Procès Bamberski : se faire justice soi-même, à quel prix ?
Le père de Kalinka Bamberski, retrouvée morte en 1982 en Allemagne, est jugé pour avoir séquestré l'assassin de sa fille. Il risque cinq ans de prison.
"Reconnaître qu’il a fait son devoir de père", c’est, selon son avocat, ce qu’André Bamberski souhaite de la part des magistrats qui l’entendent jeudi 22 mai, au tribunal correctionnel de Mulhouse (Haut-Rhin). A 76 ans, il encourt cinq ans de prison pour avoir fait enlever, en 2009, l’homme qui a tué sa fille, Dieter Krombach.
Ce cardiologue allemand avait été condamné en 1995 en France, en son absence, pour la mort de Kalinka Bamberski, en Allemagne. Mais Dieter Krombach n’avait pas été arrêté, malgré un mandat d’arrêt international émis contre lui en 1997. En 2009, persuadé que la France a "sacrifié sa fille" à ses relations avec l’Allemagne, André Bamberski engage des hommes pour enlever le docteur Krombach à son domicile, en Bavière, et le livrer à la police française.
Comme André Bamberski, certains n’hésitent pas à se substituer à la justice lorsqu’ils estiment que cette dernière ne s’est pas appliquée correctement. Quitte à se mettre eux-mêmes en danger face à la loi. Même si les jurés tiennent parfois compte de la détresse de ces "auto-justiciers", la loi ne les protège pas.
"L'auto-justice" n'existe pas
"J'assume la responsabilité d'avoir pris la décision de faire transporter Krombach d'Allemagne en France", a déclaré André Bamberski, selon le Nouvel Obs, même s’il réfute avoir rémunéré les hommes qui l’ont aidé. Aujourd’hui, il est accusé d’enlèvement et séquestration en bande organisée, ainsi que de complicité de violences volontaires.
"André Bamberski sera condamné symboliquement", assure Michel Konitz, avocat au barreau de Paris, joint par francetv info. "La défaillance de l’Etat dans l’arrestation du docteur Krombach est une cause tellement légitime... Aucun juge ne pourra l’acquitter, aucun homme ne pourra le condamner", poursuit-il. Ce que l’on appelle parfois "l’auto-justice" n’existe pas en droit. Elle est considérée comme un comportement pénalement répréhensible, à la différence de la légitime défense. "En cas de légitime défense, on se défend contre un péril auquel on est confronté. Ici, il n’y a pas de péril immédiat, et la situation à laquelle André Bamberski répond est ancienne", précise Michel Konitz. Il n’en reste pas moins que la lenteur de la justice sera, selon l’avocat, un point déterminant en faveur de Bamberski.
La détresse, une circonstance atténuante
Chantal Vincifore, une Nîmoise de 47 ans, a passé 8 mois derrière les barreaux pour s’être fait justice elle-même. En 2009, sa fille meurt dans un accident de voiture. Son gendre, qui conduisait, avait bu trois fois plus d’alcool que la limite autorisée, et avait fumé du cannabis. Lui est sorti indemne de l’accident, tout comme la fillette du couple, installée à l’arrière du véhicule. Un homicide involontaire sous l’emprise de l’alcool est passible de sept ans d’emprisonnement. Le gendre de Chantal, condamné à 18 mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve, n'est pas passé par la case prison. Chantal ne s’en remet pas.
En 2011, elle engage trois hommes pour aller, à deux reprises, tabasser son ex-gendre. La seconde fois, l’homme a le tibia fracturé, et "de multiples plaies au visage et au crâne", comme on le voit dans ce reportage de l’émission de TF1 "Sept à huit". Le 30 avril, elle est condamnée à 3 ans de prison, dont 8 ferme. Peine qu'elle a déjà effectuée, en détention provisoire, à la maison d’arrêt d’Agen. "Ils disent que je me suis fait justice moi-même, mais s’il y avait eu une vraie justice, on n’en serait pas là aujourd’hui", affirme Chantal Vincifore dans "Zone interdite", sur M6.
Lors du jugement, les jurés tiennent compte de la personnalité de l’accusé, et de son niveau de dangerosité. Généralement, le désir de se faire justice soi-même donne au crime un caractère exceptionnel. "Les jurés prennent en compte la détresse de l’accusé", souligne l’avocat Jean-Paul Levy, joint par francetv info. C’est le principe de "l’individualisation de la peine", que l’on résume souvent aux "circonstances atténuantes", même si celles-ci ne figurent plus dans le nouveau Code pénal.
"Il n'y a pas d'absolution du crime"
En 1993, Jean-Marie Villemin est convoqué devant la cour d'assises de Dijon en marge de l’affaire du petit Grégory. Il est jugé pour l’assassinat de Bernard Laroche, un temps soupçonné d’avoir tué son fils. "La stratégie de la famille Villemin était de dire : il a tué l’assassin de Grégory, il a tenté de se faire justice lui-même, explique Gérard Welzer, avocat des Laroche au moment du procès. Le problème, c’est que Laroche avait été mis hors de cause cinq jours plus tôt." Même si des circonstances atténuantes lui sont reconnues, Jean-Marie Villemin n’obtient pas l’acquittement qu’il demande. Il est condamné à cinq ans de prison, dont un avec sursis.
"Il n’y a pas d’absolution du crime", souligne Jean-Paul Levy. "Ce que l’on appelle l’intention criminelle, c’est-à-dire l’intention de violer la loi, ne disparaît pas. Dès qu’il y a intention criminelle, il y a condamnation. Et les mobiles ne servent plus qu’à individualiser la peine", précise l’avocat. La décision du tribunal correctionnel de Mulhouse, qui doit juger l'affaire Bamberski, doit être rendue vendredi 23 mai.
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