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Mort de Nahel : que changerait la mise en place de l'état d'urgence face aux émeutes ?

"Le déclenchement de l'état d'urgence a un effet symbolique, mais d'un point de vue juridique, cela ne changerait pas grand-chose en termes de pouvoirs adaptés à des émeutes", prévient le professeur de droit public Serge Slama.
Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Des policiers à Nanterre (Hauts-de-Seine), le 29 juin 2023. (ALAIN JOCARD / AFP)

Bientôt le retour de l'état d'urgence en France ? Trois jours après la mort de Nahel, tué par un policier mardi 27 juin, à Nanterre (Hauts-de-Seine), et après trois nuits de violences urbaines de plus en plus importantes dans toute la France, un nombre croissant de personnalités politiques de droite et d'extrême droite réclament la mise en place de ce régime d'exception. "Toutes les hypothèses", dont l'instauration de l'état d'urgence, sont envisagées par l'exécutif afin de permettre "le retour de l'ordre républicain", a déclaré la Première ministre Elisabeth Borne vendredi 30 juin.

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L'état d'urgence peut être décidé par décret en Conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire français en cas de "péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public", selon la loi du 3 avril 1955. Ce régime d'exception a une durée initiale de 12 jours et peut être prolongé par le vote d'une loi par le Parlement. Il a été appliqué six fois depuis 1955. "Le déclenchement de l'état d'urgence a un effet symbolique, mais d'un point de vue juridique, cela ne changerait pas grand-chose en termes de pouvoirs adaptés à des émeutes urbaines", prévient Serge Slama, professeur droit public à l'université Grenoble Alpes. Franceinfo fait le point sur les mesures prévues dans le cadre de régime d'exception.

Une interdiction des rassemblements

L'une des principales possibilités offertes par la mise en place de l'état d'urgence est l'interdiction des manifestations, cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique. Cette possibilité – plus restreinte – existe déjà dans le droit commun et a été utilisée de nombreuses fois ces dernières années, en cas de risque de trouble à l'ordre public. "L'état d'urgence donne une plus grande marge de manœuvre, explique Serge Slama. On peut interdire toute manifestation sur le territoire par exemple, comme en 2005, lors des émeutes en banlieues."

Certains responsables politiques plaident ainsi pour la mise en place de l'état d'urgence afin de pouvoir donner davantage de pouvoir à la police lors de leurs interventions sur la voie publique. Dans la nuit de jeudi à vendredi, "la police ne pouvait interpeller que les gens qui ont commis une infraction. S'il y a état d'urgence, la police peut intervenir préventivement", a souligné Frédéric Péchenard, ancien directeur général de la police nationale, désormais vice-président LR de la région Ile-de-France, sur franceinfo.

Des couvre-feux "systématiques"

Avec l'état d'urgence, les autorités pourraient également prendre des restrictions de circulation à certaines heures ou pour certaines personnes. Là encore, les maires peuvent déjà prendre des arrêtés instaurant un couvre-feu sur leur commune en dehors du cadre de l'état d'urgence, comme les villes de Clamart (Hauts-de-Seine) ou de Compiègne (Oise) l'ont fait ces derniers jours, en lien avec la préfecture. "Actuellement, les maires et les préfectures doivent faire du cas par cas dans chaque quartier", explique Serge Slama.

"Avec l'état d'urgence, il serait possible de mettre en place des couvre-feux systématiques sur des zones plus vastes et pour des durées plus longues."

Serge Slama, professeur de droit public

à franceinfo

Des perquisitions administratives

L'instauration de l'état d'urgence permet également la mise en place de perquisitions administratives, sans autorisation d'un juge. Concrètement, le ministre de l'Intérieur et les préfets peuvent ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre public, précise Vie-publique.fr

Les seules exceptions concernent les lieux affectés à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes. Cette disposition, tout comme celle permettant les assignations à résidence ou les interdictions de séjour, est toutefois moins adaptée au maintien de l'ordre.

"L'état d'urgence n'est pas prévu pour les émeutes urbaines, il a été conçu pour la guerre d'Algérie ou la lutte antiterroriste."

Serge Slama, professeur de droit public

à franceinfo

Une mobilisation des forces de l'ordre

Dans le cadre de l'état d'urgence, les autorités peuvent aussi effectuer des réquisitions de personnes ou de moyens privés. Elles peuvent être de plusieurs types : d'ordre collectif à l'égard des personnels maintenus dans leur emploi ou bien d'ordre individuel indiquant la nature de l'emploi à tenir ou du service à assurer, selon le Code de la défense. Cependant, le déploiement plus important de forces de l'ordre peut être décidé en dehors de ce cadre. "En 2005, lors des émeutes urbaines, l'état d'urgence avait été utilisé pour mobiliser de manière plus importante les forces de l'ordre, en leur refusant des congés par exemple. Mais il s'agissait plutôt d'un effet symbolique, rappelle Serge Slama. C'est l'Etat qui se met en mode 'état d'urgence'."

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