Régionales : pourquoi la vallée de la Garonne vote-t-elle Front national ?
Dans un Sud-Ouest plutôt ancré à gauche, les communes situées le long de la Garonne se démarquent par une forte mobilisation en faveur du Front national. Le démographe Hervé Le Bras avance plusieurs explications à ce vote extrême.
C'est une sorte de bande bleue épaisse et homogène, qui traverse en diagonale un océan rose. Comme le montre la carte des résultats après le premier tour des régionales, dimanche 6 décembre, le scrutin a placé le Front national en tête dans de nombreuses communes qui se situent le long de la Garonne. Particulièrement concernées, les communes du Lot-et-Garonne et du Tarn-et-Garonne, départements où le parti de Marine Le Pen s'est adjugé respectivement 31,84% et 35,65% des voix. Des scores qui tranchent avec la tradition d'un vote plutôt acquis à la gauche dans le Sud-Ouest et qui explique en partie la percée historique du FN en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon.
Pour comprendre ce phénomène, francetv info s'est adressé à Hervé Le Bras, démographe à l'EHESS et auteur de Le Pari du FN (éd. Autrement), qui propose une analyse géographique et anthropologique du vote frontiste.
Parce que c'est une ancienne terre d'immigration
Comme l'explique Hervé Le Bras, voir les populations de communes du Lot-et-Garonne et du Tarn-et-Garonne voter massivement pour le Front national n'est pas une surprise. "En 1984, c'était déjà le cas, rappelle le chercheur. Il y a un ancrage ancien du FN, dans des villes comme Agen, Montauban ou Moissac par exemple." Dans cette dernière commune, Marine Le Pen avait déjà trouvé 23% d'électeurs à la présidentielle en 2012 et Louis Aliot 30% aux Européennes en 2014.
Pour expliquer cette tendance, le démographe propose une "interprétation" : "Dans cette région, en 1921, des dizaines de milliers de familles italiennes ont été installées dans cette zone en manque de population, notamment à cause des morts provoquées par la première guerre mondiale. Or, il est connu qu'il existe une hostilité forte de la part d'une vague d'immigration vis-à-vis de la vague suivante. Il y a une habitude à clamer : 'On n'est pas comme ces gens-là'. On constate le même genre de phénomène dans le Nord et l'Est, avec les descendants d'immigrés polonais."
Parce que c'est un grand axe de circulation
L'autre hypothèse défendue par Hervé Le Bras dans son ouvrage est la suivante : les plaines sont propices à la diffusion des idées frontistes alors que les reliefs empêchent leur propagation. "Le vote FN se répand dans les zones de grande circulation", explique le chercheur. Et la vallée de la Garonne abrite une autoroute très fréquentée, l'A62, qui place Bordeaux à 2h30 de Toulouse, ainsi qu'une ligne TGV reliant les deux villes. Entre les deux principales agglomérations du Sud-Ouest se trouvent des zones rurales et des villes moyennes entourées de centres commerciaux et de bretelles d'autoroute. "Comme les rumeurs, les slogans frontistes s'y répandent à grande vitesse, relève Hervé Le Bras. On retrouve ce type de phénomène dans la basse vallée du Rhône ou la vallée de la Loire."
Les facilités de circulation provoquent par ailleurs une modification de la composition sociale des communes, avec des arrivées de populations quittant les villes pour ces zones périurbaines. Ces nouveaux arrivants sont parfois rejetés par les habitants dits "historiques", participant ainsi au sentiment d'isolement qui s'empare des occupants de ces localités. "Le politologue Paul Alliès l'a déjà expliqué : le FN est plus fort dans les communes où il y a beaucoup de turnover, beaucoup de mouvements de population, remarque le démographe. Autrefois, on appelait ça 'l'invasion des Parigots'. On le vérifie dans les villes de villégiatures, où le vote frontiste est souvent plus important."
Parce que c'est une "zone fragile"
La vallée de la Garonne n'apparaît pas uniquement dans la carte de France du vote frontiste. Dans son Atlas des inégalités (éd. Autrement), Hervé Le Bras la répertorie comme une "zone fragile", en matière d'inégalités sociales. Le chercheur s'appuie sur un indice qu'il a défini selon plusieurs paramètres : le chômage des jeunes, le taux de jeunes sans diplôme, le nombre de familles monoparentales, les revenus des plus pauvres et les écarts de revenus. "C'est une zone où tous ces paramètres, qui sont liés à la pauvreté et aux inégalités, sont réunis", commente le Hervé Le Bras.
Comme le montre la seconde carte ci-dessus, la géographie du vote Front national est quasiment calquée sur ces données sociales. Dans son livre, Hervé Le Bras rappelle d'ailleurs que plus qu'une recherche de réponses aux problèmes de l'insécurité et de l'immigration, les raisons du vote FN sont probablement liées "à un malaise plus profond".
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