Comment Twitter s'est emballé après la publication de la photo de deux ados en pleins ébats sexuels
La photo d'une adolescente et de son petit ami, prise à leur insu, a été partagée des milliers de fois, au lendemain du réveillon du Nouvel An. Un cas exceptionnel qui illustre les dérives des réseaux sociaux.
L'ambiance du réveillon est festive. Quand Céline et Thomas* montent les escaliers, vers 23 heures, jeudi 31 décembre, les autres fêtards du Nouvel An se doutent bien de quelque chose. Un, deux, puis trois garçons leur emboîtent discrètement le pas, puis c'est au tour de Benoît. Le petit groupe ouvre la porte coulissante de la salle de bains et surprend les deux tourtereaux en pleins ébats, sur le lavabo. La jeune fille est bouche bée, tandis que le jeune homme affiche un sourire en coin. Benoît immortalise la scène avec son téléphone, dans l'hilarité générale.
"J'étais fatigué et mort de rire"
Les voyeurs se réfugient alors dans les toilettes, à l'étage du bas. La vidéo de quatre secondes est partagée sur Snapchat, avec la mention "Wshhhhhh". Cette application permet d'envoyer des photos ou des vidéos qui s'affichent sur l'écran du destinataire pendant quelques secondes, avant leur disparition. Si le destinataire tente d'en conserver une capture, l'émetteur est averti. En théorie.
Car ce soir-là, la vidéo est diffusée au-delà du cercle des participants. Benoît en fait profiter un ami d'internat, qui fête son réveillon à un autre endroit. "Sauf que son iPhone est 'craqué' [il a subi une modification] et, du coup, il peut conserver la vidéo sans que je reçoive un avertissement", précise Benoît à francetv info. Le destinataire décide de partager les images sur "story", un fil visible pendant 24 heures. Puis un de ses amis "screene" (enregistre) la vidéo. La capture est à son tour envoyée en privé à un autre ami, sur Twitter. Lequel décide de poster l'image sur son compte, à la vue de tous, avec cette mention : "BOOOONNNNNEEE ANNEE 2016".
Contacté par francetv info – via les réseaux sociaux –, ce jeune homme semble peu affecté par l'affaire : "Au début, on m'a montré la vidéo quand j'étais en soirée et ça m'a fait rire. Je ne les connais même pas. Je ne connaissais même pas leur nom au début. J'étais fatigué et mort de rire en même temps", concède-t-il aujourd'hui. Après la diffusion de la photo sur Twitter, les adolescents perdent totalement le contrôle de la situation. Au petit matin, la machine est lancée. "J'y croyais pas, je ne savais pas quoi répondre", explique pour sa part Benoît. Quant à Céline, elle est tenue à l'écart des réseaux sociaux par ses amies. "Elle était déjà très mal et c'était très dur pour elle."
Détournements, insultes et délation
Le 1er janvier, la gueule de bois est sévère. La jeune fille récupère son téléphone et mesure l'ampleur de la catastrophe. Accompagnée de sa mère, Céline, mineure, va donc porter plainte à la gendarmerie pour "atteinte à la vie privée par moyen électronique". Tout au long de la journée, la photo volée est partagée plusieurs milliers de fois. Le prénom et le nom de la jeune fille fuitent, car des captures de conversations privées ont été diffusées en public, là encore.
"Les gens l'ont beaucoup insultée, lui ont envoyé des messages, sont allés voir ses différents profils sur les réseaux sociaux et sont même allés jusqu'à embêter sa famille", explique l'une de ses amies, contactée par francetv info. A l'autre bout de la France, en effet, un étudiant trouve intelligent d'adresser des messages et la photo volée à un membre de la famille de Céline. Plutôt fier de son coup, il poste même une capture sur Twitter, avant d'être lui-même l'objet d'une vindicte qui l'oblige à supprimer son compte.
"J'ai envoyé ça pour prévenir, se justifie-t-il aujourd'hui auprès de francetv info. J'ai voulu faire la même chose pour le garçon sur la photo, mais je n'ai trouvé personne de sa famille." Le jeune homme fait amende honorable. "J'ai eu la mauvaise idée de mettre de l'ironie dans mon message." Selon lui, le cas de Céline et Thomas n'est pas isolé. "Ce genre de tweets arrive plusieurs fois par an, mais sans grande répercussion."
