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"Je ne voulais pas lui donner la mort" : au premier jour du procès de Nordahl Lelandais pour le meurtre de Maëlys, un air de déjà-vu

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Nordahl Lelandais au premier jour de son procès pour le meurtre de Maëlys de Araujo, le 31 janvier devant la cour d'assises de l'Isère, à Grenoble.  (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Condamné à vingt ans de réclusion pour avoir tué Arthur Noyer, l’ancien maître-chien est jugé pour le meurtre de cette fillette de 8 ans et demi, enlevée à un mariage.

C'est une autre cour d'assises, une autre victime mais l'accusé, lui, n'a pas changé. A l'ouverture du procès de Nordahl Lelandais pour le meurtre de Maëlys de Araujo, lundi 31 janvier, à Grenoble (Isère), il est difficile de faire abstraction du procès qui s'est tenu huit mois plus tôt à Chambéry (Savoie). L'ancien maître-chien militaire de 38 ans y avait été condamné à vingt ans de réclusion pour l'homicide du caporal Arthur Noyer en avril 2017. Pour ce nouveau rendez-vous judiciaire, logé dans l'imposant palais de justice aux façades grises de la capitale des Alpes, l'accusé arbore le même style qui avait fait tomber le fantasme du tueur en série en tee-shirt Pepe Jeans : chemise bleue impeccable, barbe et cheveux poivre et sel soignés.

Ses mots font eux aussi écho à ceux qu'il avait prononcés le premier jour à Chambéry. Invité par la présidente Valérie Blain à réagir aux nouvelles charges qui pèsent contre lui, Nordahl Lelandais marque une pause, ostensiblement éprouvé : "Je vais me tourner vers la famille si vous m'y autorisez." La magistrate l'invite fermement à regarder la cour, le face-à-face est prématuré. "Je voudrais leur présenter mes excuses, leur dire que j'ai bien donné la mort à Maëlys, que je ne voulais pas lui donner la mort." Aux parents d'Arthur Noyer, il avait dit : "Oui j'ai donné la mort à Arthur Noyer mais sans vouloir la lui donner. (...) Je présente toutes mes excuses."

Une énigme non-résolue jusqu'ici

Le disque est le même mais le ton se fait plus humble. Il ploie sous le poids du dossier, matérialisé par les nombreux tomes alignés sur les tables du côté des parties civiles. Il est alourdi par sa précédente condamnation et la charge émotionnelle de cette affaire. Nordahl Lelandais est ici poursuivi pour avoir enlevé, séquestré et tué une fillette de 8 ans et demi, rencontrée lors d'un mariage à Pont-de-Beauvoisin le 26 août 2017. Il est aussi jugé pour avoir agressé sexuellement deux petites cousines peu de temps avant les faits. Le choix a été fait de scinder le parcours criminel d'un homme en deux procès.

A la photo souriante du jeune militaire de 23 ans tué cette même funeste année, qui lui faisait face aux assises de la Savoie, s'est substituée celle de la petite Maëlys. Le visage découvert voici quatre ans par la France entière est serré, dans son cadre, tout contre sa mère, Jennifer de Araujo. Un portrait plus grand, sous forme de peinture, est resté à l'extérieur de la salle, telle une image disposée à l'entrée de funérailles.

Avant l'ouverture de l'audience, les photographes se sont attardés sur un livre posé en évidence sur les bancs des avocats des parties civiles, L'Enigme des tueurs en série, par l'expert-psychiatre Daniel Zagury. Si rien ne permet d'affirmer que Nordahl Lelandais est un serial killer, il n'en demeure pas moins une énigme. Celle-ci n'a pas été résolue dans l'affaire Noyer. Le sera-t-elle cette fois-ci ? La cour s'y emploie avec énergie, examinant le curriculum vitae de l'accusé dès le premier jour des débats.

La cour bute sur les mêmes questions

L'enquêtrice de personnalité, qui avait déjà déposé en mai dernier, déroule d'un débit rapide l'enfance sans aspérités, "calme", dans "la joie et l'amour", entre un père attaché commercial dans les produits pharmaceutiques, certes un peu "absent", une mère assistante en radiologie, "attentionnée", et un frère et une demi-sœur aînés. Petit, Nordahl Lelandais est "peu loquace", un peu couvé et attaché à "l'ordre". Pas de quoi prédire la "bascule", tisser le lien entre "l'enfant qui réussissait tout ce qu'il touchait", selon sa mère, et l'adolescent sorti du système scolaire sans aucun diplôme. La cour bute sur les mêmes questions, comme le souligne Laurent Boguet, avocat de Joachim de Araujo, le père de Maëlys.

