: Info franceinfo Affaire Joël Le Scouarnec : onze ans avant sa mise en examen pour viols, le chirurgien inquiétait déjà le ministère de la Santé
C’est une série de mails, au ton parfois alarmant, échangés dès l’hiver 2006, au sein des hautes instances hospitalières. Au cœur des préoccupations : un chirurgien, Joël Le Scouarnec, condamné un an plus tôt pour détention d’images pédopornographiques. Une condamnation passée à l’époque sous les radars de ses employeurs.
A ce moment-là, personne ne se doute que le médecin sera condamné 14 ans plus tard à 15 ans de réclusion criminelle pour quatre agressions sexuelles et viols sur mineurs. Puis mis en examen pour des faits similaires à l’encontre cette fois de 312 victimes (dont 19 considérées comme prescrites par la chambre de l’instruction en décembre dernier), majoritairement des petits patients qu’il avait opéré pendant ses 30 ans de carrière au sein des hôpitaux de l’ouest de la France.
Mais dès novembre 2005, Joël Le Scouarnec attire l’attention des autorités françaises. A l’époque, il est repéré grâce à une enquête du FBI, et condamné pour détention d’images pédopornographiques. Il a acheté, avec sa carte bleue, des vidéos pornographiques mettant en scène des enfants. La justice le condamne alors à quatre mois de prison avec sursis, sans obligation de soin ni interdiction d’exercer. Mais le tribunal judiciaire de Vannes n’envoie cette condamnation à personne : ni aux hôpitaux où Joël Le Scouarnec exerce alors, ni à l’Ordre des médecins. Le médecin est pourtant au contact d’enfants au quotidien : il est chirurgien viscéral et digestif et opère donc des dizaines de mineurs, notamment pour des appendicites. Pendant plus de six mois, personne n’est donc au courant de cette condamnation. Jusqu’au printemps 2006.
Les premières alertes
Début juin 2006, un collègue de Joël Le Scouarnec apprend un peu par hasard l’existence de cette décision de justice. Il a aussi remarqué des comportements alarmants du chirurgien. Le psychiatre alerte alors la direction de l’hôpital de Quimperlé. Dans une lettre datée du 14 juin 2006 il indique "avoir des doutes sur la capacité de Joël Le Scouarnec à garder toute sa sérénité au contact de jeunes enfants".
L’information est alors transmise au conseil départemental de l’Ordre des médecins du Finistère. Le docteur Le Scouarnec est même convoqué, fin novembre. Une réunion plénière se tient également quelques semaines plus tard. Mais le conseil départemental décide, à l’unanimité, de n’engager aucune procédure disciplinaire. Le dossier est transmis à l’Ordre régional, mais aucune suite n’est donnée.
En parallèle, la condamnation de Joël Le Scouarnec va remonter progressivement auprès des responsables de la hiérarchie hospitalière. Au niveau départemental, puis régional et enfin au niveau du ministère de la Santé, plus précisément auprès de la direction de l'hospitalisation et des soins (DHOS) : une direction générale rattachée directement au ministère de la Santé et qui gère notamment la titularisation et les éventuelles sanctions disciplinaires contre les médecins hospitaliers.
L'information est alors prise au sérieux. Plusieurs hauts responsables écrivent noir sur blanc que cette condamnation est "préoccupante" et qu’elle n'est "pas compatible avec les conditions de moralités nécessaires" pour être praticien hospitalier.
Mais les autorités hospitalières vont se retrouver confrontées à un problème de taille. A l’époque, Joël Le Scouarnec vient tout juste d’être titularisé comme praticien hospitalier. Il a réussi le concours, et surtout, son dossier a été validé. Sa condamnation a pourtant déjà été prononcée, mais la justice n’a pas mis à jour son casier judiciaire. Sa candidature est donc validée sans encombre le 1er août 2006.
