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Présidentielle 2022 : pourquoi les candidats n'osent-ils pas mettre les pieds dans le plat en proposant de manger moins de viande ?

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Les bovins sont de loin les élevages les plus émetteurs de gaz à effet de serre. (GARO / PHANIE / AFP)

Prôner la réduction de la consommation de viande reste une mesure en faveur du climat peu explorée par les prétendants à l'Elysée, malgré l'impact de l'élevage sur les émissions de gaz à effet de serre. Seuls Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon promettent de promouvoir un régime alimentaire moins carné.

En France, l'agriculture constitue la deuxième source d'émissions de gaz à effet de serre, à hauteur de 19%. Contrairement aux autres secteurs, comme le transport ou le bâtiment – dont les émissions sont essentiellement liées à l'énergie –, les émissions dues à l'agriculture sont composées à 45% de méthane, issu pour l'essentiel de la digestion des animaux d'élevage, et à 43% de protoxyde d'azote. La surface agricole nécessaire à la production d'aliments à destination de ces cheptels vient par ailleurs grignoter la forêt, qui représente pourtant un précieux puits de carbone. 

Parce que les bovins sont de loin les élevages les plus émetteurs de gaz à effet de serre, comme le détaille cette infographie relayée par le site Carbon Brief (en anglais)la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) – le document officiel qui décrit les efforts à réaliser secteur par secteur – préconise de "limiter les excès de consommation de charcuterie et de viandes (hors volailles)" au profit des légumineuses et de fruits et légumes.

Or, cette recommandation ne suscite pas l'adhésion des candidats à l'élection présidentielle, révèle l'analyse des programmes réalisée par Les Shifters, une association de bénévoles qui accompagne The Shift Project, un groupe de réflexion spécialisé dans la transition énergétique. Au contraire, cette campagne a vu émerger un discours de défense de la viande. 

Un sujet mis sur la table par Fabien Roussel

Face à l'urgence climatique, "les candidats se risquent peu à proposer des mesures qui impliquent des changements de consommation ou de production", analysent Les Shifters. Ainsi, la diminution de la part carnée dans l'alimentation "est abordée de manière marginale et euphémisée par les candidats". Sur les 12 prétendants à l'Elysée, seuls deux d'entre eux – Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon – promettent de promouvoir un régime alimentaire moins carné.

>> Crise climatique : on a épluché les programmes des candidats à la présidentielle pour voir s'ils respectent l'accord de Paris

D'autres approchent ainsi le contenu de l'assiette en creux. Sans mentionner la viande, la candidate socialiste Anne Hidalgo défend par exemple "une autonomie en protéines végétales", quand le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan demande "le lancement d'un plan de production et de consommation de fruits et légumes français". Marine Le Pen propose quant à elle un étiquetage sur l'origine des produits alimentaires "qui pourrait avoir un impact sur la consommation favorable au climat", relèvent Les Shifters.

Peu présente dans les programmes, la viande s'est toutefois retrouvée au menu de la campagne, mise sur la table par Fabien Roussel. Le candidat communiste a déclaré début janvier qu'"un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c'est la gastronomie française", suscitant une controverse gastronomico-culturelle. "Fabien Roussel a jeté un pavé dans la mare pour se distinguer des écologistes et de Jean-Luc Mélenchon. Mais dans le fond, son programme n'est pas particulièrement pro-viande", constate Benoît Granier, responsable alimentation du Réseau action climat.

Fabien Roussel et Sandrine Rousseau débattent autour des questions environnemerntales
Fabien Roussel et Sandrine Rousseau débattent autour des questions environnemerntales Fabien Roussel et Sandrine Rousseau débattent autour des questions environnemerntales

Le discours, lui, est "efficace d'un point de vue électoraliste", relève le spécialiste. Dans une campagne peu tournée vers les questions environnementales, la viande est devenue un patrimoine populaire à défendre contre les assauts supposés d'une partie de la gauche, souvent accusée de sacrifier les traditions sur l'autel de la lutte contre le réchauffement climatique et de la protection de la biodiversité. "N'en déplaise à certains, un pavé charolais arrosé d'un bon vin, ça, c'est la France de la table !", abondait d'ailleurs Valérie Pécresse, la candidate des Républicains, en meeting à Paris le 13 février.