"Ni dans le cadre scolaire ni à l'intérieur de la cellule familiale, nous ne repérons d'évènement traumatique."

Laurent Boguet, avocat de Joachim de Araujo

devant la cour d'assises de l'Isère

Il y a bien cet arrêt soudain de son cursus en sport-études au collège du Châtelard, "option base-ball et saut d'obstacles". "Il s'est passé quelque chose mais il n'a jamais voulu m'en parler", avait témoigné sa mère lors du premier procès. L'enquêtrice s'en tient aujourd'hui à la version de Nordahl Lelandais : il y a mis fin "à cause de l'éloignement". Il y a bien, aussi, son échec dans l'armée, "une réelle vocation". Nordahl Lelandais est réformé P4 avant la fin de son contrat de cinq ans au bataillon cynophile de Suippes, dans la Marne. En cause, selon lui, une histoire de fléchette reçue dans l'œil de la part d'un supérieur.

De la difficulté d'avoir été proche de l'accusé

Ces deux épisodes peuvent-ils pour autant expliquer l'errance professionnelle et sentimentale qui a suivi ? Etablir une passerelle entre celui qui a enchaîné les ruptures et l'individu accusé de deux meurtres, dont celui d'une petite fille ? Le témoignage de sa demi-sœur Alexandra, entendue dans l'après-midi, ne viendra pas éclairer les jurés. Cette femme de 44 ans, cheveux rats, emmitouflée dans une grosse écharpe noire et un manteau bordeaux, sac en bandoulière, n'est pas plus prolixe que la dernière fois. Elle dépeint le frère d'avant, "protecteur", serviable, "enjoué". Et le frère d'après, "posé", qui "sait ce qui l'attend", une "vie en prison". Entre les deux, un gouffre d'incompréhension.

"Je connais une partie de lui et avec les médias, on a découvert une facette de mon frère qu'on n'imaginait pas."

Alexandra, la demi-sœur de Nordhal Lelandais

devant la cour d'assises de l'Isère

Alexandra a beau l'aimer "toujours" ce frère, malgré l'"horreur", elle "donne l'impression de vouloir s'échapper en courant" de cette barre, comme le lui glisse l'avocat de la mère de Maëlys, Fabien Rajon. Elle n'est pas la seule, semble-t-il, à vouloir se soustraire aux questions de la cour. Plusieurs anciens amis et ex-compagnes de Nordahl Lelandais, qui avaient fait le déplacement lors du premier procès, n'ont pas répondu présents aux convocations de la justice. Au risque d'hypothéquer la manifestation de la vérité. Pour certains, la présidente a ordonné qu'ils soient recherchés.

Il n'est pas simple d'avoir été proche de l'accusé. Encore moins d'avoir été sa mère. "Je n'ai pas le droit de vivre, j'ai juste le droit de crever !" s'est émue Christiane Lelandais, entendue en fin de journée. Cette petite femme au carré blond et au manteau rose s'est retrouvée, une fois de plus, dans la position inconfortable de celle qui n'en a peut-être pas assez fait. Ou trop fait. Lors de cette fameuse année 2017, "je me suis énormément occupée de mon mari qui était malade", raconte-t-elle.

"Je voyais que mon fils n'était pas très bien, je mettais ça sur le compte des amours et des désamours."

Christiane Lelandais, la mère de Nordahl Lelandais

devant la cours d'assises de l'Isère

L'avocat de son fils, Alain Jakubowicz, lui tend une perche. "Il y a une chose qui est acquise : Nordahl a donné la mort à une petite fille. On essaie de comprendre. ll n'a pas le profil d'un enfant abandonné qui a été violé, frappé, abandonné. On essaie de comprendre... Est ce que vous, vous avez une explication ?" Christiane Lelandais n'en voit qu'une seule : "L'alcool et la drogue. (...) C'est cette daube qui l'a rendu fou." Les experts-psychiatres qui ont examiné Nordahl Lelandais n'ont pas souscrit à cette analyse. Les jurés ont trois semaines pour se forger une intime conviction. 

Au terme de cette longue première journée, la parole est de nouveau donnée à l'accusé. Avant toute chose, il tient à rectifier un point de son parcours. S'il a quitté la section sport-études, dit-il, c'est parce qu'"il n'y avait pas de biathlon". La présidente est interloquée. "Pourquoi ce point là ?" "C'est le premier point que vous avez évoqué." Pour le reste, il faudra attendre la suite des débats. 

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