Affaire Woerth : la police avait-elle le droit de remonter à la source du Monde ?
Rappel des faits
Tout provient d'un article du Monde du 18 juillet dernier, nième épisode du feuilleton Woerth-Bettencourt. Le quotidien publie les déclarations de Patrice de Maistre lors de sa garde-à-vue, des procès-verbaux qui mettent en difficulté, le ministre Éric Woerth.
Des vérifications sont alors menées par la DCRI, Direction centrale du renseignement intérieur, pour identifier l'informateur du journal. L'enquête conclut, d'après un tuyau interne et un relevé téléphonique, qu'il s'agit de David Sénat, conseiller pénal de la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie. Le patron des services de renseignements rédige alors une note, transmise le 2 septembre au parquet de Paris. Le procureur confirme, ce matin, avoir reçu cette note, mais explique avoir demandé des explications et attendre toujours la réponse.
_ En tout cas, troublante coïncidence : l'informateur présumé, David Sénat, aurait quitté le ministère le 1er de ce mois mois, muté à Cayenne...
Question 1 : qui a donné l'ordre d'enquêter ?
Le Monde se dit convaincu que les instructions proviennent de l'Élysée, qui dément. Ce matin, la Direction générale de la police nationale, dans un communiqué, endosse la responsabilité de cette demande.
Question 2 : cette enquête était-elle légale ?
La DGPN, dans son communiqué, "tient à préciser que dans le cadre de sa mission de
protection de la sécurité des institutions, elle a légitimement
recherché l'origine de fuites qui lui ont été signalées".
_ Il n'y aurait eu, selon le ministère de l'Intérieur, aucune écoute téléphonique, juste "une brève et ponctuelle vérification technique", dans le cadre de l'article 22 de la loi du 10 juillet 1991, qui autorise l'examen des fadettes, c'est-à-dire les factures téléphoniques détaillées. Autrement dit, la police et le contre-espionnage n'auraient fait que leur travail.
Cependant, la loi du 10 juillet 1991 dit aussi, dans ces premiers articles, que l'accès à ces données téléphoniques nécessite l'autorisation du Premier ministre, sauf en cas exceptionnel d'atteinte à la sûreté de l'État, grande criminalité, menace terroriste, reconstitution d'une ligue dissoute ou protection des intérêts économiques et scientifiques. Rien de tout cela, dans l'enquête dont il est question ici.
Par ailleurs, Le Monde, et le Syndicat national des journalistes, ont une toute autre vision des choses. Le quotidien notamment affirme que la loi de protection des sources révisée en janvier dernier, elle, a été bafouée.
Dans son article 2, la loi stipule que "le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public". Qu'"il ne peut [y] être porté atteinte que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie" et qu'"est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources (...) le fait de chercher à découvrir les sources d'un journaliste au moyen d'investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources".
Enfin, c'est l'intervention de la DCRI qui pose question. Le site du ministère de l'Intérieur explique que les missions du contre-espionnage français consistent à "prévenir et réprimer, sur le territoire de la République, les activités inspirées, engagées ou soutenues par des puissances ou des organisations étrangères et de nature à menacer la sécurité du pays ". Et de parler là encore "cybercriminalité", "menace terroriste", "intelligence économique". La liste donne la chair de poule. Et l'on se demande soudain ce que l'article du Monde ferait dedans...
Il y a néanmoins un précédent majeur : en début d'année, la même DCRI avait reconnu avoir mené
une autre enquête confidentielle sur l'origine des rumeurs
d'infidélité de Carla Bruni. Il nous faut déjouer une éventuelle
manœuvre de déstabilisation, avaient justifié les services secrets.
_ Haro général alors de la part de l'opposition, accusant Nicolas Sarkozy
d'utiliser ces services pour ses petites affaires personnelles !
Cécile Quéguiner
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