Carlton : malgré le grand déballage sur "ses pratiques sexuelles dévoyées", DSK marque des points
A son deuxième jour d'audition, l'ex-directeur du FMI, jugé devant le tribunal correctionnel de Lille (Nord) pour proxénétisme aggravé, a su renverser la situation à son avantage.
DSK s'agace. Il ne comprend pas qu'on s'attache à étudier de si près sa sexualité, et refuse de voir le lien avec le procès de l'affaire dite du Carlton de Lille. Mercredi 11 février, il hausse le ton, pour rappeler que la rudesse de ses pratiques sexuelles ne peut être considérée comme une preuve à charge. Tout l'enjeu est de déterminer si l'ex-directeur du FMI savait qu'il avait affaire à des prostituées, payées par ses amis, ce qui relève du proxénétisme. Il s'en défend. "J'ai le même rapport avec les autres femmes, tout aussi rude, mais ça n'a pas de lien avec la prostitution", explique-t-il, en faisant allusion à la sodomie. Le mot, tabou jusqu'ici, évoqué à travers des formules alambiquées, est finalement lâché par son avocate.
Après le récit de Jade, ex-prostituée partie civile, il est invité à livrer sa version d'une soirée, d'abord au Tantra, un club échangiste belge perdu en pleine campagne, puis à l'hôtel Amigo, à Bruxelles (Belgique). "La pratique sexuelle qui s'est déroulée ce soir-là peut ne pas plaire à Jade, c'est son droit, mais cela ne montre pas que c'est une prostituée", poursuit-il. Avec une voix grave et un ton professoral, tantôt il lève ses mains lorsqu'il parle, tantôt il les pose sur le pupitre devant lui, comme s'il était face à un public en pleine conférence sur l'économie. Ses sourcils noirs se dressent.
"Chacun est libre d'apprécier, ou pas, mes comportements"
Pas de répit pour l'ex-directeur du FMI. David Lepidi, l'avocat de l'association Equipe d'action contre le proxénétisme et partie civile, revient à la charge.
DSK : "Dans les soirées privées, je n'ai jamais entendu parler de prostituées.
- Mais vous savez que ça existe ?
- Moui... Je sais que ça existe. C'est comme les poissons volants : ça existe mais c'est pas le plus fréquent."
Réponse un peu légère pour évoquer ces femmes. Alors David Lepidi insiste. Et Dominique Strauss-Kahn hausse le ton. Il semble perdre un peu le contrôle, tout à coup. Pour éviter que les débats ne lui échappent, il se lance dans une petite mise au point :
Ecoutez, je commence à en avoir assez. Quel intérêt de revoir de manière sempiternelle ces pratiques, sauf à me faire comparaître pour pratiques sexuelles dévoyées, mais ça n'existe plus. Les comportements que j'ai, chacun est libre de les apprécier ou pas.
"Avec elle, il faut mettre un préservatif"
Jade, elle, n'a pas l'air d'avoir apprécié. Au Tantra, "c'est de la boucherie", alors elle ne participe pas. A l'Amigo, elle vit "un moment plus que désagréable" quand elle "tourne le dos" à DSK. Malgré tout, elle a ce rapport sexuel avec un préservatif. "Je ne voulais pas être polluée par ce monsieur." Il y a toujours, chez elle, cette obsession de la propreté. Avant et entre les rapports, elle se douche plusieurs fois. Elle souligne qu'elle est toujours "impeccable" après.
"Avec elle, il faut mettre un préservatif" : c'est ce que DSK dit à sa compagne à propos de Jade, à l'hôtel Amigo. "Mettre un préservatif avec une partenaire signifie-t-il qu'on la considère comme une prostituée ?" interroge Richard Malka, un des avocats de DSK. "Dans ce cadre-là, oui", répond Jade, qui abat sa dernière carte.
Mais DSK ne fait qu'une bouchée de cet argument. "La question des préservatifs s'est posée car sauf avec mes partenaires, c'est-à-dire les personnes avec lesquelles j'ai souvent des relations, j'utilise des préservatifs." En clair, il ne connaît pas Jade, c'est pourquoi il se protège. En une phrase, tout seul, sans nul besoin de ses avocats, il soulève les contradictions de Jade.
