Affaire Grégory : à Aumontzey, les secrets bien gardés des époux Jacob
Dans le village où le couple habite, sous les projecteurs médiatiques depuis 1984, les langues ne se délient pas facilement. Même si tout le monde connaît Jacqueline et Marcel Jacob. Franceinfo s'est rendu sur place pour tenter d'en savoir plus.
La maison de Marcel et Jacqueline Jacob est située à l'orée de la forêt. On ne la distingue pas tout de suite : les arbres dissimulent ses murs aux couleurs criardes. Il faut s'aventurer tout au bout d'un chemin sans issue pour découvrir les façades peintes en violet et en parme. Les volets marron sont abaissés, comme des yeux clos. La bâtisse surplombe Aumontzey, village vosgien niché à près de 500 m d'altitude, au milieu des champs, des ballots de blé, des chevaux, des vaches et où l'on skie l'hiver et randonne l'été. Il est au cœur de la vallée de la Vologne. Un nom qui, à lui seul, suffit à évoquer l'affaire Grégory.
Ce garçonnet a été retrouvé mort à l'âge de 4 ans, pieds et poings liés, dans la rivière qui longe Lépanges-sur-Vologne, à une douzaine de kilomètres d'Aumontzey. C'était le 16 octobre 1984. En trente-deux ans, le fait divers s'est transformé en énigme et en affaire marquée par les ratés judiciaires et autres dérapages médiatiques qui ont fait sa célébrité. Jamais refermé, le dossier a connu de multiples rebondissements. Le dernier en date : la mise en examen de Marcel et Jacqueline Jacob, les occupants de la maison violette, pour "enlèvement" et "séquestration suivie de la mort" du petit Grégory, fils de Jean-Marie et Christine Villemin.
"Parfois, quand on parle, on envenime"
Depuis, la maison est vide. Marcel, 72 ans, et Jacqueline Jacob, 73 ans, grand-oncle et grand-tante de Grégory, ont été remis en liberté, mardi 20 juin, après quatre jours de détention provisoire. La synthèse de 591 pages de la gendarmerie, dévoilée samedi 24 juin par Le Figaro, les identifie comme les "cerveaux" de l'affaire. Les deux époux sont sous étroit contrôle judiciaire : ils ont interdiction de se voir, de communiquer avec les médias et de retourner dans les Vosges. Ils résident dans des lieux confidentiels. Leur maison va donc garder ses secrets encore quelque temps. Comme les habitants.
Car dans ce village-dortoir (fusionné au sein de la commune Granges-Aumontzey en 2016) de 500 âmes sans commerce, pas même une pharmacie, tout le monde se connaît. Mais rares sont les villageois qui acceptent de parler du couple Jacob. Aucun ne se risque à livrer un trait de caractère saillant, ou même une description physique. "Parfois, quand on parle, on envenime", lâche un homme âgé assis dans l'ombre à l'entrée de sa maison. "J'ai toujours habité à Aumontzey. Ma famille aussi. Je connais Marcel depuis sa naissance. J'ai quatre ans de plus que lui. Je le vois passer avec sa femme tous les jours à 8 heures", ajoute-t-il sans préciser s'il parle du matin ou du soir. Il parle fort et détache chaque syllabe. Sans un mot, sa femme apparaît derrière lui, dans l'embrasure d'une porte. "Je n'en dirai pas plus car je ne veux pas envenimer", répète-t-il avant de prendre congé.
"Un couple sympathique"
La presse n'est pas chassée, mais n'est pas vraiment la bienvenue non plus. Des panneaux "interdit de stationner" sont disposés le long du chemin de la côte qui mène vers la maison des Jacob. Les champs et jardins des voisins sont des propriétés privées. Le maire a pris un arrêté pour le rappeler aux journalistes qui oseraient s'y garer et les gendarmes veillent au grain. Un villageois a lui-même accroché une banderole blanche et rouge pour décourager toute tentative. Il faut dire que l'emballement médiatique autour de l'affaire a créé des débordements, racontés par Laurence Lacour dans Le Bûcher des innocents (éditions Les Arènes, 1993). Les habitants, usés, sont lassés de voir défiler les journalistes dans leurs ruelles.
Certains ont pris le parti d'en sourire. C'est le cas d'une femme brune qui rentre chez elle. Voisine du couple Jacob, elle les salue d'un signe de la main quand elle les voit passer en voiture. Elle a grandi à Aumontzey et connaît de vue d'autres membres de la famille Jacob. Mais elle refuse de donner leur nom ou leur lien de parenté avec le couple mis en examen. Idem pour un autre voisin, occupé à faire des travaux dans sa maison. "Je ne les connais pas plus que ça. Mais j'ai été étonné de leur arrestation."
