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Témoignages "Je ne me sens pas assez légitime" : pourquoi la majorité des jeunes va choisir l'abstention lors des élections régionales et départementales

Difficultés personnelles, désintérêt, dégoût de la politique… Les raisons sont diverses et nombreuses pour expliquer la forte abstention des jeunes attendue lors des scrutins des 20 et 27 juin.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Les sondages à six mois de l'élection présidentielle. Quelle ligne éditoriale sur franceinfo ? (Illustration) (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

"Je ne vois pas trop l'utilité du vote dans ma situation. Peu importe le candidat pour qui je vote, ça ne va pas changer les choses." Comme Robby, 22 ans, de nombreux jeunes ont confié à franceinfo leur volonté de s'abstenir aux élections départementales et régionales des dimanches 20 et 27 juin. "Les régionales, ça ne m'intéresse pas. Je suis tout jeune, ce n'est pas quelque chose sur lequel je m'attarde", explique aussi Steven, 18 ans, en recherche d'emploi au sein de la mission locale du bassin annécien (Haute-Savoie), après avoir arrêté le lycée.

"On manque d'infos, on ne sait pas trop ce que veulent faire les candidats, c'est difficile de s'y intéresser."

Steven, 18 ans

à franceinfo

Les divers sondages d'opinion confirment la tendance. L'abstention s'annonce forte dans l'ensemble de la population, mais particulièrement chez les plus jeunes. Ainsi, dans les Hauts-de-France, 77% des moins de 35 ans et, parmi eux, 78% des 18-24 ans ne devraient pas glisser de bulletin dans l'urne dimanche prochain, selon un sondage Ifop (PDF). Le taux d'abstention pourrait même monter à 82% pour les 18-24 ans en Auvergne-Rhône-Alpes (et 77% sur l'ensemble des moins de 35 ans), toujours selon l'Ifop (PDF). Le phénomène semble donc s'aggraver, puisque lors des précédentes régionales en 2015, l'abstention s'était élevée à environ 66% des 18-24 ans, selon OpinionWay.

"J'ai d'autres priorités pour l'instant"

La jeunesse est une période de la vie où il est parfois difficile de se passionner pour la chose publique. "La politique ne m'intéresse déjà pas forcément, et comme je suis amenée à bouger dans des secteurs différents en raison des études, je m'intéresse encore moins aux élections locales", argumente Léna, 20 ans, qui n'a encore jamais voté et qui recherche un emploi en Moselle.

"Je ne me suis pas intéressé aux candidats dans la région. Après, j'ai eu un parcours de vie, des difficultés qui ne m'ont pas donné envie d'aller voter", explique aussi Melain, un jeune de 23 ans originaire de la région parisienne qui vient de s'installer en Moselle pour chercher du travail.

"Dans mon entourage, personne ne va voter. On ne croit plus en ça. On cherche d'abord à travailler, à sortir de la galère."

Melain, 23 ans

à franceinfo

"Je n'ai plus de carte d'électeur", témoigne aussi Denis, 25 ans. Il a interrompu assez jeune sa scolarité pour partir sur la route, où il a vécu pendant cinq années de petits boulots, de spectacles de rue et de mendicité. "Je sais que j'ai le luxe de vivre dans une démocratie mais j'ai d'autres priorités pour l'instant. Le mental n'était pas au top après le Covid, et je cherche d'abord à me remettre dans une bonne dynamique." 

L'abstention des jeunes n'est pas un fait nouveau, mais le phénomène semble s'accentuer d'élection en élection. "D'une manière générale, les jeunes votent moins parce qu'ils sont moins insérés dans la vie active. Et du fait de l'allongement des études, des petits boulots, de la mise en couple plus tardive, etc., il y a un retard à la pleine citoyenneté, explique le chercheur Pierre Bréchon, professeur émérite à Sciences Po Grenoble. Il y a une deuxième explication, plus générationnelle. Dans les générations âgées, voter était un devoir du bon citoyen. Chez les jeunes, on va voter si on estime qu'on a quelque chose à dire par rapport à l'élection."

"Les jeunes vont voter s'ils comprennent les enjeux de l'élection. Ils estiment que c'est un droit beaucoup plus qu'un devoir."

Pierre Bréchon, politologue

à franceinfo

Il est donc plus difficile de mobiliser l'électorat jeune. "Cela ne veut pas dire qu'ils sont désintéressés, dilettantes, qu'ils ne pensent qu'à leur plaisir. Mais il faut qu'ils comprennent le sens du vote, et c'est de plus en plus difficile en ce moment, car les politiques sont jugés comme peu fiables."

"Il faut être honnête, c'est chiant"

De nombreux jeunes estiment ainsi qu'ils n'ont pas reçu assez d'informations sur les élections de ce mois de juin. "Je ne vois pas à quoi ça sert un conseil régional ou départemental. Si on m'en avait vraiment parlé, si on avait pris le temps de m'expliquer pourquoi c'est important, peut-être que ça m'aurait créé un déclic", réfléchit Steven. "J'ai reçu les programmes par la poste, mais avant ça, je ne savais même pas qu'il fallait bientôt voter. Et avant de voir les panneaux électoraux, je n'avais pas compris de quelles élections il s'agissait", avoue Marine, 20 ans, qui, contrairement aux autres, va quand même voter par procuration.

