Procès des policiers dans l'affaire Théo : entre "coup proportionnel au danger" et "geste pas réglementaire", la défense sur le fil des accusés

Jugés pour violences volontaires, les trois policiers impliqués dans l'interpellation violente de Théo Luhaka en 2017, ont été interrogés sur les faits, mardi et mercredi, devant la cour d'assises de la Seine-Saint-Denis.
Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Marc-Antoine C., devant les assises de la Seine-Saint-Denis, où il est jugé pour des violences lors de l'interpellation de Théo Luhaka depuis le 9 janvier 2024. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

"J'ai causé une blessure qui est affreuse sans en avoir l'intention." Au septième jour de son procès, mercredi 17 janvier, Marc-Antoine C., le policier auteur du coup de bâton télescopique de défense (BTD) qui a blessé Théo Luhaka au niveau de la zone anale au cours de son interpellation le 2 février 2017, a reconnu un geste volontaire. Il n'en mesurait pas la gravité, se défend-il, alors que le jeune homme, âgé de 22 ans à l'époque, en garde aujourd'hui des séquelles irréversibles. Une blessure à laquelle l'accusé, jugé pour "violences volontaires par une personne dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné une infirmité permanente", dit penser "tous les jours".

"Sur le moment, avec le coup que je donne, je n'utilise pas une force démesurée", explique le fonctionnaire de 34 ans, qui avait exprimé sa "profonde compassion" au premier jour de son procès, mardi 9 janvier. L'ancien policier, qui n'est désormais plus sur le terrain et se définit comme "un assistant" faisant "des dépannages informatiques", s'évertue à démontrer, lors de son interrogatoire face à la cour d'assises de la Seine-Saint-Denis, que son geste était légitime et proportionné.

"Mon objectif, c'est de venir toucher le haut de la cuisse pour le faire fléchir. Mon action, elle est là, je porte ce coup avec cette intention."

Marc-Antoine C., accusé

devant la cour d'assises de la Seine-Saint-Denis

"Je n'ai pas perçu qu'il avait mal quelque part, jamais il ne l'a exprimé", soutient-il à la barre, d'une voix posée, sans manifester de tic nerveux, contrairement à ses anciens collègues interrogés avant lui. 

"Un coup proportionnel au danger"

Quand vient son tour de l'interroger, Antoine Vey, l'avocat de Théo Luhaka, insiste sur ce coup de matraque "pas juste moyen". "Je pense que je porte un coup proportionnel au danger", répète Marc-Antoine C. L'avocat général prend le relais. "Comment vous avez pu dire, au départ, que Théodore Luhaka a glissé sur le bâton télescopique ? Je n'ai toujours pas compris comment on peut glisser sur un BTD...", pointe Loïc Pageot en pesant chaque mot. L'avocat général relève dans le récit du policier "beaucoup d'imprécisions". "On vous reproche d'avoir donné ces coups et les conditions dans lesquelles ils sont donnés", souligne-t-il. 

Car l'accusé est également jugé pour un coup de poing porté à Théo Luhaka derrière un mur, alors que celui-ci était menotté. Une scène qui s'est déroulée à l'abri des caméras de vidéosurveillance mais qu'une riveraine a filmée avec son téléphone portable. Les images sont projetées sur les écrans de la salle d'audience. "Heureusement qu'on a la vidéo de cette scène, sinon on n'aurait rien", souligne Antoine Vey. A l'avocat de Théo Luhaka, l'ex-policier parle du coup de poing comme d'un "stimuli", avant de faire acte de contrition : "J'ai mis une gifle à monsieur Luhaka, que je regrette, et qui n'a pas lieu d'être." Il reconnaît que "ce geste de la main", "instinctif", n'était pas "réglementaire", "pas déontologique".

"Un léger coup pour couper la respiration"

Mardi, lors de son interrogatoire devant la cour, son ancien collègue, Jérémie D., qui a repris son activité de policier dans le Sud-Ouest après une suspension de deux ans, a reconnu, quant à lui, avoir asséné un coup de genou "ni adéquat, ni légitime". Ce geste, pour lequel le gardien de la paix, chef du groupe le jour de l'interpellation, est jugé, a projeté Théo Luhaka contre un muret, alors qu'il était menotté. "Je suis sur un pic d'adrénaline, il y a de la crispation, de l'énervement", justifie le fonctionnaire, aujourd'hui âgé de 43 ans. La justice lui reproche également trois tirs de gaz lacrymogène. "C'était involontaire, jure l'agent. Je suis conscient d'avoir mordu la ligne blanche, mais je ne l'ai jamais franchie".

Le troisième policier, Tony H., lui, reste "droit dans ses bottes" comme il le dit lui-même. Il estime que son geste, "enseigné en école de police", était "proportionnel et légitime". Lui comparaît pour avoir donné un coup de poing à l'abdomen à Théo Luhaka alors que le jeune homme se trouvait déjà au sol. "Pour vous, c'était nécessaire ?", insiste la présidente de la cour d'assises, les yeux écarquillés. Tony H., qui exerce actuellement dans une Brigade anti-criminalité (BAC), acquiesce : "Ce n'était pas un coup violent, mais un léger coup pour couper la respiration." "Pour parvenir à ce menottage le plus rapidement possible", affirme-t-il.

"A aucun moment, je ne perçois qu'il a mal, je ne l'ai jamais entendu crier", poursuit Tony H. Pourtant, les photos projetées à l'audience montrent des sièges de voiture maculés de sang. Au cours de leurs interrogatoires respectifs, mardi et mercredi, les trois policiers assurent avoir réalisé la gravité des blessures de Théo Luhaka à leur arrivée au commissariat, quand leurs collègues ont déclenché les secours. Restent les questions sur ce qui a pu se passer pendant le trajet dans le véhicule de police. Les trois fonctionnaires renvoyés devant les assises de la Seine-Saint-Denis nient toute insulte ou propos racistes. 

"On nous fait passer pour des policiers agressifs, racistes, haineux. Ce n'est pas du tout ça."

Marc-Antoine C., accusé

devant la cour d'assises de la Seine-Saint-Denis

"Je compatis à votre douleur, même si vous me détestez", déclare en conclusion de son interrogatoire Marc-Antoine C., en s'adressant à Théo Luhaka et sa famille. Le principal accusé encourt quinze ans de réclusion criminelle. Jérémie D., lui, risque dix ans de prison, car trois circonstances aggravantes des violences volontaires ont été retenues, et Tony H., sept ans de prison.

La présidente de la cour d'assises les sollicite une dernière fois pour une ultime déclaration. Le premier affirme : "Madame la présidente, je souhaitais vous dire qu'on vous a tout dit, en toute sincérité." Tony H. abonde. "Nous sommes désolés pour la gravité de cette blessure", répète-t-il. Leurs avocats respectifs plaideront l'abandon de toutes les charges à leur encontre, après les réquisitions de l'avocat général jeudi et avant le verdict, attendu vendredi.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.