C'est aussi le sentiment de l'adjoint au maire de Granges-Aumontzey chargé des travaux. "J'étais complètement surpris, presque ébahi", témoigne Eric Perrin. Le sexagénaire a grandi à Aumontzey, puis est parti à l'âge de 20 ans. Il est revenu à la retraite et s'est, depuis, impliqué dans la vie du village. Avant la fusion avec la commune voisine de Granges-sur-Vologne, il a occupé, pendant trois ans, le fauteuil de premier adjoint au maire. Alors, oui, il connaît Marcel et Jacqueline Jacob. Surtout Marcel, qui a huit ans de plus que lui. "On s'appelle par nos prénoms, on se salue. Je lui demande comment ça va", décrit-il. Pour Eric Perrin, les Jacob forment "un couple sympathique". "Ils participent volontiers à des fêtes au village. Quand on leur demande, ils ne rechignent pas à donner un coup de main."
"Je n'arrive pas à l'imaginer faire des conneries"
C'est le seul officiel à accepter de glisser quelques mots sur Marcel et Jacqueline Jacob. Le maire-délégué, Philippe Petitgenet, a organisé une petite conférence de presse vendredi 16 juin. Depuis, il ne répond plus aux appels. Alors les journalistes se succèdent chez les proches du couple. René Jacob, l'un des frères de Marcel, a répondu aux questions face caméra, torse nu ou en marcel. Il a expliqué pourquoi il ne croyait pas à la culpabilité de son frère. Des mots que René Jacob a patiemment répétés. "Mais pas aujourd'hui, il est fatigué", nous intime l'un de ses fils, mercredi 21 juin. Lui-même n'a pas grand-chose à dire sur son oncle. "Ils nous ont toujours accueillis avec le reste de la famille. Mais on n'est pas particulièrement proches. On les croise au supermarché, pour les courses, déclare-t-il du balcon de la maison décrépie. Vous savez, on est en train d'apprendre à la télé des choses qu'on ne savait pas nous-mêmes."
Du côté de Jacqueline Jacob, la famille n'est pas très bavarde non plus. "Ils sont libres, c'est bien, ça fait plaisir. Maintenant il faut les blanchir", estime Daniel Thuriot, l'un de ses frères. "Ils sont gentils, toujours ensemble. Lui, je n'arrive pas à l'imaginer faire des conneries. Il est toujours droit", juge cet homme tatoué et bronzé, moustache à la gauloise et cheveux blonds mi-longs. "Ils sont de toutes les manifestations au village. Elle a travaillé à l'usine de textile toute sa carrière. Lui aussi. Toute sa vie c'est l'usine. Je pense qu'ils se sont rencontrés là-bas, ajoute-t-il. Mais l'usine c'était pas pour moi. Moi, c'était la scierie, dans les bois, jusqu'à la retraite."
Daniel Thuriot n'en dira pas beaucoup plus. L'homme, campé devant son garage, dos à la vue panoramique sur la vallée, sur le versant opposé à la maison de Jacqueline Jacob, n'a pas les mots pour raconter sa sœur aînée. Lui va sur ses 65. Il fait le calcul. "Cela fait huit ans d'écart. Mais on a été élevés ensemble. On m'appelait le petiot. J'étais le dernier." Il montre Granges-sur-Vologne, où ils ont grandi. "On a été élevés comme tout le monde, pas plus mal je pense", se borne-t-il à dire quand on lui demande des anecdotes de son enfance avec Jacqueline. De la fratrie de sept enfants, il lui reste quatre sœurs. Toutes sont restées dans la vallée de la Vologne, sauf une. "J'ai des bons rapports, mais je ne les vois pas tous les jours. Je peux passer un mois sans les voir. J'ai quatre gosses, des petiots, j'ai ma vie."
"C'est une famille très très spéciale"
Marcel et Jacqueline Jacob ont une fille unique : Valérie Delaite. Elle n'habite qu'à deux kilomètres de la maison parentale. Mais elle ne leur parle plus. "Depuis 1991, j'ai coupé les ponts avec eux. C'est ma mère qui a rompu les liens, déclare-t-elle dans Vosges Matin samedi 17 juin. Je n'ai plus aucun sentiment pour eux. Pour moi ils sont morts et enterrés !" Valérie Delaite ne donne pas la raison de ce froid. Son oncle Daniel non plus : "Je n'ai aucune idée de ce qui a pu se passer. Je ne la voyais pas beaucoup, mais je la voyais quand même au début quand elle venait de se marier." Il glisse pourtant, au détour de la conversation, qu'il est le parrain de sa nièce.
"S'ils ont quelque chose à voir avec cette affaire, (...) je me demande même comment ils ont pu vivre trente-deux ans comme ça en pouvant se regarder dans une glace, a confié Valérie Delaite à France 3. C'est une famille très très spéciale. Quand vous avez une mère qui vous renie, c'est quand même spécial." Cette femme blonde de 49 ans n'accordera plus d'interview. "Pour l'instant", précise-t-elle du premier étage de sa maison. "Tant que c'est comme ça, je dis rien", ajoute-t-elle, énigmatique. Elle consent tout juste à nous dire qu'elle trouve "très étonnant" que ses parents aient été libérés sous contrôle judiciaire.
Les "corbeaux" de l'affaire ?
