Présidentielle : six réponses à votre beau-père Jean-Louis, qui se plaint de ne jamais voir ou entendre les petits candidats
Devant la complexité des règles sur le temps de parole des candidats à la présidentielle, Jean-Louis est un peu perdu. Franceinfo lui répond.
Vous avez bien essayé d'éviter le sujet pendant cet interminable repas de famille, mais patatras : entre le fromage et le dessert, votre beau-père Jean-Louis n'a pas pu résister et s'est mis à parler politique et élection présidentielle. Jean-Louis ne dit pas pour qui il veut voter, mais une chose l'agace plus que tout : "C'est toujours les mêmes qu'on voit à la télé ! Les médias ne traitent pas tous les candidats de la même manière !"
Encore un jugement à l'emporte-pièce caractéristique de votre beau-père, qui n'en loupe décidément pas une ? Ou un coup de gueule bien senti contre un système médiatique qui choisirait lui-même les candidats dignes d'être représentés à l'antenne ? Franceinfo vous donne quelques éléments pour lui répondre.
1"On n'invite jamais les petits candidats à la télé, c'est un déni de démocratie !"
Jean-Louis, avant de vous répondre, laissez-moi vous rappeler quelques éléments indispensables pour comprendre de quoi on parle. Depuis le 1er février, et jusqu'au second tour de l'élection présidentielle, les temps de parole des candidats sur les chaînes de télévision – généralistes et chaînes d'information – et les stations de radio sont scrutés à la loupe par le Conseil supérieur de l'Audiovisuel (CSA). Le gendarme de l'audiovisuel contrôle autant le temps de parole (interventions d'un candidat et de ses soutiens) que le temps d'antenne (qui comprend en plus l'ensemble des séquences qui lui sont consacrées, si elles ne lui sont pas explicitement défavorables).
Vous avez l'impression de moins entendre parler Philippe Poutou ou Rama Yade que François Fillon ou Emmanuel Macron ? C'est normal. Car pour le moment (c'est-à-dire dans la période allant du 1er février au 19 mars, date à laquelle la liste des candidats sera arrêtée), la règle n'est pas l'égalité, mais l'équité des temps de parole et d'antenne. Cela signifie que les médias doivent accorder aux candidats et à leurs soutiens des temps de parole ou d'antenne "en fonction de leur représentativité et de leur implication effective dans la campagne". Or, Jean-Louis, vous conviendrez qu'un Nicolas Dupont-Aignan n'a pas le même poids politique qu'une Marine Le Pen ou qu'un Benoît Hamon...
2"Les autres années, les chaînes étaient obligées de respecter l'égalité entre candidats !"
Votre mémoire vous fait peut-être défaut, Jean-Louis, car même lors des précédentes élections présidentielles, il n'a jamais été question d'imposer l'égalité des temps de parole tant qu'on ne connaît pas la liste officielle des candidats autorisés à concourir ! C'est logique, non ?
Il y a quand même du vrai dans ce que vous dites, Jean-Louis, mais vous ne vous en rendrez compte qu'après le 20 mars. C'est justement à cette date que le Conseil constitutionnel proclamera la liste des candidats retenus (c'est-à-dire ceux qui auront obtenu leurs 500 signatures d'élus). Lors des précédents scrutins présidentiels sous la Ve République, cette publication donnait le coup d'envoi d'une "période d'égalité", pendant laquelle une stricte égalité des temps de parole et d'antenne devait alors être observée par les médias audiovisuels.
Cela va vous faire bondir, Jean-Louis, mais ce ne sera pas le cas cette année. Parce qu'en 2016, une loi est venue changer ces règles. Désormais, la période d'égalité ne commencera que deux semaines avant le premier tour, soit le 10 avril. Et que va-t-il se passer entre le 20 mars et le 9 avril, me demanderez-vous ? Désolé Jean-Louis, j'ai bien peur que vous soyez condamné à reprendre une dose d'équité... Vous êtes un peu perdu ? Regardez cette infographie réalisée par le CSA.
