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Quand Emmanuel Macron était banquier d'affaires : "Un élément prometteur, mais sans plus"

Le candidat d'En marche ! a travaillé pendant quatre ans au sein de Rothschild & Co. Il y est devenu millionnaire, avant de se lancer en politique.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Emmanuel Macron lors d'un meeting à Châtellerault (Vienne), le 28 avril 2017. (ERIC FEFERBERG / AFP)

Vous est-il arrivé de taper "Macron banquier" sur Google ? Cette requête suffit à mesurer à quel point ces deux mots, accolés, suscitent les pires fantasmes. De quoi donner envie de scruter de plus près les quatre années passées chez Rothschild & Co par le futur candidat à l'Elysée. Le banquier d'affaires a-t-il été un "Mozart de la finance" ? Ou un météore de passage dans les couloirs feutrés de cette banque prestigieuse, dans l'attente d'un autre destin ? A trois jours du second tour du dimanche 7 mai, franceinfo se penche sur la précédente carrière d'Emmanuel Macron.

Une carrière débutée sur les conseils d'Alain Minc

Rembobinons le parcours du prodige. Sorti en 2004 dans la "botte" (c'est-à-dire parmi les tout premiers) de l'ENA, Emmanuel Macron rejoint à 27 ans la très élitiste Inspection des finances. Il devient rapidement le protégé de Jean-Pierre Jouyet, alors chef des inspecteurs des finances, qui le présente à Jacques Attali. De fil en aiguille, Emmanuel Macron est désigné en 2007 rapporteur général adjoint de la Commission pour la libération de la croissance. Présidée par l'ancien sherpa de François Mitterrand, ce cénacle est un vivier de patrons, d'économistes et d'intellectuels.

Le jeune Macron étoffe son carnet d'adresses, et croise quantité de bonnes fées qui se penchent sur sa carrière naissante. Elles l'orientent vers la banque d'affaires. "Au moins trois commissaires, Jean-Michel Darrois [avocat], Serge Weinberg [président du conseil d'administration d'Accor] et Xavier Fontanet [PDG d'Essilor International], le recommandent chez Rothschild", racontent Les Echos.

Pourquoi le jeune homme, déjà mû par une ambition présidentielle, selon son biographe François-Xavier Bourmaud, choisit-il le privé ? Parce que l'homme d'affaires Alain Minc lui aurait donné ce conseil, dès sa sortie de l'ENA :

Pour faire de la politique aujourd'hui, il faut être riche ou ascète. Donc, commence par fabriquer de l'épargne, deviens banquier d'affaires. D'abord, tu seras libre (...) de conseiller des hommes politiques pendant cette période. Mais, surtout, tu gagneras bien ta vie pendant plusieurs années, et tu y gagneras ta liberté.

Alain Minc

Cité dans le livre "Macron, l'invité surprise" (éd. de l'Archipel)

En septembre 2008, Emmanuel Macron suit la suggestion de son mentor et se met en disponibilité de la fonction publique. A trente ans, il rejoint la banque d'affaires Rothschild & Co, "dix jours seulement avant la chute de Lehman Brothers", note Rue 89.

"Quand il arrive, il ne connaît rien à la finance"

Krach ou pas, Rothschild & Co conserve son cœur de métier : l'ingénierie financière. A l'instar de sa grande rivale Lazard, la banque d'affaires est spécialiste des fusions-acquisitions (les "fusac" pour les initiés). A elle de faire les évaluations financières lorsque deux entreprises s'allient, cèdent des filiales ou échangent des participations. A elle, surtout, de "renifler" à l'avance les mariages supposés juteux entre grandes entreprises, pour jouer les entremetteurs intéressés.

Pour le jeune banquier, il s'agit donc de décrocher des marchés, et de prouver ses compétences dans un domaine tout neuf pour lui. "Quand il arrive, il ne connaît rien à la finance. Il est pris pour son carnet d'adresses qui intéresse beaucoup, mais il n'a pas encore la technicité financière nécessaire", explique à franceinfo Martine Orange, qui a publié en 2012 Rothschild, une banque au pouvoir (éd. Albin Michel). Et d'ajouter :

Je fais mon enquête à ce moment-là sur Rothschild, pour mon livre. Je n'entendrai presque jamais parler d'Emmanuel Macron.

Martine Orange

à franceinfo

"David de Rothschild, avec qui j'ai eu cinquante heures d'entretien, ne m'en a pas parlé comme un élément déterminant. C'était peut-être un élément prometteur, mais sans plus, à ce moment-là". précise-t-elle."Un vrai débutant", surenchérit dans son essai François-Xavier Bourmaud, mais qui "apprend vite" : "Il a suffisamment de bagou pour faire oublier sa méconnaissance du milieu et a l'art de donner le change."

Il devient associé en un temps record

Mais la technicité a-t-elle une réelle importance ? Non, tranche un fin connaisseur du milieu joint par franceinfo, qui préfère garder l'anonymat : 

Un banquier d'affaires, c'est un cheval d'écurie, une perle rare. On achète d'abord un carnet d'adresses, surtout en France.

Un spécialiste de la banque d'affaires

à franceinfo

Il précise sa pensée : "Pour être banquier d'affaires dans le domaine de la chimie ou du pétrole, il faut avoir fait Polytechnique. Si vous êtes dans le secteur bancaire, mieux vaut être énarque et inspecteur des finances, car ces gens-là ne décrochent leur téléphone que pour un alter ego", poursuit-il.

