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Dix ans après la mort de Zyed et Bouna, pourquoi le feu couve toujours à Clichy-sous-Bois

La cérémonie d'hommage à Zyed et Bouna, dont la mort avait provoqué les émeutes de 2005, se déroule mardi dans un décor et une ambiance qui n'ont presque pas changé depuis le drame.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Une manifestante tient une pancarte rendant hommage à Zyed et Bouna, les deux adolescents électrocutés dans un transformateur à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 27 octobre 2005. (PABLO TUPIN / CITIZENSIDE.COM / AFP)

Chaque 27 octobre, depuis la mort de Zyed et Bouna, proches et habitants de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) se recueillent devant la stèle érigée à la mémoire des deux adolescents morts électrocutés dans un transformateur EDF après avoir voulu fuir un contrôle policier. Mardi, la cérémonie organisée par la ville aura d'autant plus de résonance qu'elle se tiendra exactement dix ans après cet événement tragique, qui avait déclenché de violentes émeutes urbaines en France. Dix années ont passé, mais ni le décor, ni la population, ni les mentalités ne semblent avoir changé.

Francetv info explique pourquoi, malgré les promesses et les innombrables débats qui ont suivi le drame, le feu couve toujours à Clichy-sous-Bois.

La relaxe des policiers ne passe pas

Pour les proches de Zyed et Bouna, le 18 mai 2015 reste la date d'une cassure. Ce jour-là, le tribunal correctionnel de Rennes a relaxé les deux policiers mis en cause dans la mort des deux adolescents. A l'annonce du jugement, Adel, le grand frère de Zyed, tremblant de colère, s'est écrié "Vous êtes tous responsables !", comme il le raconte dans le livre Zyed et Bouna (Ed. Don Quichotte).

Cinq mois après, il n'a toujours pas accepté cette décision, comme il l'explique à 20 minutes : "Je suis totalement déçu et désespéré. Je ne crois plus du tout en la justice. Ne serait-ce que pour avoir un procès, il a déjà fallu dix ans. (...) La vraie justice n’existe pas. C’est toujours celle du plus fort et du plus puissant." Sur France Info, Samir Mihi, le porte-parole des familles de Zyed et Bouna, est lui aussi toujours "en colère" : "On considère que ces fonctionnaires ont fait leur travail. Mais s'ils avaient fait leur travail, comment expliquer que deux enfants sont morts ?"

Faire appel est impossible pour les parties civiles, mais l'avocat des familles, Jean-Pierre Mignard, a saisi la justice pour que l'affaire soit rejugée "au civil". Lundi, sur Europe 1, il a réaffirmé que le premier jugement était "scandaleux" et a évoqué une nouvelle fois "un apartheid judiciaire".

C'est le sentiment qui domine chez les habitants de Clichy-sous-Bois, résumé par Le Parisien à travers la parole de Mohamed, 15 ans, qui raconte ce qu'il sait du drame : "Ils étaient avec un pote à eux, ils ont couru, ils sont allés dans le truc électrique. Et la police, elle, n'a rien fait, elle n'a pas appelé les secours."

Les rapports entre police et population sont les mêmes

Adel, le frère de Zyed, en est persuadé : la relaxe des policiers a empêché un rapprochement nécessaire entre la police et la jeunesse de Clichy-sous-Bois. "Sa mort aurait pu permettre de faire avancer les droits des jeunes des banlieues, affirme-t-il dans 20 minutes. Depuis l’annonce du jugement, les jeunes des quartiers ont la haine. On nous a donné comme message que les policiers sont intouchables."

Au lendemain des émeutes de 2005, beaucoup de voix avaient pointé des méthodes policières défaillantes et l'abandon de la police de proximité. En 2010, un commissariat flambant neuf est sorti de terre à Clichy-sous-Bois. A l'époque, selon le JDD, l'objectif était de "restaurer la confiance" et d'"amorcer un dialogue" avec la population.

Cinq ans plus tard, c'est toujours l'ignorance, la méfiance et l'agressivité qui dominent. Pour Youssef, 15 ans, cité par Le Parisien, les policiers "se la pètent" et "nous disent des gros mots". Billal, 16 ans, explique au quotidien que, comme Zyed et Bouna le soir de leur mort, il préfère fuir les contrôles de police : "Franchement, ouais, c'est plus rassurant de courir que de rester. Surtout que, la plupart du temps, on leur échappe."

Les policiers aussi dénoncent une situation toujours aussi compliquée à Clichy-sous-Bois et dans les quartiers difficiles en général"Mes collègues sont régulièrement pris à partie, il y a encore plus de violences contre les policiers en 2015 qu'en 2005, regrette sur France Info Yannick Landurain, membre du syndicat Unité-SGP, qui était en poste à Clichy en 2005. Ces gens-là resteront toujours pareils, on peut faire tout ce qu'on veut, il n'y a pas de peur de l'uniforme, ils se sentent forts et la moindre étincelle peut faire dégénérer un contrôle d'identité." 

