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Un an après la mort de Steve Maia Caniço à Nantes, ses proches ont "changé de regard sur la police"

Les proches et la famille de Steve Maia Caniço commémorent dimanche à Nantes le premier anniversaire de la disparition du jeune homme, un soir de Fête de la musique. Une information judiciaire est en cours pour éclaircir les circonstances de sa mort, alors qu'une intervention policière en bord de Loire a suscité incompréhension et colère dans la ville.

Article rédigé par Fabien Magnenou - A Nantes (Loire-Atlantique),
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Des affiches réclament "justice pour Steve" Maia Caniço, samedi 20 juin 2020 sur la place Royale de Nantes. (MAXPPP)

"Les policiers étaient équipés et casqués. Ils ont chargé avec des grenades de désencerclement et des lacrymos. Alors non, ils n'étaient pas juste là pour nous faire partir." Un an après la disparition de Steve Maia Caniço, à Nantes, dans la nuit du 21 au 22 juin, son amie Soline n'en démord pas. Oui, l'intervention policière menée à 4h25 sur le quai Wilson, en bord de Loire, était "irresponsable", selon elle, lors de cette Fête de la musique. Et oui, c'est bien cette "absence totale de réflexion" qui aurait entraîné la mort de l'éducateur périscolaire de 24 ans, dont le corps a finalement été repêché un mois plus tard, charrié par le fleuve.

Tout le monde se rentrait dedans ou trébuchait. Un gars nous a chopées par la main, mon amie et moi, et nous a conduites en dehors du nuage de lacrymo. C'est là que j'ai réalisé que j'étais à moins de trois mètres de l'eau.

Soline, amie de Steve Maia Caniço

à franceinfo

Pour Soline, hors de question de manquer la marche en mémoire du jeune homme, prévue ce dimanche à 15 heures devant le château des ducs. Elle repensera aux "tonnes de sons hardcore et hardstyle" qu'il envoyait chaque jour. K-Ro, une autre amie, se souviendra de cet éducateur blagueur, capable de retenir l'attention des enfants avec "une veste de costard, une casquette à l'envers" et des parties de "trois fois rien", où les élèves inventent eux-mêmes les règles.

K-Ro, amie de Steve, devant la fresque peinte en mémoire du jeune homme, le 18 juin 2020 à Nantes (Loire-Atlantique). (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

Tee-shirts blancs, détour par la fresque à son effigie, recueillement... Mais pas de fête. Pas cette fois-ci et plus là-bas. "Pour lui rendre hommage, il y aura quand même un peu de musique qu'il aimait, glisse Maël, un autre ami. On va passer Natural de Davide Sonar [artiste italien de hardstyle, un sous-genre de la techno], c'est sûr ! On va même la passer dix fois !" Et si cette affaire alimente toujours de vives rancunes, les slogans politiques ou anti-police "devront rester au plus profond de vos têtes et cœurs", insistent les organisateurs. "Steve n'aurait jamais voulu se faire récupérer politiquement par différents mouvements", reprend Soline. "Il n'avait pas de parti, il n'allait même pas en manif. C'était juste un enfant qui aimait danser et sourire."

"Quelqu'un est en train de se noyer"

Jérémy Bécue, lui, se souviendra une nouvelle fois du titre Porcherie des Bérurier noir, le dernier morceau passé par Lunatek, l'un des neuf DJs du quai. "Quand on passe cette chanson après des heures de techno, c'est un code pour dire au revoir." Il y a un an, il a vécu la scène de panique, après l'intervention de la police.

J'entends un cri : 'Quelqu'un est en train de se noyer !' J'ai les mains froides sur la corde mouillée, je commence à avoir mal aux jointures. A un moment, je m'immerge jusqu'au cou pour arrêter de grelotter.

Jérémy Bécue, participant à la Fête de la musique

à franceinfo

Tombé lui aussi dans la Loire, puis repêché, il a entendu les secouristes évoquer une suspicion de noyade. De qui s'agissait-il ? Il l'ignore encore. L'Inspection générale de l'administration (IGA) a difficilement recensé douze personnes tombées à l'eau, dans "une situation particulièrement confuse". Quatre fêtards auraient chuté avant l'intervention policière, sept pendant et un après. Toutefois, ce décompte n'inclut pas Steve Maia Caniço. Car avant d'obtenir "justice pour Steve", encore faut-il établir avec précision sa présence sur le quai à cette heure-ci.