L’hypothèse d’une radiation
Quand sa condamnation remonte jusqu'au ministère de la Santé quelques mois plus tard, les responsables de la DHOS se posent alors la question de le radier, mais une mystérieuse note blanche va tout changer. Cette lettre que franceinfo a pu consulter n'est ni datée, ni signée, mais elle apparaît en copie de plusieurs échanges de mails entre des responsables du ministère de la Santé.
Elle est en fait un résumé de la position du ministère sur la situation du docteur Le Scouarnec. Son auteur reconnaît que "la connaissance par l’administration" de la condamnation du chirurgien "aurait certainement justifié qu’elle ne procède pas à sa nomination" mais qu'après coup il parait "difficile d'envisager d'annuler la nomination de ce praticien". Ce serait, dit l'auteur, "une option lourde à mettre en œuvre et dont le résultat n'est pas certain". La note rappelle aussi "les bonnes appréciations portées sur [son] travail".
La note exclut donc toute possibilité d'une sanction disciplinaire ou d'une exclusion du Dr Le Scouarnec. Elle se finit en revanche par ces mots : "Le ministre* se devant de réagir, l'option de la plainte devant l'Ordre des médecins parait la plus adéquate".
Une plainte introuvable
Les responsables du ministère de la Santé demandent alors au directeur régional de l’hospitalisation de Bretagne de déposer cette plainte en leur nom auprès de l’Ordre des médecins. Sauf que cette plainte n’a jamais existé.
Interrogés par les enquêteurs, aucun des responsables de l’époque n’est en mesure de l’expliquer. Contacté par franceinfo, l'Ordre des médecins confirme n’avoir jamais reçu cette plainte. Résultat : encore une fois, aucune sanction n’est prise contre le chirurgien.
Pourtant, hors de toute procédure, certains alertent sur le cas du chirurgien. Un directeur d’hôpital dans le Morbihan raconte par exemple aux enquêteurs avoir reçu un appel surprenant, alors qu’il s’apprêtait à recruter Joël Le Scouarnec en juin 2007. "J’ai été informé par le directeur de l’Agence régionale de l’hospitalisation de Bretagne. J’ai été surpris qu’il me contacte par téléphone et non par courrier […] il m’a informé qu’il n’était pas dans l’intérêt de mon établissement d’intégrer [Joël Le Scouarnec]. Il a justifié cette position par le fait qu’ils étaient au courant que ce monsieur faisait l’objet d’une condamnation pénale pour des faits de visionnage d’images pédopornographiques", raconte ce directeur. Il dit ensuite n’avoir pas donné suite au recrutement de Joël Le Scouarnec, mais n’avoir informé personne de cette condamnation.
Le chirurgien va donc continuer sa carrière à Quimperlé puis à Jonzac en Charente-Maritime. Là-bas, il signale dès son arrivée sa condamnation par la justice, mais l'Ordre des médecins l'autorise quand même à s'inscrire et l'hôpital accepte de l'embaucher.
Le ministère de la Santé va même l'autoriser en 2015 à prolonger son activité professionnelle au-delà de l'âge légal de départ à la retraite. Le directeur rattaché au ministère de la Santé qui signe cette autorisation est pourtant celui qui avait à l'époque géré le dossier Le Scouarnec au sein de la DHOS. Il connaissait donc parfaitement la situation et la condamnation pénale du chirurgien.
Joël Le Scouarnec va donc continuer sa carrière encore 12 ans après sa condamnation. Douze années durant lesquelles la justice le soupçonne d’avoir fait 45 nouvelles victimes.
Contacté par franceinfo, le ministre de la Santé de l’époque Xavier Bertrand affirme, par le biais de son entourage, n’avoir jamais eu vent de l’existence de cette note blanche ni d’aucun signalement concernant le docteur Le Scouarnec. franceinfo a également contacté l’équipe de l’actuel ministère de la Santé qui n’a pas donné suite à nos sollicitations.
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