"C'est comme si on m'avait amputée" : au procès de Monique Olivier, les proches d'Estelle Mouzin racontent l'onde de choc et la "culpabilité" qui les ronge

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Suzanne, la mère d'Estelle Mouzin, lors de son témoignage devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine, à Nanterre, le 6 décembre 2023. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)
Les parents, frères et sœurs de la fillette de 9 ans ont été entendus mercredi devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine. Ils ont témoigné de leur immense douleur, vingt ans après l'enlèvement et le meurtre de l'enfant.

"Personne ne sortira indemne de l'affaire Fourniret." Cette sinistre prophétie, prononcée par le tueur en série lui-même, peu après son arrestation en 2004, a singulièrement résonné, mercredi 6 décembre devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine, à Nanterre. Au septième jour du procès de Monique Olivier, jugée pour complicité dans trois crimes commis avec son ex-mari, mort en mai 2021, les témoignages des proches d'Estelle Mouzin ont illustré à quel point le choc provoqué par l'enlèvement et le meurtre de la fillette de 9 ans s'est propagé en cercles concentriques aux membres de sa famille.

Vingt ans après sa disparition, ce 9 janvier 2003 à Guermantes (Seine-et-Marne), la culpabilité est sans doute le sentiment qui écrase encore le plus ceux qui lui ont survécu. "J'ai commis une grande erreur en la laissant rentrer toute seule de l'école, une faute que je me reprocherai jusqu'a la fin de ma vie", a ainsi témoigné sa mère, Suzanne.

Exil et réveils nocturnes

L'extinction de voix de cette femme de 67 ans, qui témoigne par visioconférence pour mettre de la distance avec "l'horreur", trahit son indicible douleur. "Traumatisée à tout jamais", elle raconte, la voix brisée, "le cauchemar" de voir sa "plus jeune fille" "s'évaporer" un soir d'hiver. "C'est comme si on m'avait amputée d'une jambe", explique Suzanne, racontant les deux ans d'"enfer quotidien" qui ont suivi, l'impression de voir Estelle partout dans la maison, "la pression médiatique", "le regard des autres", "les affiches" de sa fille "le long du périphérique parisien". Cette femme originaire d'Allemagne, divorcée du père d'Estelle, a alors quitté la France : "Je me suis déracinée en 2005 pour partir le plus loin possible."

"Comment quelqu'un peut-il prendre un enfant et faire ce qu'il a fait ? Les mots me manquent... C'est de la folie de faire ça."

Suzanne, la mère d'Estelle Mouzin

devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine

"Nous devenons coupables des actes commis par les autres, a théorisé son ex-mari, Eric Mouzin, entendu à la barre juste avant. Coupables de vivre et d'être joyeux, coupables d'être là et qu'elle ne soit pas là, un comble qui fait peut-être partie des mécanismes de perversion." Peu à l'aise avec "les émotions", cet expert en risque industriel tient toujours le décompte du nombre de jours passés depuis la disparition de sa fille, "7 636". Ce père, que l'on a vu vieillir au fil des marches organisées chaque année en mémoire d'Estelle à Guermantes, confie ne pleurer que lorsqu'il prend un avion : "J'essaie d'avoir une place contre le hublot, car je sais qu'il n'y a personne de l'autre côté." Il se réveille chaque nuit "à 3 heures du matin", car il a "longtemps cru que c'est à cette heure qu'Estelle a été assassinée".

"Penser l'impensable pendant vingt ans"

Eric Mouzin partage avec la cour et les jurés les images qui le hantent depuis toutes ces années : "Je vais vous demander un effort de visualisation. Depuis le début du procès, on est un peu dans l'abstraction, donc là je vous demande d'imaginer le viol de cette petite fille, terrorisée, enlevée depuis plusieurs heures, trimballée dans un fourgon fermé, qui a passé une nuit dans une maison abandonnée, sans doute pas chauffée, peut-être attachée." Le père d'Estelle assène ensuite : "Nous sommes dans la négation de l'humanité, l'enfant réduit à un objet comme moyen de satisfaire une obsession", celle de la virginité.

Sa seconde épouse, Dominique, est toujours à ses côtés, vingt ans après. Elle aussi a évoqué à la barre sa "culpabilité" d'avoir entraîné les deux enfants de son premier mariage dans ce "tourbillon de malheur". Cette femme de 72 ans, devenue psychologue, s'est malgré tout attachée à "préserver la joie de vivre" pour la fratrie d'Estelle pendant qu'Eric Mouzin était "au combat contre le mal et lutt(ait) contre l'oubli". Très émue, son témoignage écrit dans les mains, la belle-mère d'Estelle a fait part des difficultés à maintenir à flot cette famille recomposée face au drame : "Cet événement est un 'impensable'. Nous avons tenté de penser l'impensable pendant des mois, des années, pendant vingt ans." 

