus à titre de témoins. Christine Boubet, qui dirige les services sociaux de Seine-et-Marne depuis 2009, tente d'apporter des réponses, mercredi 9 septembre, au deuxième jour d'audience. Cette femme de 59 ans, mince et à la peau mate, s'avance à la barre. Ses cheveux courts rouges tranchent avec sa veste vert gazon.
"C'est une famille comme on en connaît beaucoup"
"Merci de bien vouloir m'entendre", commence-t-elle d'une voix claire mais chevrotante. Avec son jargon administratif qu'elle tente de simplifier, elle expose la mission des services sociaux au sein des conseils départementaux. Divise son récit en points et sous-points. Rappelle que l'enquête de voisinage ne relève pas des services sociaux. Et en vient à la famille Champenois-Cotte. "C'est une famille comme on en connaît beaucoup : précaire, avec un logement insalubre." En Seine-et-Marne, les services sociaux suivent environ 5 000 enfants par an. "On propose des actions concrètes : intervention d'une travailleuse sociale pour apprendre à nourrir les enfants, les laver et faire le ménage."
"Entre un atelier de maquillage et de coiffure proposé à madame Cotte et des signaux d'alerte, n'y a-t-il pas un décalage choquant ?" l'interpelle Rodolphe Costantino, avocat de l'association Enfance et partage, partie civile. "Nous avons la nécessité de faire exister les personnes pour qu'elles puissent laisser exister leurs enfants. Je pense que madame Cotte s'est éteinte doucement dans sa capacité d'autonomie et son rôle de mère. Donc ça peut paraître dérisoire, mais je ne pense pas que ça le soit. Et puis, dans le même temps, on a acheté des lits pour les enfants, on a fait les courses au marché avec madame Cotte", répond Christine Boubet.
"Cette maltraitance, elle ne se voyait pas"
L'avocat de Charlène Cotte enfonce le clou. "Est-ce que vous n'êtes pas venue, de façon subreptice, nous dire, ici, 'c'est pas notre faute' ?" interroge Me Gérard Zbili d'un ton accusateur. Christine Boubet tente de garder son sang-froid, mais hausse la voix. "Le département et les professionnels ne sont pas responsables de l'acte qui a conduit le petit Bastien à la mort. Nous ne sommes pas acteurs de cet acte." Elle rappelle que le département a finalement décidé de se constituer partie civile dans ce procès. Il est représenté par une avocate, Corinne Asfaux. "Il est atteint dans l'exercice de ses compétences, il est victime", insiste Christine Boubet.
A la suspension d'audience, la directrice des services sociaux poursuit : "Les professionnels ne seront jamais tout-puissants. Ils ne vivent pas 24 heures sur 24 avec les familles. Ce n'est pas possible." "Cette maltraitance, elle ne se voyait pas", ajoute-t-elle. Un même médecin a vu la sœur aînée de Bastien 43 fois, le petit garçon, 23. "Objectivement, il n'y avait pas de marques", martèle-t-elle. Elle estime que dans les semaines qui ont précédé la mort du petit Bastien, les services sociaux ont été "trompés" et "abusés" par le couple Champenois-Cotte.
"Bastien était un petit garçon très dynamique, joyeux"
"Je n'ai pas repéré de signe de maltraitance sur les enfants", témoigne aussi l'assistant socio-éducatif, qui souhaite rester anonyme. Il a repris le suivi social de la famille en février 2011 et l'a rencontrée dix fois. "Bastien était un petit garçon très dynamique, joyeux, observateur", raconte-t-il à la barre jeudi 10 septembre. "Il était plein de vie", souffle-t-il d'une voix étranglée par l'émotion dans le micro qui grésille. "Prenez votre temps monsieur", lui dit avec douceur la présidente de la cour d'assises. Il tient un verre d'eau dans sa main droite. Il reprend une gorgée pour se donner du courage afin de raconter la suite.
"Bastien est entré à l'école. Il était moins présent au domicile, ce que monsieur supportait mieux. Il avait fait une bonne rentrée. Par la suite, son comportement a commencé à changer. C'était difficile entre lui et ses camarades. Ce comportement m'a interrogé, les parents aussi. J'ai proposé un suivi psychologique pour Bastien, pour comprendre ce qu'il se disait dans sa tête, pour qu'il puisse s'exprimer. Les parents étaient d'accord", relate cet homme grand, vêtu d'un blouson en simili-cuir noir, les cheveux rassemblés en queue de cheval.
"Si vous faites rien du tout, je balance Bastien du 2e étage"
Rendez-vous est pris le 17 novembre 2011. Il n'est pas honoré par les parents. "Du 18 au 25 novembre inclus, j'étais en arrêt maladie. Le 28 novembre, en arrivant à mon poste, j'ai appris la mort de Bastien. Et j'ai découvert un message sur mon téléphone du bureau", poursuit l'assistant socio-éducatif. Ses propos sont hachés. Il marque un temps d'arrêt. "Un message vocal." Il est laissé par Christophe Champenois, la veille de la mort de Bastien. La présidente de la cour décide de le diffuser.
Le silence se fait. Une voix de synthèse retentit. "Le 24 novembre à 16h58." Un bip strident. Puis la voix de Christophe Champenois résonne dans la salle d'audience. Le ton est agressif et menaçant. Il crache sa violence dans le répondeur. "C'est encore monsieur Champenois. Bon écoutez y a un gros gros problème avec Bastien à l'école. Il arrête pas de faire des bêtises, je veux dire non-respect de ses camarades à l'école. (...) Je peux vous dire que si vous faites rien du tout, je le balance du deuxième étage, même s'il faut que je fasse quinze ans de prison. Donc vous avez intérêt à faire quelque chose." Stupeur dans la salle. L'assistant socio-éducatif plonge la tête entre ses mains. Il sanglote. Il renifle et sort un mouchoir.
"C'est le système qui a failli"
"J'ai eu mal quand j'ai appris ce qui s'est passé, je l'ai mal vécu. Je me suis demandé : 'si j'avais été là, qu'est-ce qui ce serait passé ?' Mais à un moment donné, j'ai dû avancer", explique-t-il. Il exerce toujours le même métier et continue chaque jour de suivre des familles en difficulté. Il estime que Bastien est la "victime ultime", mais que lui est une "victime collatérale".
"Votre émotion est la nôtre", lance Yves Crespin, avocat de l'association L'Enfant bleu, partie civile. "Il n'y a pas lieu de mettre en cause des individus, c'est le système qui a failli", ajoute l'avocat. Il pointe l'absence de "formation à l'identification de la maltraitance". L'avocat de Christophe Champenois, Jean-Christophe Ramadier, lui, tient à rassurer l'assistant socio-éducatif : "Il n'y a que deux accusés ici, Christophe Champenois et Charlène Cotte. Vous devez savoir que vous avez fait ce que vous aviez à faire, vous avez fait votre boulot. Je vous dis cela car je suis un avocat de la défense."
Son client est ému. Pendant la diffusion du message, les yeux de Christophe Champenois s'emplissent de larmes. Sa compagne aussi, mais les larmes ne coulent pas. Lorsque la présidente de la cour d'assises lui donne la parole avant les plaidoiries des parties civiles, Charlène Cotte revient sur le témoignage de l'assistant socio-éducatif. "J'ai été touchée. Je n'arrive pas à pleurer, mais les émotions sont à l'intérieur de moi. C'était touchant ce qu’il a dit." Le verdict est attendu vendredi après-midi.
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