L’arsenal de Merah lève un coin du voile sur le trafic d’armes en France
FTVi dresse l'état des lieux, alors que l’enquête doit déterminer comment l’auteur des tueries de Toulouse et Montauban s’est procuré autant d’armes et de munitions.
Un pistolet-mitrailleur Sten, un revolver Python, un fusil à pompe, un fusil-mitrailleur Uzi, trois pistolets automatiques colt 45 de calibre 11,43 mm, des munitions et des explosifs… Voici, en substance, l’arsenal de guerre dont disposait Mohamed Merah. Ces armes ont été retrouvées dans l’appartement du tueur de Toulouse ainsi que dans deux voitures qu’il avait louées.
Comment ce jeune homme de 23 ans a-t-il pu se constituer un tel stock ? L’enquête va devoir le déterminer. Au-delà, l’affaire relance le débat sur le trafic d’armes en France. L’un des candidats à la présidentielle a saisi la balle au bond : s’il est élu, François Bayrou (MoDem) a promis, dimanche 25 mars, de faire de "la lutte contre le trafic d'armes (...) une priorité de l'action publique". Combien sont en circulation ? Comment se les procure-t-on ? FTVi dresse un état des lieux.
• "Kalach", colt 45, Uzi… les armes en circulation
L’arsenal de Mohamed Merah résume à lui seul le type d’armes en circulation sur le marché noir français, plutôt "florissant", selon la police. "Le colt 45, c'était l'arme de prédilection des truands dans le sud-est" du pays, explique François Thévenot, secrétaire national de l'Union syndicale des magistrats, qui a suivi des affaires de grand banditisme à Nice dans les années 1990. "Cette arme américaine a été fabriquée à des millions d'exemplaires (...) et diffusée massivement pendant la seconde guerre mondiale, notamment par la Résistance", précise-t-il.
"On trouve de tout sur le marché noir français, des Uzi (de fabrication israélienne), des Sten (arme britannique de la seconde guerre mondiale) qui ne sont pas des armes de haut niveau", relève un spécialiste, tout en notant que Mohamed Merah ne possédait a priori pas dans sa collection l'arme la plus emblématique du marché français, la kalachnikov. Sur ce point, les informations varient selon les sources.
De manière générale, les armes traditionnelles s'effacent devant les armes de guerre, selon David-Olivier Reverdy, secrétaire régional du syndicat Alliance. A Marseille, où une vingtaine de règlements de comptes ont fait 16 morts et 13 blessés en 2011, "la quasi-totalité des règlements de comptes sont réalisés à l'arme de guerre. Elles prennent le pas sur les armes de poing, souligne-t-il. Dans les cités, si on n'a pas une 'kalach', on est un peu ringard."
• Combien en compte-t-on ?
François Thévenot parle d’une offre "abondante" en France. Selon Pierre Laurent, expert en balistique joint par FTVi, entre "10 et 18 millions" d’armes, légales et illégales, circuleraient sur le territoire. Certains spécialistes évoquent même le chiffre de 30 millions.
Du côté des armes légales, le ministère de l’Intérieur en dénombre, selon l’agence Reuters, 7,5 millions. Elles sont détenues, notamment, par les tireurs sportifs et les chasseurs. Un décret datant du 18 avril 1939, modifié en 1995 et 2012, classe les armes en huit catégories. Cela va des armes de guerre et de défense, soumises à autorisation, aux armes de chasse et de tir, soumises à déclaration en préfecture, en passant par les armes historiques et de collection, en vente libre sans déclaration.
Du côté des armes illégales, l'Office central de lutte contre le crime organisé, chargé de ce dossier auprès du ministère, affirme ne disposer d’aucun chiffre. "Comment voulez-vous recenser ? C’est impossible. On ne va pas aller faire des perquisitions dans toutes les cités", lâche une source policière contactée par FTVi. Les estimations globales atteignent toutefois plusieurs millions.
Thierry Coste, secrétaire général du Comité Guillaume Tell, qui regroupe l'ensemble des utilisateurs légaux d'armes à feu en France (armuriers, chasseurs et tireurs sportifs), relativise : "Au final, les armes détenues par les malfrats ne sont pas en quantité si importante. D'ex-Yougoslavie, ils n'en remontent pas 5 000 dans les voitures mais 1, 2, 3 ou 4."
• Comment se les procure-t-on ?