Les accusations s'effritent
On passe ensuite à l'examen d'un voyage à Washington (Etats-Unis). C'est un court séjour, organisé du 25 au 27 janvier 2010. Jade y participe. Pourquoi accepte-t-elle, alors qu'elle a gardé le souvenir d'un rapport douloureux à l'Amigo ? "Pour les euros !", s'exclame-t-elle. Elle a perçu 2 000 euros pour ce voyage, au bout de six mois. Elle fait aussi "la touriste" dans la capitale américaine. "J'étais là surtout pour DSK : cette fois on me l'a dit. C'est lui qui habitait à Washington", précise-t-elle ensuite. Pourtant, elle n'a pas eu de relation sexuelle avec lui cette fois, mais seulement avec un autre homme, un célèbre artiste.
Au cours du séjour, Jade prend une photo avec DSK dans son bureau au Fonds monétaire international. "Cette photo, c'était un souvenir, un bon souvenir, comme mes photos d'écureuils dans les parcs de Washington." C'est surtout un souvenir positif, dont DSK se sert pour montrer que les accusations à son encontre ne tiennent pas. "Elle était agréable, nous avions de bonnes relations, mais elle n'était pas amenée pour moi. Si j'avais su que c'était une prostituée, je n'aurais pas pris cette photo."
Vous rendez-vous compte ? C'est inconcevable que le directeur du FMI prenne une photo avec une femme dans son bureau s'il sait que c'est une prostituée.
Avec cette phrase, DSK prouve qu'il a repris l'assurance de la veille. C'est lui qui a demandé à prendre la parole, pour parler de ces trois jours à Washington. Il a préparé sa démonstration, et la déroule, d'un bout à l'autre. Il n'a plus besoin de son avocate, celle qui s'est adressée à Jade avec un ton doucereux et faussement compréhensif pour ensuite mieux la déstabiliser.
"Vous aviez un recruteur ?" "Non, pas que je sache"
Le grand déballage des soirées continue. Deux autres voyages à Washington, puis une nuit dans un hôtel lillois. Les prostituées qui ont participé ne sont pas présentes. Alors le président du tribunal se charge de détailler leurs versions des faits et de poser les questions. DSK persiste dans sa ligne de défense en évoquant l'une d'entre elles.
Estelle est toujours apparue comme une joyeuse luronne, jamais comme une prostituée. Je suis sûr que je ne lui ai pas demandé si elle était payée.
Contrairement à ce qu'elle dit, elle... Un peu fanfaron, il ajoute : "Elle m'aimait bien, et elle le dit. Cela me flatte."
A mesure que DSK prend confiance, David Roquet, Jean-Christophe Lagarde et Fabrice Paszkowski en perdent. Les charges tiennent difficilement contre l'ancien élu socialiste, mais l'étau se resserre autour des entrepreneurs du Nord-Pas-de-Calais et du commissaire divisionnaire. En milieu d'après-midi, les quatre hommes se retrouvent alignés face au tribunal, debout en costume, les mains jointes. On les imagine en train de faire la fête ensemble, il y a quatre ou cinq ans. Désormais, tous regardent dans le vide ou par terre. DSK semble plus solide, il sait qu'il joue son va-tout. Tandis que les autres vacillent.
Bombardé de questions, Fabrice Paszkowski fournit peu de réponses, reste vague. Il est pâle, et ne cesse de répéter "J'veux dire", un tic de langage qui trahit sa nervosité. Il dément les comportements qu'on lui prête, insiste pour dire qu'à ses yeux, ce qu'il faisait, c'est-à-dire organiser les soirées et y convier des prostituées, n'était pas répréhensible. Sans l'enfoncer, DSK a clairement pris ses distances avec lui mercredi. Quand le président lui demande : "Vous aviez un recruteur ?", il tranche sans ambages : "Non, pas que je sache. Sinon moi-même." Dans les procès aussi, on n'est parfois jamais mieux servi que par soi-même.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.