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Attaque au couteau à Annecy : "Ce traumatisme collectif ne doit pas instaurer chez nous une sorte d'arrêt de la pensée", explique le psychiatre Michel Lejoyeux

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Article rédigé par franceinfo
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La psychiatre Michel Lejoyeux répond aux questions de franceinfo au lendemain de l'attaque au couteau à Annecy qui a fait six blessés, dont quatre enfants.

Au lendemain de l'attaque au couteau à Annecy (Haute-Savoie) qui a fait six blessés, dont quatre jeunes enfants, le professeur Michel Lejoyeux, chef des services de psychiatrie des hôpitaux Bichat et Maison Blanche à Paris, explique comment appréhender un tel drame et aborder le sujet avec des enfants.

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franceinfo : C'est un drame national ce qui s'est passé hier à Annecy ?

Michel Lejoyeux : C'est un drame qui nous bouleverse évidemment tous. Il va mobiliser, si on peut dire, en termes de psychologie, ce qu'on appelle notre empathie, notre compassion, notre aptitude humaine à souffrir avec celles et ceux, soit qui ont été directement concernés, soit qui sont les proches.

"La définition de l'empathie, c'est ressentir des émotions tout en restant quand même à sa place, tout en ne se ressentant pas directement comme une victime. C'est peut-être ça qu'il va falloir essayer de ressentir. C'est évidemment être dans la situation, mais se rappeler aussi où on est, nous, chacune et chacun d'entre nous."

Michel Lejoyeux, psychiatre

à franceinfo

Vous dites que ça touche chacun des Français. Pourquoi ? D'abord parce ce sont des enfants qui sont les victimes principales ?

Bien sûr, parce que ce sont des enfants, et aussi parce que, au fond, cela attaque ce qui est une des bases de la vie, c'est-à-dire le sens et la cohérence. C'est totalement incohérent, cette information. Vous pouvez en parler, la discuter et au fond, à chaque fois, on est confronté à cette incompréhension. On va chercher des motifs et peut-être qu'on en trouvera, mais cela n'enlève rien au caractère incohérent et insensé.

On ne peut pas exclure un acte insensé, c'est la procureure de la République elle-même qui le dit. On n'a pas d'explication à ce stade. Cela ajoute à notre désarroi, finalement ?

Evidemment, et c'est comme ça qu'il faut le prendre. C'est pour ça aussi qu'il va falloir faire attention, notamment vis-à-vis des plus jeunes. Quand il n'y a pas d'explications, c'est comme en médecine : moins on a d'explications, plus on débat. Quand on a une maladie simple, on a une cause et on a un traitement. Là, on n'a pas d'explication simple. Donc il va falloir faire attention à ce qui est l'information, mais qu'en même temps il n'y ait pas le débat permanent. 

"Il y a un impact des informations, mais il y a aussi un impact du temps qu'on va consacrer à ces informations. Donc, bien sûr qu'il faut les donner aux jeunes. On ne va pas les mettre dans une bulle et les protéger."

Michel Lejoyeux, psychiatre

à franceinfo

Il faut en parler aux plus jeunes ?

Bien sûr qu'il faut ! D'abord, il faudrait être complètement dans une bulle de non-communication pour ne pas l'entendre. On ne va pas leur créer une réalité alternative. Mais il faut en même temps leur donner un sentiment de continuité. C'est-à-dire que leur vie, la vie des plus jeunes, leurs loisirs, leur vie scolaire continue. Il ne s'agirait pas que tout s'arrête pour être remplacé par une confrontation permanente, soit des images, soit des débats. Du coup, les plus jeunes se demandent à quoi ils sont exposés.

On a aussi vu et entendu sur franceinfo des parents, des grands-parents à Annecy qui ont souhaité dès jeudi réinvestir, se réapproprier ce parc pour enfants. C'est donc à la fois un lieu de recueillement, parce qu'il y a eu un drame, mais aussi un lieu de vie ?

Oui, et je crois que surtout, face à un traumatisme, chacun ne réagit pas de la même manière. Il y a ceux qui vont avoir besoin de parler, besoin de réinvestir, ceux qui vont avoir besoin de ne pas parler, de dire : "Ça y est, je n'ai plus envie." Respectons les réactions individuelles.

Il faut s'écouter et il faut se ménager des moments où on peut souffler, des moments où on peut se tourner vers des informations plus joyeuses, peut-être ?

Oui. Et cette question de la continuité est importante. Il faut vraiment que ce traumatisme, qui est un traumatisme collectif, qui est un traumatisme national, n'instaure pas chez nous une sorte d'arrêt de la pensée ou d'arrêt de la capacité à investir.

Les policiers n'ont pas pu entendre l'agresseur, qui est décrit comme très perturbé, très agité. Les médecins ont même dû intervenir pour le calmer. Ça veut dire que l'expertise psychiatrique, le travail des psychiatres qui commence, il est primordial pour essayer justement de comprendre ?

Oui, le psychiatre que je suis doit aussi rappeler qu'il ne faut pas associer psychiatrie et criminalité. Rappelons quand même que nos malades sont les premières victimes de cette violence. Donc n'ayons pas une sorte de raccourci qui serait mortifère, qui ferait dire que quand quelque chose de criminel arrive, c'est forcément un malade psychiatrique. Pensons aux familles de malades, pensons aux malades, qu'ils ne subissent pas une stigmatisation ou une exclusion de plus. Peut-être que cette personne a un trouble mental et il m'appartient pas de le dire à distance. Mais surtout ne faisons pas ce raccourci psychiatrie-criminalité.

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