Jérémie Bécue est tombé dans la Loire lors de l'intervention policière sur le quai Wilson, lors de la fête de la musique de 2019.  (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

"Des éléments techniques d'ici l'été"

Ses proches n'ont guère de doute, mais ce point doit encore être confirmé par des moyens techniques. On sait déjà que le téléphone du jeune homme a "borné" pour la dernière fois à 4h33, quelques minutes après l'intervention de police. Mais la sœur de la victime, Johanna, a révélé à Presse Océan que "Google a été sollicité pour extraire le plus de données possibles" sur la géolocalisation de l'appareil, avant que celui-ci ne coupe définitivement. L'avocate de la famille, Cécile de Oliveira, n'a pas souhaité confirmer cette information, mais elle explique toutefois qu'un nouvel élément pourrait prochainement permettre la mise en cause des forces de l'ordre.

Au-delà des éléments humains, nous attendons d'ici l'été des éléments techniques permettant d'établir un lien de causalité entre la violation de l'obligation de sécurité et la mort de Steve Caniço.

Cécile de Oliveira, avocate de la famille

à franceinfo

Cécile de Oliveira, l'avocate de la famille de Steve Maia Caniço. (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

Les enquêtes administratives n'ayant pas levé tous les doutes, c'est bien la justice qui devra livrer des réponses aux proches et aux soutiens de l'éducateur. Au total, trois informations judiciaires ont été ouvertes : l'une contre X pour "homicide involontaire" de Steve Maia Caniço, une autre pour une plainte déposée par plus de 80 participants et la dernière pour une plainte déposée par des policiers.

"Une rupture de confiance envers l'institution"

A Nantes, il n'est pas rare de croiser des autocollants "Justice pour Steve", au hasard d'un détour. Et pour certains amis de Steve, le divorce est consommé avec les forces de l'ordre. "Aujourd'hui, j'ai peur des policiers", témoigne Kilian, qui échangeait encore des textos avec Steve jusqu'à 3 heures la nuit de sa disparition. "Quand je traverse une manif, je ne sais pas ce qui peut m'arriver à cause de mes dreadlocks." Avant même les conclusions de l'enquête, il en est persuadé : c'est bien l'intervention de la police qui a entraîné la disparition de son ami. "Il n'a pas pu tomber seul dans la Loire. Il ne savait pas nager et ne s'approchait jamais de l'eau."

Mon regard sur la police a grave changé depuis. Mon frère voulait d'abord devenir gendarme, avant de penser à l'armée. Il a tout lâché après cette histoire. Les forces de l'ordre, à la base, c'est censé t'amener en justice, pas se faire justice.

Kilian, ami de Steve Maia Caniço

à franceinfo

C'est l'une des zones d'ombre de la soirée du quai Wilson. Dans le cadre de l'enquête dépaysée à Rennes (Ille-et-Vilaine), le juge d'instruction David Benamou devra notamment retracer la chaîne de commandement le soir du drame. Mais au milieu du Hangar à bananes, haut lieu des nuits nantaises situé en bord de Loire, certains épinglent déjà le représentant de l'Etat avec une fausse plaque de rue : "Quai du préfet d'Harcourt, sourd système." A quelques mètres de là, Manon, coorganisatrice de la marche, évoque la "disparition" d'un ami mais refuse encore de parler de "décès". Quand on lui parle du contexte national, elle répond que "les violences policières augmentent car les policiers ne sont pas assez cadrés".

Les policiers déposent leurs menottes par terre mais je suis sûre qu'il y a un ras-le-bol de leur part aussi. Plus personne ne trouve sa place, autant chez les flics que chez les gens. Je trouve que quelque chose est cassé.

Manon, amie de Steve Maia Caniço

à franceinfo

Ces discours sont devenus fréquents. "Ce qui m'inquiète le plus, c'est que cette affaire acte une rupture de confiance envers l'institution policière, voire judiciaire, résume l'avocat de huit plaignants, Loïc Bourgeois. Mes clients sont des citoyens lambda, pas du tout anti-flics, mais cette affaire a pu créer des rapports de défiance et entraîner un basculement pour ces jeunes âgés de 18 à 25 ans." En filigrane, selon lui, c'est donc le contrat social tout entier qui dépend du sort judiciaire du dossier.

