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Reportage "S'il vous plaît, ne nous oubliez pas" : à Brie-Comte-Robert, la page des violences urbaines n'est pas entièrement tournée

Dans cette ville habituellement calme de Seine-et-Marne, commerçants et élus se sont relevés. Mais trois mois après les émeutes, les traces des événements restent visibles, tandis que l'enquête se poursuit.
Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial à Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne)
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Trois mois après les violences urbaines, des planches de bois protègent la mairie de Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne), le 4 octobre 2023. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Jean Laviolette s'y est fait. Quand il préside les séances de conseil municipal, "Monsieur le maire" de Brie-Comte-Robert a depuis quelque temps une vue imprenable sur des vitres brisées, des planches de contreplaqué, des rideaux partiellement brûlés et des radiateurs calcinés. Un peu plus de trois mois après les violences urbaines qui ont secoué l'hôtel de ville de la localité de Seine-et-Marne, l'imposant bâtiment n'a toujours pas été réparé.

"Ça fait barricadé, comme ça. Mais tous les services fonctionnent normalement, rassure l'édile, en montrant la salle d'attente pleine d'administrés. Il ne faut juste pas trop faire attention à la déco." Il ne faut pas non plus oublier d'allumer la lumière en pénétrant dans les services dits "urbanisme" et "population", sous peine de ne rien voir. Ni s'attarder sur les traces de suie dans le hall d'entrée. Ou sur les draps blancs accrochés ici et là en guise de cache-misère.

Dans la nuit du vendredi 30 juin au samedi 1er juillet, les émeutes liées à la mort de Nahel "nous sont tombées dessus comme une averse de grêle". Plusieurs dizaines d'individus encagoulés et gantés ont tenté d'incendier la mairie. Ils ont brisé des fenêtres, lancé des cocktails Molotov, mis le feu au pupitre de l'entrée et pénétré à l'intérieur de l'enceinte, selon le maire. Lui, comme les 19 500 habitants de la commune, d'habitude si calme, n'en sont pas revenus : "A quelques minutes près, tout partait en fumée." 

Jean Laviolette, le maire de Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne), montre les vitres cassées de la salle du conseil municipal, le 4 octobre 2023. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Les experts en assurance sont venus constater les dégâts dès les premières heures, mais leur réponse se fait maintenant attendre. "Ça fait trois mois et je n'ai aucune nouvelle. C'est comme si on nous avait déjà oubliés", regrette Jean Laviolette, alors que le comité interministériel des villes, initialement prévu à Matignon lundi 9 octobre, a une nouvelle fois été reporté. "Entre les réparations des fenêtres, le remplacement du mobilier et la peinture, il y en a pour 97 000 euros de travaux. C'est colossal. On ne peut pas sortir cette somme d'un claquement de doigts. Alors, s'il vous plaît, ne nous oubliez pas !" L'élu socialiste l'assure : pas un jour ne se passe sans qu'un administré vienne aux nouvelles : "'C'est pour quand ? Avant l'hiver, vous pensez ?' Je ne sais pas quoi répondre, car on n'a pas de date. Pas même une vague idée. Il faut quand même réparer ce symbole de la République qui a été attaqué".

"La violence nous a saisis"

La municipalité a déjà mis la main à la poche pour aider les commerçants touchés par les dégradations. Une subvention exceptionnelle de 5 000 euros (au total) a été votée à l'unanimité des 32 membres du conseil municipal, le 19 septembre. Eliane Ferrer, conseillère déléguée aux entreprises, défend "un coup de pouce pour que les enseignes puissent retrouver au plus vite leur activité normale"

Ces commerces, situés quelques dizaines de mètres les uns des autres, étaient sur le chemin des casseurs. Le restaurant Laynou Thaï Kitchen, rue de la Madeleine, recommence à faire le plein le midi, tout en évitant d'installer des clients trop près de la baie vitrée toujours fissurée dans le sens de la hauteur. L'épicerie Votre Marché, située boulevard Jean-Jaurès, a, elle, pu reconstituer son stock de bonbons, de gâteaux, d'alcools forts et de vins. Quelque 12 000 euros de marchandises se sont évaporés cette nuit-là. Suthrsakumaran Thambirasa, le gérant, doit encore faire changer la devanture et les fenêtres par lesquelles le groupe de pillards s'est introduit. "Cela ne devrait pas tarder", pense-t-il. Il a touché l'argent de son assurance le 27 septembre : 9 302,23 euros, comme l'atteste son relevé bancaire.