"Nos vies ont été transformées mais n'ont pas été détruites. Nous avons tenu. Mais à quel prix ? Chaque assassinat ne fait pas qu'une victime."

Dominique, la belle-mère d'Estelle Mouzin

devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine

Dans cette fratrie, grandit une autre Estelle, du même âge. "Estelle la brune et Estelle la blonde, nos deux étoiles", résume Dominique, rappelant qu'Eric Mouzin a dû "prononcer tous les jours 'Estelle, à table', sans pleurer". Cette demi-sœur, aujourd'hui âgée de 30 ans, s'est souvent entendu dire au téléphone : "Estelle ? Ah, on t'a retrouvée ?" A tel point qu'elle s'était collée un post-it sur le front avec son prénom, a rapporté sa mère. A la barre, elle confirme : "Ma vie à moi a été de ne pas vivre avec une sœur, mais avec son ombre." Une forme de "gémellité" pour le pire – "admettre et se détacher de la culpabilité même d'exister" – et le meilleur – "Vivre pour deux, voyager pour deux, aimer pour deux, danser pour deux".

"Dites-nous où vous avez enterré Estelle"

Dans un même terrible jeu de miroir, le demi-frère d'Estelle, Yann, a révélé comment il avait lui-même été enlevé par un pédocriminel à l'âge de 4 ans, "en plein jour", dans un parc, avant d'être relâché. "La seule manière de kidnapper un enfant, c'est de lui mentir, de faire appel à sa gentillesse profonde, de se jouer de son innocence", a-t-il témoigné. Il avait 10 ans quand Estelle a disparu. Arthur, lui, en avait 14. Il a choisi d'aller vivre avec son père lorsque ses parents se sont séparés, ses deux sœurs restant à Guermantes avec leur mère. Un choix qu'il se reproche encore aujourd'hui : "Peut-être aurais-je été en charge d'aller chercher Estelle à l'école..." Sa grande sœur Lucie, 15 ans au moment de l'enlèvement, "se souvient de l'angoisse qui l'a saisie le soir de sa disparition". L'avocat de la famille, Didier Seban, a lu sa lettre devant la cour, la jeune femme venant tout juste d'accoucher de son deuxième enfant.

"En quelques minutes, j'ai été catapultée avec ma famille dans l'épicentre du tremblement de terre que représente pour la société la disparition d'une enfant innocente."

Lucie, la sœur d'Estelle Mouzin

devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine

Comme ses frères et sœurs et ses parents, Lucie a tenu à parler avant tout de sa sœur. "Les photos que tout le monde a en tête ne sont pas représentatives. Si on devait choisir une photo, ce serait celle où elle est en train de sauter au bord d'une piscine en riant", écrit Lucie, décrivant Estelle comme une petite fille "très belle, avec de grands yeux verts tachetés de doré", "très vivace, bavarde, aimée et aimante, tendre, attachante", "populaire" et faisant "le clown" à l'école. Des photos de la fillette sont projetées à l'audience. Sur l'une d'entre elles, choisie par son père, Estelle a le "visage illuminé" après s'être baignée dans la mer chaude des Caraïbes, en Martinique.

"Enfant facile, toujours de bonne humeur, souriante, très intéressée par le monde, dotée d'une personnalité extravertie…" Sa mère ne tarit pas non plus d'éloges pour sa fille, qui avait "la vie devant elle". "Elle est partie pour toujours, mais j'aimerais bien savoir où elle repose", enjoint Suzanne, s'adressant directement à Monique Olivier : "Si vous avez encore une once d'humanité en vous, dites-nous où vous avez enterré Estelle."

Après avoir gardé la tête baissée pendant les témoignages, l'accusée se redresse dans le box : "Je ne sais pas. Si je le savais, je le dirais. Pourquoi je ne le dirais pas si je le savais ?" Monique Olivier n'a donné des indications sur le lieu où le corps de la fillette pouvait être enfoui qu'après la mort de Michel Fourniret. En vain, les fouilles n'ont rien donné. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Le directeur d'enquête de la section de recherches de la gendarmerie de Dijon, entendu dans l'après-midi, a livré la réponse qu'elle avait faite à l'époque : elle n'y avait tout simplement "pas pensé".

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