"Je suis un drogué de la liberté" : les aspirations contrariées de Rédoine Faïd lors de son procès pour évasion

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Rédoine Faïd, lors de son interrogatoire de personnalité au procès de l'évasion de la prison de Réau, le 8 septembre 2023, devant la cour d'assises de Paris. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)
L'ancien braqueur natif de l'Oise, surnommé le "roi de la belle", a pris la parole devant la cour d’assises de Paris, vendredi, pour son interrogatoire de personnalité.

Il serre son frère dans ses bras comme on prend une bouffée d'air. Rédoine Faïd a retrouvé le box de la cour d'assises de Paris, vendredi 8 septembre, avec décontraction. Il y est en famille. L'ancien braqueur comparaît depuis quatre jours, aux côtés de deux de ses frères et trois de ses neveux, pour son évasion en hélicoptère de la prison de Réau (Seine-et-Marne) en 2018. Depuis, il est à l'isolement et une vitre le sépare de ses proches lors de tous ses parloirs. Alors, quand la présidente lui demande de revenir sur son "parcours de vie", pour son interrogatoire de personnalité, l'accusé, tee-shirt vert et crâne rasé, commence par cet aveu façon groupe de parole : "Je suis un drogué de la liberté, c'est une addiction que j'assume."

Ce natif de Creil (Oise), 51 ans, y a pourtant peu goûté depuis sa première incarcération en 1998 pour plusieurs affaires, dont l'attaque d'un fourgon blindé à Villepinte (Seine-Saint-Denis). En vingt-cinq ans, Rédoine Faïd a connu, en tout et pour tout, deux ans de libération conditionnelle, entre 2009 et 2011. Et trois cavales. "J'ai passé énormément de temps en prison, surtout dans les quartiers d'isolement, admet-il devant la cour. Je suis dans une optique de survie, je prends conscience de ce que j'ai fait sur mon parcours délinquantiel", poursuit l'habitué du jargon judiciaire et des cours d'assises.

"Cette addiction crée des dégâts dans mon entourage, les gens en souffrent. Je prendrai mes responsabilités des dégâts dans cette affaire-là."

Rédoine Faïd, accusé

devant la cour d'assises de Paris

Ses frères Rachid et Brahim, ainsi que ses neveux Liazid Faïd, Karoune Herizi et Ishaac Herizi, sont poursuivis pour l'avoir assisté, à divers degrés, dans cette seconde évasion, encore plus spectaculaire que la première : en 2013, Rédoine Faïd avait plastiqué quatre portes de la prison de Sequedin (Nord) et pris en otage des surveillants. Cette fois-ci, ce fan de cinéma a réussi l'exploit de prendre la poudre d'escampette par les airs, en organisant depuis sa cellule, selon l'accusation, le braquage d'un hélicoptère de tourisme, venu le cueillir dans la cour du centre pénitentiaire de Réau.

"Rien de grand dans le banditisme"

En préambule, Rédoine Faïd "demande pardon" pour sa famille et "la partie civile", le pilote de l'appareil. Dans un mélange de maîtrise et de contradictions, l'accusé le plus médiatique de ce procès décrit le "chaos éternel systémisé" de sa vie et se dit à la fois "content" et "dégoûté" de se retrouver une nouvelle fois aux assises. "Content" de sortir de l'isolement, "dégoûté" de la peine encourue, la perpétuité, lui qui a déjà écopé de lourdes peines, dont vingt-cinq ans pour le braquage raté de Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne) en 2010, qui s'était soldé par la mort d'une policière. Avec ce pedigree, Rédoine Faïd se dit "heureux d'être encore en bonne santé", un "miracle" qu'il doit à ses "avocats", les "héros" de sa vie.

Vient le traditionnel exposé du parcours de vie, avant toutes ces années à l'ombre. Familier de l'exercice, Rédoine Faïd déroule une enfance pas "normale" entre un père qui quitte rapidement le foyer et une mère "très malade", qui meurt lorsqu'il a 18 ans. La fratrie, nombreuse, en ressort "soudée". "La famille, c'est le socle de ma vie", expose l'intéressé, reconnaissant pouvoir être parfois "odieux" avec ses proches, y compris lorsqu'ils l'assistent pendant une cavale. Il aime son grand-frère Rachid, à côté de lui dans le box, "comme un père", n'a jamais oublié Séverine, son "amour de jeunesse", ni le fils de la femme qu'il a finalement épousée lors de sa brève période de liberté : "Je suis devenu son père, il m'a fait un bien fou ce môme."

Lorsqu'il "retombe" en 2011, Rédoine Faïd souffre d'une autre addiction que celle de la liberté. Il est alors "accro au braquage", lui rappelle la présidente, après la lecture d'extraits de son autobiographie, co-écrite avec le journaliste Jérôme Pierrat, et de ses interviews sur les plateaux télé. "J'exprimais le ressenti que j'avais quand je faisais des conneries dix ans auparavant, dans les années 90", justifie-t-il. Et de dégainer l'une de ses formules préférées : "Il n'y a rien de grand dans le banditisme." "C'est pas une drogue. La liberté, ouais, mais pas le braquage", martèle-t-il.

"L'ennui provoque l'évasion"

Au fil de l'interrogatoire, Rédoine Faïd s'anime et s'emporte, allant jusqu'à faire une blague sur une possible évasion du box "en baskets". "On n'est pas là pour rigoler", le reprend la magistrate, lui demandant d'arrêter "de pointer du doigt" l'avocat général en face. "Pardon, vous n'avez rien à voir avec ça", s'excuse le quinquagénaire, faisant sourire la salle. Le multi-condamné prétend ne pas en vouloir à la justice, mais à l'administration pénitentiaire, "l'Etat dans l'Etat". "Ils sont là pour me surveiller, me garder, pour briser les liens familiaux, me faire la misère, me tuer, me pousser au suicide", attaque l'accusé, assurant malgré tout ne pas être suicidaire.

"Je suis dans un sarcophage en béton H24, emmuré vivant et j'ai rien à faire. (…) J'ai aucune interactivité, c'est un désastre. Le contact, c'est un élément vital."

Rédoine Faïd, accusé

devant la cour d'assises de Paris

Rédoine Faïd n'en démord pas. Lui, qui "n'a jamais versé de sang", ne mérite pas ce traitement carcéral : "Les terrroristes, les violeurs, vous ne leur faites pas ça ! (...) Moi, je suis un voleur et un mec qui se barre." "Quelle autre solution pour éviter tout risque d'évasion ?", interroge la présidente. "L'alternative, elle est simple. L'ennui provoque l'évasion. L'ennui, c'est terrible, ça vous ronge", répond son interlocuteur. N'est-ce pas aussi l'ennui qui l'avait fait replonger treize ans ans plus tôt ? "J'étais chargé de clientèle, je m'emmerdais", reconnaît Rédoine Faïd, contestant toutefois encore aujourd'hui être impliqué dans le braquage raté de Villiers-sur-Marne. Le procès doit durer sept semaines.

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