Trois mois après les violences urbaines, l'épicerie de Suthrsakumaran Thambirasa à Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne), n'est toujours pas réparée, le 4 octobre 2023. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Le temps de rassembler des photos, des vidéos, des factures et le dépôt de plainte, il n'a pas eu à aller très loin pour déposer son dossier. Son assurance est à deux minutes à pied. "Nous avons eu à gérer cinq cas directement liés aux violences urbaines à Brie-Comte-Robert. Des commerçants uniquement. Tous sont désormais réglés, se félicite Laurence Caperaa, agente générale chez Axa, en rangeant les dossiers dans l'ordre. Mais ça n'a pas été simple. La violence et le côté soudain des événements nous ont saisis au bureau, moi la première." Dans le centre-ville, son concurrent Allianz a eu encore moins de chance. L'agence a dû gérer son propre sinistre : sa vitrine a été endommagée par des projectiles.

Une seule interpellation à ce jour

"Mais bon sang, qui a fait ça ?" Sur la place du Marché, l'opticien Krys désespère. Il attend "toujours de savoir" qui lui a dérobé sa trentaine de paires de lunettes de soleil "Il y en a pour 2 000, peut-être 3 000 euros. Elles se revendent sur des sites, mais on n'a toujours pas de coupables !" De son côté, avec les 16 000 euros versés par son assurance, Yves Grannonio, le seul libraire du coin, a fait changer ses vitrines blindées. Il a aussi été entendu par la police. En revanche, il n'a pas souhaité se porter partie civile. "J'habite dans la ville, je suis certain que ce sont des gamins que je connais qui ont tenté de pénétrer dans mon magasin. Je ne voulais pas m'exposer."

Trois mois après, les traces des violences urbaines sont encore visibles à Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne), le 4 octobre 2023. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

En trois mois, l'enquête a peu avancé. La seule personne interpellée a été remise en liberté faute d'élément probant contre elle, précise à franceinfo le parquet de Melun. Les investigations se poursuivent. Les images des 96 caméras de vidéosurveillance ont quand même permis aux enquêteurs d'établir minute par minute le parcours des émeutiers. Ils se sont rassemblés dans le quartier populaire Les Chaperons, avant de se diriger vers le centre-ville situé à cinq minutes à pied. Leur profil, aussi, se dessine : la police évoque une cinquantaine de personnes, des mineurs essentiellement, âgés de 10 à 16 ans. "Certains sont originaires de la commune, d'autres viennent de l'extérieur, parfois même en dehors du département", décrit Stéphane Collon, adjoint à l'urbanisme et à la sécurité à la mairie de Brie-Comte-Robert.

L'adjoint à la sécurité attend que la justice passe

Cette fameuse nuit, l'adjoint briard était aux premières loges. "Je me trouvais dans les locaux de la police municipale situés derrière la mairie quand plusieurs dizaines d'individus ont encerclé le bâtiment. Ils sont montés sur le toit, ont cassé le Velux et ont commencé à déverser de l'essence à l'intérieur." A ses côtés se trouvaient quatre agents armés. "J'étais à leur service. Pour les aider, c'est moi qui apportais les cartons de munitions. A un moment donné, j'ai fini par appeler le directeur national de la sécurité publique. Je lui ai dit : 'La situation est très simple : il nous reste 20 balles de défense non létale, ensuite ce sont des armes létales.' Du renfort est arrivé, les émeutiers ont pris la fuite, selon son récit.

Stéphane Collon a reconnu quelques visages sur les images de la vidéosurveillance. "Des personnes originaires de milieux socioculturels différents, des gens a priori bien sous tous rapports", lâche-t-il. Désormais, l'élu attend "simplement" que les auteurs soient identifiés et sanctionnés par la justice. Il y a quelques jours, il a croisé l'un d'eux qui marchait "tranquillement" dans les rues de Brie-Comte-Robert.

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