Pour en savoir plus sur les Jacob, il faut se replonger dans le dossier judiciaire, plus bavard que les habitants. Dans son arrêt retentissant du 3 février 1993 innocentant Christine Villemin, la mère de Grégory, la cour d'appel de Dijon dessine deux clans au sein de la famille et évoque clairement les animosités : "Marcel Jacob, jeune frère de Monique Villemin [la grand-mère de Grégory, qui vit également à Aumontzey et évite les journalistes], et Jacqueline Thuriot son épouse, étaient en mauvais termes avec Albert Villemin et ses fils, singulièrement Jean-Marie [le père de Grégory] (...) En 1972, Marcel Jacob aurait craché au visage de son beau-frère. (...) Marcel Jacob, qui avait pris ombrage de la promotion de Jean-Marie Villemin au rang de contremaître, lui avait dit 'Je ne serre pas la main à un chef' et l'avait accusé de ramper devant ses supérieurs." Mais à l'époque, "il n'existe pas contre eux de présomptions suffisantes pour justifier de nouvelles investigations et a fortiori une inculpation".
Cet arrêt mentionne les soupçons qui pèsent sur Marcel et Jacqueline Jacob : seraient-ils les fameux "corbeaux" de l'affaire, comme le pense l'accusation depuis quelques jours ? Car au cœur de cette enquête, il y a les centaines d'appels anonymes et les lettres reçus par les parents et grands-parents du petit Grégory. Tous pour proférer des menaces. De plus, une lettre de revendication du meurtre a été envoyée le 16 octobre 1984. Les enquêteurs pensent donc que les fameux "corbeaux" ont joué un rôle dans la mort de l'enfant, compte tenu de leur degré de connaissance des faits. Et le couple Jacob n'a pas été en mesure de fournir un alibi pour le jour du drame. Voilà pourquoi ils ne cessent de rebattre les cartes au sein de cette famille.
Une enquête élargie aux proches des Jacob
Valérie, la fille du couple Jacob, est également mentionnée dans l'arrêt de 1993. "Lors d'un des premiers appels anonymes, Monique Villemin a cru reconnaître les rires et la voix de sa nièce Valérie Jacob, fille de son frère Marcel, et d'une amie de celle-ci, Isabelle Bolle, belle-sœur de Bernard Laroche." Or, le nom des Bolle revient aujourd'hui dans le dossier. Car ils sont aussi liés à la famille Villemin. De quelle façon ? Pour comprendre, il faut revenir au début de l'affaire et au premier suspect, Bernard Laroche. C'est le cousin germain de Jean-Marie Villemin, du côté maternel. Incarcéré le 5 novembre 1984, relâché trois mois plus tard, il est abattu d'une balle par Jean-Marie Villemin fin mars 1985, à son domicile, situé... à Aumontzey.
Bernard Laroche était un voisin des Jacob : leurs maisons étaient très proches. Il a aussi grandi avec Marcel, à qui il ressemblait physiquement. Il était marié à Marie-Ange Bolle. Or, la sœur de celle-ci, Murielle, âgée de 15 ans au moment du meurtre de Grégory, a désigné son beau-frère comme le "kidnappeur"... avant de se rétracter. Elle devrait être la prochaine personne à être interrogée par les enquêteurs. Pour l'instant, son avocat, Jean-Paul Teissonnière, confirme seulement à franceinfo que son ADN a été à nouveau prélevé, après avoir été "perdu". Mais il tient à rappeler qu'en 2002, l'Etat a été condamné à verser 63 000 euros à Murielle Bolle et à sa sœur Marie-Ange. La cour d'appel de Versailles sanctionnait notamment un "manque total dans la maîtrise et dans la conduite de l'enquête et de l'instruction" et visait l'arrêt de 1993. Aujourd'hui, Murielle Bolle vit toujours dans la vallée de la Vologne, mais ne s'exprime pas non plus.
"On cherche toujours auprès de la même famille mais on devrait regarder ailleurs"
Sa sœur, Isabelle Bolle, n'en sait pas davantage. "Plus jeune, je voyais Valérie Jacob. J'avais 17-18 ans, elle 14. Mais là c'est fini, on a chacune nos vies. Je n'ai plus de contact. Je me suis éloignée de la famille, je ne vois plus personne, pour ainsi dire", commente-t-elle à franceinfo par téléphone. Elle habite toujours dans les Vosges, mais à 30 km d'Aumontzey. "On va laisser faire la justice, même s'ils se plantent tout le temps", soupire-t-elle. "On cherche toujours auprès de la même famille mais on devrait regarder ailleurs. Maintenant je vous laisse car mon mari ne veut pas que je vous parle", dit-elle avant de raccrocher. Une nouvelle porte se ferme.
La justice parviendra-t-elle à trouver la clé ? La suite de l'enquête s'annonce déterminante si elle veut éviter un nouveau fiasco. En attendant, un habitant de la vallée de la Vologne s'interroge à propos de Marcel et Jacqueline Jacob : "Est-ce que c'est sûr que c'est eux ?" La réponse n'est pas encore connue. Mais pour ce père de famille, finalement, peu importe le résultat. "Quand ils vont revenir, ils vont être montrés du doigt."
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