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Attentat près de la tour Eiffel : peut-on parler de "ratage" dans le suivi psychiatrique du suspect, comme l'affirme Gérald Darmanin ?

Selon le ministre de l'Intérieur, "les médecins ont considéré à plusieurs reprises" qu'Armand Rajabpour-Miyandoab, déjà condamné pour des faits en lien avec le terrorisme et qui avait fait l'objet d’une injonction de soins, "allait mieux".
Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le siège de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), le 13 juillet 2018. (ARTHUR NICHOLAS ORCHARD / HANS LUCAS / AFP)

Un touriste germano-philippin a été tué et deux autres personnes ont été blessées samedi soir près du pont de Bir-Hakeim, dans le cœur de Paris. Depuis cette nouvelle attaque terroriste qui a frappé la France, les autorités mettent en avant le profil psychiatrique de l'unique suspect, interpellé par la police. "Comme souvent dans ces affaires, s'entremêlent une idéologie, une personnalité influençable et malheureusement la psychiatrie", a estimé dimanche sur France 3 le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau. "Il y a eu manifestement un ratage psychiatrique, les médecins ont considéré à plusieurs reprises qu'il allait mieux", a déclaré de son côté Gérald Darmanin lundi 4 décembre, sur BFMTV. Qu'en était-il du suivi sur le plan de la santé mentale de ce Franco-Iranien de 26 ans ?

Armand Rajabpour-Miyandoab était déjà connu de la justice antiterroriste et des services de renseignement. Interpellé en août 2016 pour un projet d'action violente contre le quartier d'affaires de La Défense et des velléités de départ en zone irako-syrienne, ce jeune homme radicalisé, étudiant en BTS de gestion des transports et logistique en alternance, est condamné en 2018 à cinq ans de prison, dont un avec sursis. Il est alors jugé pleinement responsable de ses actes.

Une injonction de soins plus d'un an après sa sortie de prison

Pendant sa détention, des troubles psychiatriques sont "relevés", comme l'a expliqué dimanche le procureur antiterroriste, Jean-François Ricard, lors d'une conférence de presse. Pourtant, à sa sortie de prison, le 25 mars 2020, aucune obligation de soins n'est prononcée dans le cadre de sa mise à l'épreuve, prévue pour durer trois ans, le maximum. En octobre de la même année, Armand Rajabpour-Miyandoab se présente au commissariat pour signaler qu'il a été en contact sur les réseaux sociaux avec l'auteur de l'assassinat de Samuel Paty, Abdoullakh Anzorov. Placé en garde à vue 48 heures, il ressort sans aucune poursuite. Mais dans les semaines suivantes, le Parquet national antiterroriste (Pnat) reçoit des informations inquiétantes sur "l'évolution" des troubles psychiatriques du jeune homme. En décembre 2020, le Pnat demande une obligation de soins.

C'est dans ce cadre qu'Armand Rajabpour-Miyandoab se voit prescrire un traitement médicamenteux (un neuroleptique atypique, un antipsychotique de deuxième génération). Selon les informations de franceinfo, ce traitement est interrompu en mars 2022, avec l'accord du médecin. Deux mois plus tard, le Pnat demande une nouvelle expertise psychiatrique et requiert une injonction de soins, plus contraignante que la simple obligation. Le Service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip), chargé de le suivre, a entre-temps alerté le juge d'application des peines (JAP) "sur un certain nombre de comportements", explique à franceinfo une source judiciaire.

L'expertise psychiatrique, remise en août 2022, confirme la nécessité d'un suivi psychiatrique et d'une injonction de soins, ordonnée le 19 septembre 2022 par le JAP. Elle implique un suivi psychiatrique resserré et contrôlé par un médecin coordonnateur, mais pas forcément une prescription de médicaments. Dans ses rapports successifs, ce médecin référent ne conclut pas à la nécessité de reprendre un traitement médicamenteux, a appris franceinfo de source proche du dossier.

Un signalement de sa mère en octobre

A la fin de la mesure, en avril 2023, le médecin n'identifie aucune dangerosité d'ordre psychiatrique. Le psychologue qui suit Armand Rajabpour-Miyandoab au sein du Spip note une évolution positive du condamné : l'obligation de travail et les rendez-vous sont respectés, et les soins sont conformes aux injonctions médicales. A compter de cette date, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) prend le relais pour la surveillance du "sortant", comme l'a précisé dimanche Jean-François Ricard.

A l'automne, sa mère se tourne vers les autorités. Elle signale fin octobre "son inquiétude" car son fils "se replie sur lui-même", a expliqué le procureur antiterroriste lors de sa conférence de presse, ajoutant qu'"aucun élément" ne nécessitait alors "de nouvelles poursuites pénales". "La DGSI l'a recontactée et lui a proposé de demander l'hospitalisation par tiers", a précisé lundi le ministre de l'Intérieur. La mère d'Armand Rajabpour-Miyandoab a refusé, "manifestement parce qu'elle avait peur de son enfant", selon Gérald Darmanin.

L'admission en soins psychiatriques sans consentement du patient peut intervenir soit sur décision du directeur d'hôpital, à la demande d'un tiers ou en cas de péril imminent pour la personne, soit sur décision du préfet, lorsque les agissements de la personne constituent une menace pour autrui et un trouble à l'ordre public. Autant d'éléments qui n'étaient, visiblement, pas réunis à ce moment-là. 

Un état pas incompatible avec la garde à vue

"On n'aborde la question de ce passage à l'acte que sous l'angle du soin. Or, nous avons affaire à quelqu'un qui a une idéologie jihadiste", fait observer une source judiciaire auprès de franceinfo. Selon nos informations, Armand Rajabpour-Miyandoab n'a pas manifesté, après son interpellation, de trouble incompatible avec sa garde à vue et aucune nouvelle expertise psychiatrique n'a été sollicitée à ce stade. Avant son attaque, il a enregistré une vidéo de revendication dans laquelle il prête allégeance au groupe Etat islamique et apporte son soutien aux jihadistes agissant dans différentes zones.  

"Ce n'est pas le passage à l'acte d'un fou, on ne peut pas prendre en considération uniquement la partie psychiatrique de cet individu. Il a des capacités d'élaboration et de discernement."

Une source judiciaire

à franceinfo

Denis Leguay, président de la fédération Santé mentale France, reste, lui, très prudent sur les explications possibles du passage à l'acte. "On peut s'interroger sur l'influence de tout ce qui se passe dans l'actualité, qui est abondamment relayé et qui peut agir sur le comportement et le bon équilibre psychique de ce genre de personne présentée comme fragile", a-t-il analysé auprès de l'AFP. "Parler d'un raté de la psychiatrie, c'est une attaque assez grossière contre notre profession, déjà maltraitée", a de son côté réagi Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l'université Paris-Cité, auprès de l'agence de presse.

L'enquête, qui ne fait que commencer, devra faire la lumière sur le poids respectif de l'idéologie et des troubles psychiatriques dans cet attentat. Selon une source proche de l'enquête, Armand Rajabpour-Miyandoab assume son geste, en réaction à "la persécution des musulmans dans le monde". Sa garde à vue peut durer jusqu'à 96 heures, avant une probable mise en examen.

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