Le vote de ces nouvelles règles a fait réagir de nombreux "petits candidats". "Ce serait comme si, pendant un match de foot, une équipe avait trois joueurs tandis que l’autre équipe aurait le nombre de joueurs habituel. C’est donc une concurrence déloyale", avait par exemple critiqué Nicolas Dupont-Aignan.
Alors pourquoi ce changement ? Après l'élection de 2012, une partie de la classe politique, les médias et le CSA lui-même ont jugé que le principe d'égalité était excessif, estimant qu'il nuisait au débat démocratique. "L'application pendant une aussi longue période du principe d’égalité entre les candidats a eu pour conséquence paradoxale de réduire leur exposition médiatique : craignant de ne pouvoir garantir l’égalité entre tous, les services de radio et de télévision ont réservé une part réduite à l'expression des candidats au cours des trois semaines qui ont précédé la campagne électorale", écrivait le CSA en septembre 2015 à propos de la campagne présidentielle de 2012.
3"On sait bien que les médias choisissent d'inviter les candidats qui les arrangent !"
Jean-Louis, vous portez un jugement de valeur, mais vous mettez le doigt sur une question importante. En période d'équité, comment déterminer que tel candidat a "droit" à davantage de temps d'antenne que tel autre, et comment quantifier cela ? C'est toute la difficulté – et l'hypocrisie, diront certains – de l'exercice.
"L'appréciation de la notion d'équité se fonde sur deux séries d'éléments", explique le CSA sur son site internet. D'abord, "la représentativité des candidats qui prend en compte, en particulier, les résultats du candidat ou de la formation politique aux plus récentes élections", mais aussi "la capacité à manifester concrètement leur implication dans la campagne : organisation de réunions publiques, participation à des débats, désignation d'un mandataire financier et, plus généralement, toute initiative permettant de porter à la connaissance du public les éléments du programme du candidat".
En l'absence de règles claires, les médias composent donc un peu à leur guise. "Pendant la période d'équité, il n'y a pas d'objectif précis sur le temps qui doit être alloué à chaque candidat. On laisse de la souplesse et l’initiative aux chaînes, qui doivent pouvoir exercer leur liberté éditoriale", explique-t-on au CSA, joint par franceinfo. Pour juger du temps à accorder aux différents candidats, les médias se servent d'ailleurs à loisir d'un autre élément d'appréciation, étonnamment absent de la liste du CSA : les sondages d'opinion.
"Nous avons un faisceau d'indices à notre disposition. Les sondages sont un élément parmi d'autres" confirme Anne Grand d'Esnon, directrice de la réglementation, de la déontologie et du pluralisme des antennes de France Télévisions, au même titre que "la notoriété du candidat, le nombre d'élus qui le soutiennent ou encore sa dynamique de campagne". "Mais personne ne veut prendre la responsabilité de donner des objectifs chiffrés, déplore-t-elle. Le CSA nous laisse nous débrouiller mais n'hésite pas à nous taper sur les doigts après coup s'il estime que l'équité n'a pas été respectée."
4"Je ne suis pas sûr que ce soit fait très sérieusement. Ça m'étonnerait que tout soit réellement chronométré à la seconde près !"
Eh bien si, Jean-Louis, tout est mesuré à la seconde près au sein des médias, par des salariés qui passent leur temps devant la télévision ou la radio. A France Télévisions, une dizaine de personnes est mobilisée à plein temps pour remplir cette tâche ingrate, notamment le week-end. A Radio France, une partie de cette mission est confiée à une société extérieure.