L'isolement urbain et économique est toujours là

Après 2005, plus qu'une réponse sécuritaire, ce sont des solutions en matière de logement, de transports, d'emploi et de considération que réclamaient les acteurs du monde associatif en banlieue. Depuis, les autorités ont multiplié les "plans banlieue" et autres dispositifs destinés à ces "zones urbaines sensibles". A chaque fois, Clichy-sous-Bois est évidemment concernée.

Résultat, dix ans après les émeutes, la ville de 30 000 habitants "va mieux", selon le maire (PS), Olivier Klein : les 620 millions d'euros fournis par l'Etat ont permis la construction de 1 000 nouveaux logements et la destruction de 700 logements insalubres. "Avec ces nouveaux habitats, on espère enfin retenir les familles qui, jusque-là, partaient de Clichy dès qu’elles le pouvaient", explique le maire dans L'Obs.

Sauf que les petits pavillons remplaçant les tours aux ascenseurs en panne ne sont apparus que dans le Haut Clichy, alors que la population la plus pauvre réside principalement dans la partie basse de la ville. Comme l'explique Le Monde, les marchands de sommeil y prospèrent et des populations de plus en plus précaires s'y installent. Dans Libération, un habitant estime même que "les politiques ont lâché" : "C’est la cata. (...) Ils ont lâché niveau entretien du quartier, mais surtout niveau entretien humain. Il n’y a pas de travail pour les jeunes, ils n’ont même pas d’endroit où passer leur temps. Ça pousse les jeunes à faire autre chose."

Une agence Pôle emploi a beau avoir vu le jour l'an passé, le taux de chômage à Clichy reste un des pires de Seine-Saint-Denis : 23%, soit 11 points de plus que la moyenne en Ile-de-France. Et la situation empire, puisqu'en 2007, deux ans après les émeutes, le taux de chômage était de 21,2%, selon l'Insee. La conséquence d'un tissu économique limité à des petites entreprises. Selon L'Obs, les principaux employeurs pour les habitants de Clichy sont la municipalité, l'hôpital et le seul hypermarché de la commune, le reste se cantonnant à des boutiques discount et de la restauration dans une galerie commerçante quasi-déserte.

"La ville n'a pas une réelle politique pour faire venir des entreprises", regrette dans Le Figaro Mohamed Dine, conseiller municipal d'opposition (UDI). Difficile en effet, malgré la zone franche créée en 1997, d'intéresser des entreprises innovantes quand, depuis Paris, il faut une heure et demie de transport pour rejoindre Clichy, située à seulement 12 km de la capitale à vol d'oiseau. Un isolement déjà dénoncé en 2005, qui devrait s'estomper avec l'arrivée du tramway T4. Mais, alors que la livraison était prévue pour 2017, les travaux de la ligne ont pris du retard, notamment à cause d'élus des communes voisines qui voyaient ce nouveau lien avec Clichy et Montfermeil d'un mauvais œil. Les travaux préparatoires ont finalement débuté en janvier 2015, pour une finalisation prévue en 2018. Soit, si tout se passe bien, treize longues années après les émeutes.

Seul changement, les habitants sont encore plus méfiants

La veille du jugement de l'affaire Zyed et Bouna, Mohamed Mechmache estimait que "la moindre étincelle pourrait nous faire replonger dans une situation encore plus grave que celle de 2005". Les craintes du fondateur de l'association AC le Feu, née à Clichy après les émeutes, ne se sont pas réalisées. Pour certains, c'est parce que la colère a laissé place à la désillusion, comme l'explique Omar, un Clichois de 25 ans, à Libération : "Moi, j’attends plus rien de ces politiques, je suis plombier-chauffagiste (...), je me lève à 5 heures du mat', je charbonne dans tout Paris et je paie mes impôts à la fin du mois. Je n’attends plus rien d’eux."

Le fossé, déjà grand, entre les habitants des quartiers difficiles et les politiques s'est encore élargi. Une situation qui rappelle les paroles de Mohamed Mechmache, toujours interrogé dans Libération, sur les racines du jihadisme français après les attentats de janvier : "Pourquoi, aujourd’hui, une partie des gamins finissent par se laisser embobiner par une minorité ? Parce qu’ils ont le sentiment qu’on ne leur tend pas la main."

Mais de nombreux acteurs associatifs refusent de rester les bras croisés. Cet éloignement du politique les incite même à ne plus attendre d'hypothétiques réponses de la part des acteurs institutionnels mais à prendre eux-mêmes leur destin en main. En 2008, AC le Feu avait lancé le mouvement politique "Affirmation" dans cette optique, décrochant six postes au sein du conseil municipal de Clichy-sous-Bois. "Il y a énormément de listes citoyennes qui se sont créées, explique Mohamed Mechmache sur le site Mediapart. Je ne suis pas inquiet, des gens s'organisent, on va changer tout ça."

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