"N’importe qui peut avoir accès au marché parallèle." Thierry Colombié, spécialiste du grand banditisme interrogé par FTVi, est formel. Se procurer une arme en France est chose facile. A condition d’aller au bon endroit et de connaître les bonnes personnes.
Les casses de voitures constituent souvent un point de rencontre entre fournisseurs et acheteurs, nous confie une source bien informée, précisant que les munitions sont plus difficiles à se procurer que des armes ou même qu’une voiture volée.
D'où viennent ces armes ? Le plus souvent des Balkans. Elles "transitent par l'Italie, puis entrent en France par le sud-est du pays. Ensuite elles se dispersent sur le territoire. C'est un trafic diffus", explique le député Claude Bodin (UMP), cosignataire d'une réforme du contrôle des armes à feu qui vient d'être adoptée. Les spécialistes craignent l'arrivée prochaine d'armes de Libye.
"Les filières sont assez multiples", confirme Thierry Colombié. Certains pointent le rôle de l’ouverture des frontières européennes dans la prolifération des armes illégales sur le territoire français. Mais les opérations militaires à l’étranger constituent parfois le point de départ d’un trafic. "En échange de certains services, des militaires entrent en contact avec des malfrats sur place. De retour en France, ils acceptent parfois, contre de l’argent, de devenir pourvoyeurs d’armes et de munitions", indique un spécialiste.
• Combien coûtent-elles ?
Mohamed Merah a affirmé s’être procuré son arsenal pour 20 000 euros. De l'argent collecté, selon lui, grâce à des casses et des cambriolages. Il aurait également disposé d’une cagnotte de guerre laissée par "ses frères d’armes" au Waziristan, une région du Pakistan.
De grosses sommes ne sont pas forcément nécessaires pour se procurer des armes en France. Une kalachnikov contrefaite se vend 150 euros à Marseille. Le prix d’un modèle authentique peut aller jusqu’à 3 000 euros, selon Philippe Nobles, le chef de la section centrale "armes, explosifs et matières sensibles" de la police judiciaire cité par Europe 1.
Mais dans l'ensemble, quelques centaines d’euros suffisent pour s’acheter un fusil à pompe ou un pistolet mitrailleur de marque Sten. Selon Pierre Laurent, l’Uzi, plus rare, coûterait un peu plus cher ("entre 2 000 et 3 000 euros"), tout comme le colt 45 et le revolver Python ("1 500 euros").
En outre, pour partager la dépense, la mutualisation des armes de guerre est un phénomène important sur le marché illégal, selon Claude Bodin. "Vous pouvez avoir dans une cave 10 ou 15 armes illégales qui servent à plusieurs bandes, à des moments différents. C'est cette mutualisation qui donne l'impression qu'elles sont extrêmement nombreuses", souligne le député du Val-d'Oise.
• Comment les réseaux sont-ils démantelés ?
L’accent semble surtout mis sur la prévention. Environ 18 000 personnes interdites de détention d’armes figurent dans le fichier Finadia (Fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes). En outre, la réforme des armes à feu publiée le 7 mars 2012 durcit les sanctions pour détention illégale et actualise la législation qui datait en partie de 1939.
Mais pour certains, il est déjà trop tard puisque la majorité de ces armes sont déjà présentes en France. "Nous avons déjà l'une des législations les plus sévères en Europe sur les armes et cela n'a pas empêché de les voir arriver sur le territoire", rappelle Mohamed Douhane, un des responsables du syndicat de police Synergie-officiers. "Pour s'attaquer au phénomène, il faut des peines plus sévères, une meilleure traçabilité, et un contrôle accru au niveau européen", avance-t-il.
De fait, depuis plusieurs années, policiers et les gendarmes alertent sur une "prolifération anarchique" de ces armes en France. Selon nos informations, une note interne de la police toulousaine faisait état, en octobre 2011, d’armes létales en circulation dans les quartiers sensibles. Pour autant, de source policière, aucune filière n’a depuis été démantelée dans le secteur. "Les moyens ne sont pas mis là-dessus, lâche un policier de la ville à FTVi. Démanteler des réseaux d’armes fait moins gonfler les statistiques que poster des policiers à un feu rouge."
La fusion entre les services des renseignements généraux (RG) et de la Direction de la surveillance du territoire (DST) est également pointée du doigt. Elle a donné naissance en 2008 à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Selon Thierry Colombié, "l'essentiel des moyens a été alloué à la lutte contre le terrorisme et concentré en région parisienne". Au détriment de villes de province, comme Toulouse.
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