Soupçons d'escroquerie à Agde : on vous raconte la rocambolesque affaire dans laquelle le maire, une "voyante" et deux cadres d'Eiffage sont mis en examen

L'élu Gilles d'Ettore, en détention provisoire, dit avoir été piégé puis corrompu par une "médium", elle aussi en prison. Deux cadres du groupe de travaux publics sont également poursuivis.
Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Gilles d'Ettore, alors candidat aux élections législatives, à Montpellier (Hérault), le 14 juin 2012. (ALAIN ROBERT / APERCU / SIPA)

"Nous sommes la risée de la France." Thierry Nadal, médecin et conseiller municipal d'opposition à la mairie d'Agde, qui se confie à France 3 Occitanie, n'en revient toujours pas. Le 21 mars, le maire de cette commune de l'Hérault, Gilles d'Ettore, a été mis en examen pour "prise illégale d'intérêts" et "corruption", et placé en détention provisoire. L'élu local est accusé d'avoir été corrompu par une prétendue médium. La demande de remise en liberté de l'édile doit être examinée par la chambre de l'instruction, mardi 2 avril. Franceinfo revient sur cette affaire. 

Une femme reconnaît s'être fait passer pour "un être surnaturel" afin d'obtenir des avantages

L'enquête a démarré en octobre 2023, avant l'ouverture d'une information judiciaire contre X le 5 janvier par le parquet de Béziers, notamment pour "escroqueries en bande organisée". Une quarantaine de personnes ont été entendues. Au centre des investigations, une femme de 44 ans, auto-entrepreneuse à Agde, qui se présente comme voyante, médium et guérisseuse. Comme l'a expliqué le procureur dans un communiqué, son activité lui a "permis de développer une clientèle importante et d'acquérir une certaine notoriété". Placée en garde à vue le 19 mars, elle a reconnu avoir utilisé "un stratagème consistant à modifier sa voix auprès de nombreux interlocuteurs, y compris les membres de sa famille et ses proches amis", dont le maire Gilles d'Ettore faisait partie depuis leur rencontre en mai 2020.

"Cette voix d'apparence masculine, posée et rauque" faisait croire à l'élu qu'il était "en conversation avec un être surnaturel provenant de l'au-delà" et l'incitait à "se soucier" du "bien-être de cette femme, y compris matériellement", a précisé le magistrat Raphaël Balland. Lors de son audition, l'auto-entrepreneuse a ainsi confirmé avoir bénéficié de "nombreuses prestations de la part du maire d'Agde", dont le recrutement au sein de la commune ou de l'agglomération de cinq proches, à commencer par son mari, en qualité de directeur des services techniques de la mairie. Ces faits lui valent d'être poursuivie pour "escroqueries", "recel de détournements de fonds par une personne dépositaire de l'autorité publique", "recel de corruption" et "travail dissimulé". L'époux de la "voyante" a également été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire. Sa compagne a affirmé "regretter son comportement", expliquant qu'elle était entrée "dans une spirale dont elle n'arrivait plus à sortir".

Parmi les avantages obtenus, France 3 Occitanie mentionne également une somptueuse cérémonie de mariage dans un château de l'Hérault et la mise à disposition d'un chauffeur de la ville pour récupérer ses enfants à l'école. L'auto-entrepreneuse se voit aussi reprocher de n'avoir déclaré qu'une partie de ses revenus.

Le maire dit avoir été envoûté par une voix et dément avoir commis un quelconque délit

Gilles d'Ettore, 55 ans, est une figure locale. Maire Les Républicains d'Agde depuis 2001, il est aussi président de l'agglomération Hérault Méditerranée et a été député UMP de la 7e circonscription du département de 2007 à 2012. Il a été placé en garde à vue le même jour que celle qu'il considère "comme sa fille". Devant les enquêteurs, l'élu a reconnu avoir été convaincu de l'existence de "la voix" et que cette femme "était douée de pouvoirs surnaturels".

Toujours selon les éléments rapportés par le procureur, il n'aurait réalisé avoir été victime d'une escroquerie que lorsque les enquêteurs lui ont montré une vidéo de la femme en train de modifier sa voix. Poursuivi pour "détournements de fonds par une personne dépositaire de l'autorité publique", "prise illégale d'intérêts" et "corruption", Gilles d'Ettore nie avoir commis un quelconque délit.

Deux cadres d'Eiffage mis en examen pour un financement occulte de travaux au domicile de la "voyante"

L'affaire ne s'arrête pas là. En début de semaine, un chef d'entreprise de l'Aude et "deux cadres importants" de la société Eiffage ont été placés en garde à vue, a fait savoir le parquet de Béziers. Si le premier a été relâché sans poursuite à ce stade, les deux autres ont été mis en examen pour "abus de confiance" et "faux et usage de faux". Le supérieur hiérarchique a également été mis en examen pour "corruption active" et placé en détention provisoire. Son subordonné est, quant à lui, soupçonné de "complicité de corruption" et a été remis en liberté sous contrôle judiciaire.

Ils sont tous les deux soupçonnés d'avoir participé au financement occulte de travaux effectués au domicile de la "voyante". Au cours de son interrogatoire, la "médium" a reconnu, selon une source proche de l'enquête auprès de France 3 Occitanie, avoir sollicité auprès du maire d'Agde le financement de la construction d'une véranda.

Un collectif de citoyens demande la démission du maire, remplacé par son premier adjoint

Cette affaire ébranle la gestion politique de cette ville du sud de l'Hérault, qui compte environ 30 000 habitants permanents et jusqu'à 200 000 résidents l'été grâce au Cap d'Agde. Comme le prévoit le Code général des collectivités territoriales, la continuité du service public est assurée par le premier adjoint du maire. La mairie d'Agde a assuré que "les projets déjà mis en œuvre ou programmés [seraient] réalisés selon les échéances prévues". Du côté de l'agglomération Hérault Méditerranée, c'est Armand Rivière, le premier vice-président, qui devrait assurer l'intérim.

La situation de Gilles d'Ettore, présumé innocent, ne manque pas de faire réagir ses administrés. "Ça paraît incroyable, il est maire depuis quatre mandats. Et là, tomber sous l'emprise de cette femme, si c'est avéré... C'est une affaire étrange, ça a surpris tout le monde. On ne s'y attendait pas du tout, il va y avoir des retombées", commente une habitante auprès de France 3 Occitanie.

Comme le relaient nos confrères, le prochain conseil municipal, prévu jeudi, risque d'être agité. Un collectif de citoyens a lancé une pétition en ligne demandant la démission du maire. Elle avait recueilli 130 signatures lundi. France Bleu Hérault rappelle que ces dernières semaines, l'opposition municipale s'était interrogée sur une autre affaire de détournement de fonds dans une épicerie solidaire de la ville. La trésorière de cette épicerie est une ancienne conseillère municipale de la majorité de Gilles d'Ettore. Pour Thierry Nadal, leader de l'opposition, "les habitants de la ville sont un peu groggy face à tous ces événements".

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.