Un ingrédient qui se raréfie dans les assiettes

La réduction de la consommation de viande prônée dans la SNBC prend le "contre-pied de la hausse de la consommation de viande associée à la hausse du niveau de vie depuis deux siècles", notent Les Shifters. Toutefois, cet imaginaire s'érode au fil des ans, alors qu'augmente la préoccupation des Français pour les questions environnementales. La consommation de produits carnés a ainsi diminué de 12% entre 2007 et 2016, estime le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc).

Selon une enquête Harris Interactive commandée par le Réseau action climat (RAC) et publiée en février 2021, 48% des personnes qui mangent de la viande – au moins occasionnellement – assurent avoir diminué leur consommation au cours des trois dernières années. Une tendance plus marquée dans les villes et dans les classes supérieures, détaille l'étude, qui révèle en outre que les classes populaires figurent parmi les plus grandes consommatrices de viande. 

Aussi, passées les exagérations d'un discours caricatural renvoyant dos à dos "France bavette" contre "France tofu", manger moins de viande, mais une viande de meilleure qualité, fait consensus. L'enquête détaille : "74% des Français profiteraient des économies réalisées par une réduction de leur consommation de viande pour investir dans une alimentation de meilleure qualité, et en particulier une viande de meilleure qualité (bio, produite localement, rémunérée justement pour le producteur, animaux élevés à l’air libre...)."

Des mesures qui ne font pas recette ?

Une idée défendue par l'ensemble des candidats, à commencer par Fabien Roussel lui-même. Car la petite phrase sur la gastronomie française qui a allumé le barbecue, début janvier, a souvent été tronquée. Interrogé sur une autre passion française (le vin), il déclarait alors : "Le bon vin, comme la bonne viande, il vaut mieux en boire peu, mais du bon, en manger moins, mais de la bonne, boire français et manger de la viande française, mais surtout que tout le monde y ait accès, parce que c'est cher." 

Tout en brandissant le spectre d'une interdiction de la viande, le candidat communiste a ainsi récemment ajouté à son livret climat une mesure en faveur de menus moins carnés dans la restauration collective, conformément aux recommandations publiées fin mars par le Réseau action climat, note Benoît Granier. Une mesure déjà présente chez Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, quoi que trop peu détaillée dans les programmes, d'après Les Shifters.

Agir sur les cantines s'inscrit dans la lignée de la loi Climat, laquelle a entériné, en août 2021, le principe d'au moins un repas végétarien par semaine. Dans une étude parue le 24 mars dans la revue European Journal of Nutrition, des chercheuses de l'Inrae proposent d'aller plus loin en supprimant la viande rouge des menus des cantines scolaires. Trois menus végétariens par semaine, du poisson et de la viande blanche aux deux autres repas de midi constituent "une piste intéressante pour concilier bonne nutrition et respect de l'environnement", estiment-elles, mettant en avant les risques pour la santé d'une consommation trop importante de viande rouge. 

D'autres mesures ambitieuses n'ont pas su s'imposer dans les programmes, relève Benoît Granier, qui cite la révision des références nutritionnels du Programme national nutrition santé (PNNS). A l'heure actuelle, ce document recommande de ne pas dépasser les 500 g de viandes rouges par semaine. "Des pays comme le Danemark ont revu ces références et recommandent désormais de se limiter 350 g de viande, toute viande confondue par semaine, explique-t-il. On pourrait  imaginer des campagnes pour inciter à manger moins de viande, mais mieux." Une modération à la fois bonne pour l'homme et pour la planète mais, à en croire la majorité des candidats, un brin risquée politiquement.

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