Une ascension "mystère"

Le surdiplômé va d'ailleurs connaître une ascension fulgurante. A 32 ans, Emmanuel Macron devient associé-gérant chez Rothschild, battant ainsi le record (33 ans) détenu par Grégoire Chertok, un banquier star de la rue de Messine. Une progression étonnante ? Pour Martine Orange, cette propulsion éclair reste "un mystère". D'autres plus capés, fait-elle remarquer, attendent "des années" avant d'être admis dans ce tout petit cercle. Plus subtilement, Les Echos notent en creux qu'Emmanuel Macron n'a pas "le profil de banquier classique" et n'est pas "un pur produit Rothschild", contrairement à ses deux collègues trentenaires cooptés comme lui fin 2010.

Le journal économique retient surtout, comme haut fait d'armes du nouvel associé, son intervention dans "la recapitalisation du journal Le Monde". Ce travail n'a pourtant rien rapporté à Rothschild puisqu'Emmanuel Macron conseillait bénévolement la société des rédacteurs du quotidien. Il y a d'ailleurs laissé un souvenir mitigé : son vice-président d'alors, Adrien de Tricornot, a raconté au site StreetPress comment Emmanuel Macron l'avait "séduit, puis trahi". Sans le dire, le futur ministre de l'Economie était alors en contact avec Alain Minc, qui soutenait une des offres de rachat du Monde.

Double jeu ou pas, cette casquette, qui l'a rendu très visible, montre qu'Emmanuel Macron regardait déjà ailleurs. "En 2010, écrit François-Xavier Bourmaud dans son ouvrage, il devient assez vite la cheville ouvrière du 'groupe de La Rotonde', cette bande d'experts qui travaillent à bâtir le programme économique de François Hollande" et se réunissent dans une brasserie proche de Montparnasse.

Emmanuel Macron travaille toujours chez Rothschild. Pour lui, ce n'est plus désormais que l'antichambre du pouvoir.

François-Xavier Bourmaud

dans "Macron, l'invité surprise"

Faut-il, pour autant, considérer comme négligeable son bilan de banquier d'affaires ? Non, d'autant qu'il a su faire fructifier les contacts noués à la commission Attali. Grâce à Peter Brabeck-Letmathe, PDG de Nestlé rencontré à ce moment-là, il décroche le gros lot. A la fin de sa brève carrière bancaire, il se voit confier la négociation du géant agro-alimentaire pour racheter à Pfizer sa branche de laits infantiles. Nestlé débourse près de 9 milliards d'euros, et Emmanuel Macron devient millionnaire. "En dix-huit mois, de 2011 au premier semestre 2012, avant sa nomination comme secrétaire général adjoint de l'Elysée, détaille BFMTV, il a gagné 2,4 millions d'euros chez Rothschild."

Un gros coup et puis s'en va

De là à le considérer comme un virtuose de la haute finance, il y a un pas que les spécialistes ne franchissent pas. Fondateur d'AlumnEye, un site qui prépare les aspirants aux entretiens d'embauche dans le secteur financier, Michael Ohana a d'autres idoles chez Rothschild :

Emmanuel Macron a fait un deal, Nestlé, et c'est tout, tandis que Grégoire Chertok, c'est 'l'homme aux 150 deals'. Une légende dans le secteur des fusions acquisitions !

Michael Ohana

à franceinfo

"Son passage chez Rothschild n'a été marqué que par un seul deal important apporté sur un plateau par la commission Attali", approuve un autre interlocuteur, notre fin connaisseur anonyme cité plus haut. "Ça ne suffit pas à hisser Emmanuel Macron au rang des 'stars' de la banque d'affairesdes dealmakers comme Chertok ou Pigasse [le patron de la banque Lazard]." Et de conclure : "Probablement parce qu'il est un peu trop contemplatif. Il ne cherche pas à faire du fric à tout prix. En vrai, ça ne devait pas l'intéresser plus que ça."

Qu'auront apporté les années Rothschild à Emmanuel Macron ? De l'argent, dont il ne reste qu'un patrimoine inférieur à 300 000 euros, selon sa déclaration à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Une image de banquier d'affaires qui va lui coller à la peau, sans que les gens soient forcément conscients, déplore Michael Ohana, qu'il aurait pu gagner beaucoup plus d'argent en restant chez Rothschild & Co : "Les gens accusent Macron d'être un grand méchant banquier, mais il est sincère quand il dit : 'j'ai pris mon risque'. Financièrement parlant, c'est vrai."

Quant à la banque Rothschild & Co, précise notre spécialiste anonyme, elle n'est pas franchement ravie de cette publicité : "En prenant Emmanuel Macron, ils voulaient son carnet d'adresses, pas une vedette qui prenne la lumière et braque les projecteurs sur la banque ! S'il est élu, on va passer à la loupe tous leurs deals, surtout si l'Etat y est mêlé de près ou de loin." Un lien avec le plus haut niveau de l'Etat qu'a déjà connu la banque dans le passé. En effet, si Emmanuel Macron devient président de la République, il sera le second ancien banquier de chez Rothschild à accéder à l'Elysée, après Georges Pompidou.

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