Erreurs judiciaires : "Le jour où j’ai été blanchi"
Au lendemain de l’acquittement de Marc Machin, voici le dernier volet de notre série sur les victimes d’erreurs judiciaires.
Marc Machin, jugé une troisième fois pour le meurtre du pont de Neuilly en 2001, est officiellement devenu jeudi 20 décembre la huitième personne en France à décrocher l’acquittement après un procès en révision. A cette occasion, francetv info publie le dernier volet de sa série sur les victimes d’erreurs judiciaires. Après l’arrestation, les aveux, l’arrivée en prison, la condamnation et le retour de l'espoir, voici le jour où elles ont été blanchies.
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C’est quasi mourant, amaigri de 40 kilos, que Roland Agret a appris qu’il était gracié par le président Valéry Giscard d’Estaing en 1977. Après plus d’un an de grève de la faim, "j’étais comateux, se rappelle-t-il pour francetv info. J’étais gracié, mais je ne le savais même pas." Ses premiers mots ? "J’aurai ma révision de procès."
Pour les victimes d’erreurs judiciaires, la libération est une étape, non un aboutissement. Passé le soulagement de la liberté retrouvée, vient la nécessité de voir la justice reconnaître officiellement son erreur. "Je ne pouvais pas rester sur une faveur présidentielle", explique Roland Agret. Pour obtenir son acquittement dans l’affaire du meurtre d’un garagiste et de son assistant à Nîmes en 1970, l’homme emploie les grands moyens. Comme en détention, il avale des manches de fourchettes, se coupe deux doigts à un an d’intervalle et les apporte au ministère de la Justice. Comme le raconte le blog Libertés surveillées, "il s’apprête à se coudre la bouche quand en juin 1983, le tribunal de Nîmes condamne Antoine Santelli – l’homme qui l’avait accusé – pour subornation de témoin". Roland Agret sera acquitté en révision le 25 avril 1985. Tenace, il ne se satisfait pas des 250 000 francs (38 000 euros) d’indemnités qui lui sont accordés. En novembre 2005, il se tire une balle dans le pied pour que ses années de détention provisoire soient prises en compte. Il obtient gain de cause.
Chômage, dettes, RSA…
En écho, Marc Machin écivait dans Seul contre tous, trois ans avant son procès en révision qui s’est tenu cette semaine : "J’attends une chose sans laquelle rien ne pourra me consoler, sans laquelle je ne pourrai jamais tourner la page : que mon innocence soit reconnue."
Ce procès en révision, Abderrahim El-Jabri et Kader Azzimani, condamnés à vingt ans de prison pour un meurtre commis en 1997, l’attendent également de pied ferme. "On ne nous rendra jamais ce qu’on nous a pris, mais j’attends qu’il y ait réparation", déclare ce dernier au micro de France 2. Réparation judiciaire, morale et financière. "Je ne suis pas matérialiste, mais je dois régler mes dettes, tout cet argent dépensé par nos proches pour nous soutenir", explique Abderrahim El-Jabri, actuellement au chômage. Son compagnon d’infortune, qui souffre d’un eczéma invalidant et de graves problèmes cardiaques à 47 ans, est quant à lui au RSA. Leur procès en révision ne se tiendra qu’après celui des vrais auteurs du meurtre.
"C’est toute notre vie qu’ils nous ont prise"
Patrick Dils, lui, affirme à francetv info avoir perçu 700 000 euros après ses quinze ans de prison et son acquittement dans l’affaire du meurtre de deux enfants à Montigny-lès-Metz (Moselle). Son avocat a reçu 100 000 euros, ses parents 80 000 euros chacun et son frère 40 000 euros. "Cela m’a permis de m’établir, de construire un chez-moi, une famille. Mais ce n’est pas l’argent qui va racheter les viols, la souffrance psychique, qui va me ramener ma jeunesse et encore moins la vie à ces enfants", lâche-t-il, amer.
Loïc Sécher, qui a perçu 670 000 euros pour sept ans de prison après avoir été accusé à tort de viols par une mineure de 14 ans, insiste lui aussi sur les ravages de cette erreur judiciaire pour lui et ses proches. "J’ai perdu douze ans de ma vie", regrette-t-il au micro de France 2. Suivi par un psychiatre, il peine à rebondir et souffre de cauchemars. Il rêve de prendre le large pour laisser tout cela derrière lui.
"Ce ne sont pas seulement onze ou treize ans de votre vie qu’ils vous ont pris, c’est toute votre vie", estime également sur France 2 Kader Azzimani, dont la santé est très fragile depuis sa sortie de prison. Il tente aujourd’hui de recoller les morceaux avec sa femme et ses trois enfants, dont le dernier a été conçu au parloir. Mais "on est décalé dans le temps".
Des proches sacrifiés
Alain Marécaux, lui, a vu sa famille voler en éclats après son arrestation dans l’affaire d'Outreau en 2001 : "On a abîmé mes enfants. On est venu détruire une petite fille de 6 ans, un petit garçon de 9 ans et un ado de 13 ans et demi qu'on m'a rendu à 17, déscolarisé, alors qu'il avait un an d'avance à l'école lorsque tout est arrivé…", raconte-t-il au Parisien en septembre 2011. Il a assisté menotté aux funérailles de sa mère, qui avait cessé de s’alimenter. En raison de contraintes judiciaires, Loïc Sécher, lui, n'a pu être aux côtés de son père, mort le 31 mars 2011. Il a pourtant pardonné à sa jeune voisine qui l’avait accusé à tort. L'adolescente, alors anorexique, était en grande souffrance psychique. Elle s’est rétractée en 2008.
Alain Marécaux n’en est pas au même point. A propos du juge Burgaud, qui a mené l’instruction dans le dossier Outreau, il déclare : "J'aimerais qu'il puisse dire : 'J'ai fait du mal, pardonnez-moi.' Ça m'aiderait dans le chemin du pardon", souligne l’huissier de justice.
Le pardon, une étape importante sur le chemin de la reconstruction. La mise en mots aussi. Beaucoup ont ressenti le besoin de raconter leur histoire dans un livre, pour exorciser. Certains, comme Roland Agret avec son association Action justice, poursuivent leur combat pour d’autres victimes d’erreurs judiciaires. Tous, en tout cas, ont cette formule : quand elle se met à dérailler, "la justice devient une machine à broyer".
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