Un mois après l'attaque de l'Hyper Cacher, un "Hyper Chabbat" en hommage aux victimes
A l'occasion de la fête religieuse, vendredi, les juifs saluent la mémoire des quatre hommes tués, le 9 janvier, porte de Vincennes. Reportage.
Emmitouflés dans leurs manteaux sombres, les deux amis s'arrêtent devant la barrière et les gerbes de fleurs. Ils lèvent la tête et posent leur regard sur le magasin en travaux. Un long silence, puis cette phrase : "Ça nous manque, hein ?" Les deux hommes venaient faire leurs courses, ici, "tous les deux ou trois jours", à l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris. Jusqu'à l'attaque terroriste du 9 janvier, où quatre juifs ont été tués. "Cela aurait pu être nous."
Vendredi 6 février, quatre semaines plus tard, jour pour jour après le drame, les deux retraités viennent suivre l'avancée du chantier de remise en état. Des ouvriers spécialisés dans le bâtiment et la réfrigération travaillent dans la boutique, dont le sol est toujours couvert de poussière. "La réouverture, c'est la meilleure réponse après l'attaque, commente l'un des deux voisins, ancien commercial. Moi, j'aurais même agrandi le magasin."
"Réaliser le testament" d'une des victimes
C'est jour de chabbat pour les juifs, qui doivent observer vingt-cinq heures de repos, de vendredi soir jusqu'à samedi soir, pour marquer le septième jour de la semaine juive. C'est même jour d'"Hyper Chabbat", à l'initiative du Consistoire central israélite de France. L'union des communautés juives a décidé de marquer la fin du mois de deuil des quatre victimes par une fête religieuse particulière, plus marquée qu'un chabbat ordinaire. Les croyants, plus ou moins pratiquants, sont invités à faire un geste supplémentaire (allumer une bougie, aller à la synagogue, etc.) et à avoir une pensée pour les morts.
Faire "Hyper Chabbat", c'est ainsi "réaliser le testament d'un jeune juif assassiné, Yoav Hattab, 21 ans, qui, quelques heures avant l'irrémédiable, avait demandé à un ami de respecter chabbat", indique le président du Consistoire, Joël Mergui. C'est aussi réaffirmer la liberté de culte.
Oser ressortir
Esther, 28 ans, s'extrait de la boulangerie pâtisserie casher Charles Traiteur, qui jouxte l'Hyper Cacher. Elle a appris via Facebook l'initiative du Consistoire et se réjouit de ce moment de "rassemblement". Souriante, elle affirme n'avoir plus "peur", même s'il lui a fallu du temps pour se remettre du choc. "Pendant deux semaines, je ne suis plus allée faire les courses dans les magasins cashers et je n'ai pas emmené ma fille à l'école juive où elle est scolarisée", confie-t-elle.
La jeune femme a vécu cinq ans en Israël, où elle a rencontré son mari, avant que le couple ne vienne s'installer porte de Vincennes. "Là-bas, il y a des attentats tous les jours, explique-t-elle. Les gens s'y sont habitués et les soldats sont rôdés." Esther rentre chez elle, car elle doit cuisiner avant la tombée de la nuit. De son sac de courses dépassent deux "hallot", des pains briochés qu'elle partagera en famille pour célébrer l'arrivée de l'"Hyper Chabbat".
Chez Charles Traiteur, où certains passants ont pu se réfugier lors de la prise d'otages, "la confiance revient doucement, les clients aussi", confirme une vendeuse. L'un d'eux, Maurice, 50 ans, sous son bonnet noir, constate cependant que "les gens font leurs courses très vite et ne s'attardent pas".
Des militaires chouchoutés devant les synagogues
Malgré le soleil, un vent glacial fouette les visages. Stoïques, deux policiers montent la garde devant l'Hyper Cacher. Impossible de se garer à proximité, ni de rester trop longtemps devant les barrières sans éveiller les soupçons et déclencher un contrôle d'identité. Une certaine tension demeure. Une femme se retourne au passage d'un homme noir au visage masqué... par son écharpe, pour se protéger du froid.
Pour cet "Hyper Chabbat", dont tous n'ont pas eu connaissance, les croyants se disent partagés entre la joie et l'angoisse. Cette fête religieuse est assombrie par le contexte actuel, qui a encore été alourdi, mardi, par l'attaque contre trois militaires devant un centre juif, à Nice (Alpes-Maritimes). "Moi, j'accuse le coup depuis 2006 et l'assassinat d'Ilan Halimi, en 2006, que j'accuse le coup", confie Andrée, 60 ans, qui vient "deux fois par jour" devant les gerbes de fleurs.
Spontanément, beaucoup évoquent la perspective de quitter la France, un jour, pour s'installer en Israël. "On n'arrive pas à trouver de solutions, alors on parle de faire son 'aliyah', de partir", indique Cyril, 35 ans. Il salue le travail du "gouvernement" et des "policiers", et raconte avoir offert une soupe aux trois membres des forces de l'ordre qui protègent la synagogue où il se rend. Sa belle-mère, elle, fait partie d'un groupe qui se relaye pour apporter à manger aux militaires devant une synagogue des Lilas (Seine-Saint-Denis).
Avant même l'"Hyper Chabbat", l'attaque contre l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes a incité Cyril à "pratiquer un peu plus". Samedi, il ira à la synagogue et évitera de conduire et d'allumer son téléphone, pour respecter la tradition de chabbat. Chez lui, une bougie de plus sera allumée, "en hommage aux victimes".
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