Pourquoi les assassinats en Corse ne sont jamais élucidés
Un haut responsable du conseil général de Haute-Corse a été abattu par des professionnels. Un crime qui s'inscrit dans une liste d'homicides qui frappent l'île, et restent presque toujours impunis.
La petite Citroën blanche est montée sur le talus de la nationale 198 qui longe le littoral corse à hauteur d'Aleria (Haute-Corse). Criblée de balles, au milieu de la nuit électorale des municipales, dimanche 23 mars. Son conducteur, Jean Leccia, directeur de cabinet du président du conseil général de Haute-Corse, le PRG Joseph Castelli, n'a pas survécu.
Le haut fonctionnaire, âgé de 53 ans, n'avait aucune chance. Vers 23h20, un commando, deux hommes à moto, s'approche du véhicule talonné par celui de son ex-épouse et de leur fille. Ils déchargent une rafale à l'arme automatique, avant de se volatiliser. Jean Leccia meurt sur le coup, un soir d'élection, comme Dominique Domarchi, un proche du député PRG Paul Giacobbi, tué en mars 2011.
"Ce n'est pas un signe positif pour la démocratie", a déploré le procureur. Ce n'est pas non plus un signe positif pour la justice. Car, trois ans après la mort de Dominique Domarchi, on ignore toujours qui l'a abattu à son domicile, de plusieurs tirs au fusil de chasse. Pourquoi les coupables ou commanditaires des assassinats en Corse sont-ils si rarement retrouvés ?
Un faible taux d'élucidation
Depuis quelques semaines, l'île semblait connaître un certain répit. La mort de Jean Leccia est le deuxième homicide depuis le 1er janvier en Corse, où 17 homicides et 14 tentatives ont été enregistrés l'an dernier, pour une population de seulement 300 000 habitants. "Entre la fin 2013 et le début 2014, cela s'était calmé. En moyenne, depuis vingt ans, on tourne autour de 20 meurtres et 10 tentatives de meurtres par an", explique Fabrice Rizzoli, spécialiste de la criminalité organisée, selon qui "si on condamne 10% des commanditaires, c'est bien le maximum".
Un faible taux qui faisait dire, en janvier 2013, à Corse Matin que "la résolution judiciaire des assassinats en Corse depuis 2004 (...) frise le zéro". Entre 2005 et 2013, "sur les 94 règlements de comptes (...), peu ont mené à des procès. Moins de 4%".
Des professionnels qui ne laissent pas de traces
"La Corse a un faible taux d'élucidation car ce sont des affaires très complexes", estime Henri Mariani, journaliste à France 3 Corse ViaStella. Les assassins laissent "très peu d'indices, il est difficile de trouver des aspérités, et les pistes sont multiples".
Thierry Colombié, chercheur associé au CNRS et spécialiste du grand banditisme, explique que les tueurs "sont des professionnels". Or, "quand vous êtes un professionnel, vous faites en sorte de ne pas laisser de traces. Les enquêteurs manquent d'indices : pas d'empreintes génétiques, les douilles sont souvent ramassées ou fabriquées artisanalement, les armes ne sont pas enregistrées, les véhicules sont volés puis incendiés..."
Il remarque d'ailleurs que le mode opératoire dans l'assassinat de Jean Leccia laisse penser à des professionnels, et qu'ils auraient pu adresser un "message". "Les Corses nationalistes ou du grand banditisme donnent souvent du sens à leur action, un message. Surtout quand il y a une dimension politique. Or, cet assassinat ressemble à la date de l'assassinat d'un proche de Giacobbi", Dominique Domarchi.
Un problème de législation ?
Fabrice Rizzoli établit aussi un lien entre le faible taux d'élucidation et une "criminalité de professionnels" qui laisse très peu d'indice aux enquêteurs. Mais il pointe aussi les faiblesses du système français, où "les tueurs ne collaborent pas avec la justice. En Italie, il existe un statut de collaborateur de police depuis 1991. Quand un mafieux craint pour sa vie, il va coopérer et sera protégé à vie".
En fait, ce dispositif existe en France depuis la loi Perben II de 2004, explique-t-il, mais le décret d'application pour la création des collaborateurs de justice, souvent appelés "repentis", est resté dans les placards pendant près de dix ans. Il a fallu attendre septembre 2013 pour que le gouvernement reparle de cette nouvelle arme anticriminalité organisée. Mais ce n'est que le 19 mars que le décret a été publié au Journal officiel.
Il systématise la possibilité d'exemptions ou de remises de peine pour des personnes permettant d'éviter ou de faire cesser des crimes ou délits et/ou d'en identifier les auteurs ou complices. Il doit aussi permettre de protéger l'identité du collaborateur de justice. Et cela peut aller jusqu'à accorder une identité d'emprunt.
Confisquer les biens
Un pas en avant, mais il existe encore d'autres outils. Encore une fois, Fabrice Rizzoli vante l'expérience italienne, qui permet de s'attaquer efficacement au portefeuille des criminels, comme l'explique ce texte d'un procureur italien. Indépendamment du procès pénal, la justice italienne peut saisir les biens des membres d'une "association mafieuse", comme les complices et prête-noms. Avec une procédure simplifiée, il est possible de saisir des patrimoines acquis illicitement. Plus qu'au moyen de la prison, l'Italie cherche ainsi à attaquer les groupes criminels au portefeuille. Une manière de mettre à mal leur puissance économique et leur influence.
"Restituer à la société les avoirs confisqués à la mafia revêt une valeur symbolique", selon l'eurodéputé italien Salvatore Iacolino (PPE), dans un communiqué de la commission Criminalité organisée, corruption et blanchiment de capitaux (Crim) du Parlement européen. A terme, "il faut impliquer la société civile, les citoyens", abonde Fabrice Rizzoli. "On ne peut pas lutter contre un système aussi complexe uniquement en envoyant la police. Il faut faire une utilisation sociale des biens confisqués au crime organisé. Cela veut dire que la villa du gangster devient un centre culturel, ou un logement social". En clair, une confiscation suivie d'une redistribution. Une initiative que présentait Public Sénat :
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