"Nous réclamons toujours des sanctions"

"Regardez ce jeune homme [sur le dessin]. Il a les yeux froncés, il est en colère. Un peu comme moi." Rien n'est perdu pour autant, estime le dessinateur de presse Eric Chalmel, dit "Frap", qui juge nécessaire "une piqûre de rappel" et qui réclame "toujours des sanctions". L'an passé, déjà, son collectif détournait une installation du festival "Le Voyage à Nantes", en recouvrant d'affiches les statues de la place Royale. "On les recollait sans cesse. Cela a beaucoup agacé la préfecture et la mairie, à tel point que cette dernière a fini par les laisser."

Le dessinateur de presse Eric Chalmel, dit "Frap", fait partie d'un collectif informel mobilisé pour obtenir la vérité dans l'"affaire Steve".  (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

Et si les marches organisées l'été dernier ont rencontré un succès limité – entre 1 000 et 2 000 personnes –, l'affaire a tout de même contribué à planter "une petite graine" dans la tête de nombreux habitants, estime "Frap". "Ils se sont rendu compte que 'les gauchistes', comme on dit, n'avaient peut-être pas tout à fait tort" sur la réalité des violences parfois commises par la police.

Cela a toujours été vrai. Mais depuis Notre-Dame-des-Landes et la loi Travail, on a encore davantage le sentiment que Nantes est un laboratoire du maintien de l'ordre. Là, c'était une charge délirante.

Eric Chalmel, dit "Frap"

à franceinfo

"On observe une rupture entre la maire PS Johanna Rolland et sa gauche", analyse encore Eric Chalmel, qui prévoit quelques bulletins de vote nul "Justice pour Steve" au second tour des municipales, le 28 juin. "La mairie a eu peur de sa coresponsabilité dans les faits ; elle a peu réagi." En septembre dernier, deux des quatorze recommandations de l'IGA avaient été adressées à la mairie. Celles-ci portaient sur la nécessité de mener de plus larges concertations avant les grands événements et de sécuriser le quai Wilson. Une partie de celui-ci, propriété du port autonome, est désormais grillagée. Il n'y aura plus de fête dans ce petit bout du monde.

Le quai Wilson, propriété du port autonome, est désormais équipé d'une grille qui interdit tout accès. La Loire se trouve à gauche, après les espaces couverts d'herbe.   (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

Contactée par franceinfo, la Ville n'a pas souhaité s'exprimer en raison des informations judiciaires en cours sur la mort de Steve Maia Caniço. Mais la maire Johanna Rolland dit avoir rencontré les parents du jeune homme, vendredi soir. "Toute la lumière doit être faite sur les motivations et les modalités d'intervention des forces de l'ordre au cours de cette nuit tragique", affirme l'élue dans un communiqué

En attendant, ses proches ont pour lieu de souvenir une imposante fresque, peinte à l'entrée du quai Wilson. "A droite, c'est la soirée de la Fête de la musique, au milieu c'est Steve, et à gauche ce sont toutes les violences policières", décrivent les artistes Eric et Lucas*. Tout ce que vous voyez, ou presque, est tiré de vraies vidéos." Les deux hommes terminaient justement le mur quand le corps a été découvert, le 29 juillet 2019. Alors que les sirènes résonnaient au loin, ils ont ajouté "Justice pour Steve" en lettres rouges, comme un point final à plus d'un mois d'incertitude.

L'un des artistes qui ont réalisé la fresque à l'entrée du quai Wilson, à Nantes (Loire-Atlantique), le 18 juin 2020.  (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

"C'est aujourd'hui un lieu de recueillement contre la culture de la violence policière à Nantes", observent Eric et Lucas. Mais le symbole provoque parfois de la haine. En février, à quelques jours d'intervalle, la fresque a été par deux fois vandalisée, souillée par des projections de peinture noire et une croix celtique, un signe utilisé par des groupuscules d'extrême droite. Eric et Lucas ont eu le temps de la restaurer. Une nécessité pour honorer la mémoire de Steve. Plus largement, les hommages au teufeur nantais se multiplient aussi dans les free parties qu'il chérissait tant. "Il y a souvent des mappings [animations vidéo] avec son visage et des mots, explique Manon. C'est maintenant vraiment ancré."

* C'est un pseudonyme

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