"Cela fait seulement quelques jours que je sais qu'il faut aller voter, du coup je ne me suis pas assez renseignée sur les candidats, sur ce qu'ils proposent, je ne me sens pas assez légitime. C'est important, c'est notre avenir, mais la politique, tout ça, ça reste un peu flou, je ne comprends pas toujours", explique Lucy, 23 ans. "C'est compliqué de se renseigner au max sur les personnes qui se présentent, sur les programmes. Et il faut être honnête, c'est chiant… enfin pour moi, poursuit Coralie, 24 ans, qui effectue un service civique dans une mission locale à Agen (Lot-et-Garonne). On a bien les tracts dans les boîtes aux lettres, mais il faudrait peut-être les programmes à la télé ou une communication sur les réseaux sociaux."

"Là, j'ai l'impression qu'ils ne parlent pas du tout aux jeunes."

Coralie, 24 ans

à franceinfo

Après une année difficile liée à la crise sanitaire, de nombreux jeunes réclament d'être mieux pris en compte par les politiques. "Je ne trouve pas que les jeunes soient assez mis en avant dans la politique. Et la politique n'utilise pas assez de moyens pour cibler les jeunes, estime Léna. Il faut supprimer ce côté trop strict, trop impersonnel, trop ennuyeux… et rendre ça un peu plus marrant. Macron face à McFly et Carlito, je pense que c'est le bon langage, oui."

Léane, 18 ans, aimerait bien aller voter pour la première fois. Mais cette étudiante originaire des Hautes-Pyrénées s'avoue un peu perdue et réclame plus de pédagogie. "Ils pourraient rendre les programmes clairs et disponibles sur une application, et faire de la 'pub' sur les réseaux sociaux. Je trouve qu'ils ont une communication un peu dépassée."

"Les politiques sont de bons commerciaux"

Si de nombreux jeunes interrogés prévoient de se déplacer pour l'élection présidentielle l'an prochain, certains ne cachent pas leur déception vis-à-vis des responsables politiques. "Je n'ai pas prévu de voter, car de gouvernement en gouvernement, on nous fait des promesses, mais on n'a pas d'actes. Sur le travail des jeunes en particulier, c'est un peu une catastrophe", dénonce Tyméa, 18 ans. 

"Tout le monde fait des propositions, mais que ce soit un candidat de droite ou de gauche, on a l'impression que c'est toujours la même politique", ajoute Robby. "Les politiques ont des discours vendeurs, ce sont de bons commerciaux. Ils te vantent un produit et une fois que tu l'as acheté, il ne marche pas", regrette également Melain. 

Tom, 22 ans, a répondu à l'appel à témoignages de franceinfo pour expliquer pourquoi il n'ira pas voter. Cet étudiant en troisième année de médecine à Saint-Etienne se dit intéressé par la politique mais "frustré" par le climat actuel : "La polémique, la réaction et la médiocrité ont pris le dessus sur les propositions concrètes, la réflexion et la projection sur l'avenir. Les partis politiques 'traditionnels' ne répondent absolument pas aux nouvelles attentes de ma génération."

"Chaque parti est isolé, totalement sourd aux propositions des autres, et martèle les mêmes messages en boucle en espérant avoir un électeur de plus que les autres."

Tom, 22 ans

à franceinfo

Sonia, 23 ans, partage la même déception, même si elle a prévu de se rendre aux urnes. Elle estime que "l'offre politique et le système de représentation ne correspondent plus vraiment aux aspirations de la population, et d'une grande partie des jeunes". Elle propose d'envisager la politique sous la forme d'autres modes d'investissement, comme l'engagement associatif. "On a beaucoup entendu : 'C'est votre voix, ça compte, exprimez-vous'… Je trouve que ça n'a plus de sens. L'abstention, c'est une expression et c'est significatif. C'est un symptôme de la crise de représentation."

"Il faut montrer aux jeunes qu'ils comptent"

Pour lutter contre l'abstention, les jeunes sont majoritairement défavorables à l'instauration d'un vote obligatoire, mais certains estiment qu'il faudrait mieux prendre en compte le vote blanc. Depuis la loi du 21 février 2014, "les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal", mais "ils n’entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés"

Robby juge que le gouvernement "devrait aussi organiser un peu plus de référendums, comme en Suisse, qu'on puisse prendre plus de part dans la démocratie participative". Pour Sonia, la solution peut venir "de la concertation, car c'est une voie pour agrandir et ouvrir la démocratie". Elle estime que la Convention citoyenne pour le climat était une tentative intéressante, même si elle regrette "les déceptions" générées par la réponse politique.

"Il n'y a pas de solution miracle, prévient le politologue Pierre Bréchon. Si on veut éduquer à la citoyenneté, il faut prendre des mesures ciblées vers les milieux populaires, là où le problème existe fortement. Cela passe par l'école, les associations, et c'est une affaire de long terme." Diverses associations tentent de mobiliser la jeunesse par des actions de terrain. Le mouvement Tous élus organise ainsi régulièrement des jeux "qui permettent aux jeunes de se mettre dans la peau d'un dirigeant, d'un élu, afin de se rendre compte que la politique, ce n'est pas si compliqué", explique Audrey Fortassin, directrice générale de Tous élus.

"L'objectif, c'est de travailler sur la déconnexion entre le jeune et la politique. Il s'agit de réduire l'écart entre ceux qui prennent la décision et ceux qui la subissent."

Audrey Fortassin, directrice générale de Tous élus

à franceinfo

Mais pour Tom, la solution passe "d'abord par les responsables politiques, qui doivent se remettre en question et commencer à penser au peuple avant leur personne et leur poste"Pierre Bréchon pointe aussi du doigt le rôle du politique face à cette abstention massive. "Il faut montrer aux jeunes qu'ils comptent dans la société, car plus on est dans une période de crise, une période d'intégration difficile dans la société, plus les jeunes se détournent du vote." 

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