Avant minuit, le 1er janvier au soir, le prénom et le nom de la jeune fille remontent dans les trending topics de Twitter France, qui affiche les sujets les plus consultés du moment. Le quart d'heure de célébrité de Céline vire au cauchemar. Dans la nuit, une starlette de la téléréalité poste un commentaire de soutien à la jeune fille, ce qui achève de médiatiser l'affaire dans la twittosphère adolescente.
Le cliché fait l'objet de montages douteux et des faux comptes sont créés au nom de Céline et à celui de ses proches, sur Twitter et Facebook. Pour couronner le tout, un internaute va jusqu'à modifier le nom d'une jeune fille dans un ancien article du Parisien pour faire croire au suicide de Céline. Le nom de la commune, d'ailleurs, n'a pas été actualisé dans ce montage.
Entre vendredi 1er et lundi 4 janvier, plus de 100 000 tweets vont mentionner le prénom et le nom de l'adolescente, selon Libération. Mais les autres protagonistes se retrouvent également sous le feu des projecteurs.
Le vidéaste convoqué à la gendarmerie
Samedi 2 janvier, Benoît, mineur lui aussi, est convoqué à la gendarmerie, accompagné de son père. Avec l'affaire, son nom et sa photo sont également apparus sur les réseaux sociaux. "Le gendarme m'a même proposé de porter plainte pour diffamation. J'ai reçu plein de demandes sur Facebook et Messenger, la plupart provenant de filles qui venaient m'insulter."
Le même jour, Thomas donne quelques nouvelles sur Ask.fm, un réseau social de questions-réponses. "Céline et moi vivons une période difficile, merci à tous ceux qui m'envoient des messages de soutien. Ceux qui insultent en anonyme, portez vos couilles (sic)." Lundi, le jour de la rentrée a été difficile. Mais "grâce à son entourage, Céline n'a pas cédé, et elle est allée en cours", témoigne une amie. "Elle a pris beaucoup de recul sur ça, et a même rigolé sur certains commentaires désagréables postés par des gens."
Contactée par Libération, la mère de la jeune fille s'est lancée dans des démarches complexes pour faire cesser l'affaire. "J’ai mis huit heures pour obtenir la fermeture de fausses pages [sur Facebook]", explique-t-elle au quotidien. Mais pour convaincre Twitter d'effacer les faux comptes, en revanche, elle a dû remplir "plusieurs formulaires" et fournir sa carte d'identité ainsi que celle de sa fille. L'enquête est toujours en cours. "Les gendarmes ont déjà pas mal de choses, d'autres auditions vont être menées dans les jours qui viennent, avec différentes personnes impliquées dans la diffusion", indique le procureur en charge de l'affaire.
"Ce n'est pas un coup monté, c'est de la connerie"
"C'est un phénomène de plus en plus régulier", regrette le procureur, même si ce cas est inédit par son ampleur. "Le plus souvent, ce sont les jeunes eux-mêmes qui s'envoient volontairement des photos, avant d'en perdre le contrôle." Dans la grande ville voisine, des faits de ce genre sont désormais évoqués à chaque audience correctionnelle.
Alors que les cas de harcèlement en ligne se multiplient, Twitter a mis à jour sa politique (en anglais), le 30 décembre dernier. Objectif ? Lutter contre "les comportements ayant pour but de harceler, intimider ou utiliser la peur pour mettre sous silence la voix d'un autre utilisateur". L'histoire de Céline et Thomas montre avec cruauté les limites de ces garde-fous.
Le procureur regrette que les jeunes ne soient pas davantage sensibilisés à ces violences numériques. Quand on interroge les protagonistes, certaines réponses laissent en effet songeur. Le jeune homme qui a posté la photo sur Twitter, par exemple, n'a pas l'intention de présenter des excuses. "Les deux auraient dû dire à l'auteur de la vidéo de supprimer ou de cacher leurs visages, au moins." L'inversion des rôles peut paraître étonnante, mais comme l'écrit une amie de l'adolescente, sur Ask.fm, "les gens ne se rendent pas compte que les photos, ça circule jusqu'à se retrouver sur internet. Ce n'est pas un coup monté, c'est de la connerie."
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(*) Tous les prénoms ont été modifiés dans cet article. Nous avons volontairement omis de citer le nom de la ville où ont été filmées les images.
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