Chaque morceau de phrase, chaque mot prononcé par un candidat doit être comptabilisé, que ce soit dans un journal télévisé, un documentaire, une émission de divertissement... Dans certains cas, ce travail dantesque peut tourner au casse-tête. Lors d'une interview, la question du journaliste doit-elle être comptabilisée ? Comment mesurer le temps lorsque, au cours d'un débat, deux candidats se coupent sans cesse la parole ? L'intervention d'un éditorialiste sur l'affaire Fillon est-elle "expressément défavorable" au candidat de la droite, auquel cas elle ne doit pas être comptabilisée, ou bien suffisamment neutre pour pouvoir être prise en compte ? Sur tous ces petits tracas, le dialogue est permanent. "Nous avons des échanges quotidiens avec le CSA sur ces questions", confirme Anne Grand d'Esnon.
Dans chaque média, les équipes dédiées au décompte des temps d'antenne doivent entrer leurs données dans un logiciel fourni par le CSA. Tous les lundis à la mi-journée, les décomptes concernant la semaine précédente sont transmis au CSA. "Chaque semaine, nous contrôlons les données de trois émetteurs choisis aléatoirement. Nous vérifions aussi les décomptes lorsqu'un élément qui apparaît comme anormal nous interpelle", explique-t-on au CSA.
Pour les chaînes de télé et les stations de radio, toute cette gymnastique crée non seulement un surplus de travail dont elles se passeraient bien, mais aussi des difficultés de programmation. D'autant qu'à partir du 20 mars, l'équité de temps d'antenne doit s'apprécier "à conditions de programmation équivalentes", selon des tranches horaires définies par le CSA : 6h-9h30, 9h30-18h, 18h-0h et 0h-6h. Une contrainte qui touche moins les chaînes d'info en continu, qui consacrent une grande partie de leur antenne à la présidentielle, que les chaînes généralistes, dont les grilles sont moins souples.
5"Mais quand Hollande et sa clique parlent, ça aussi c'est du temps de parole !"
Jean-Louis, il ne vous a pas échappé que les interventions télévisées ou radiodiffusées des soutiens des candidats devaient être comptabilisées dans le temps de parole. Mais peut-être n'avez-vous pas noté que François Hollande ne soutient officiellement aucun des candidats déclarés. C'est également le cas de nombreux ministres qui interviennent régulièrement à l'antenne, comme le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, ou la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal. Le temps de parole de ces personnalités n'est donc pas décompté, même lorsqu'elles parlent de l'élection présidentielle.
Et quid des candidats qui ont retiré leur candidature en cours de campagne, comme François Bayrou ou Yannick Jadot ? La solution est simple : tout ce qu'ils auront dit avant leur renoncement ne sera plus pris en compte, et ce qu'ils diront après sera comptabilisé en faveur du candidat qu'ils soutiennent désormais, à savoir Emmanuel Macron pour le premier, Benoît Hamon pour le second.
6"Ce système n'est pas transparent. On n'a aucun moyen de contrôle"
Ce n'est pas vrai, Jean-Louis ! D'abord, rien ne vous empêche de passer votre temps devant votre télévision et de calculer vous-même les temps de parole des candidats ! Certes, c'est fastidieux, mais vous pourrez comparer vos résultats avec les données mises en ligne chaque semaine par le CSA sur son site. Tout y est détaillé, chaîne par chaîne, et en distinguant le temps de parole (du candidat ou de ses soutiens) et le temps d'antenne.
Et pour vous faciliter encore la tâche, Jean-Louis, franceinfo a compilé toutes ces données. Allez, comme on vous aime bien, voici en avant-première le résultat de nos additions :
Vous pouvez constater que François Fillon arrive largement en tête des temps d'antenne, avec près de 16 000 minutes d'antenne entre le 1er et le 26 février, soit plus de 265 heures. Loin derrière figurent Emmanuel Macron (163 heures), Marine Le Pen (118 heures), Benoît Hamon (112 heures), Jean-Luc Mélenchon (52 heures)... Les "petits" candidats, comme Nicolas Dupont-Aignan, Henri Guaino, Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud doivent se contenter des miettes.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.