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Infographie Résultats présidentielle 2022 : pourquoi les sondages ont-ils mal évalué les intentions de vote pour Mélenchon et Pécresse ?

Article rédigé par Mathieu Lehot-Couette
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, à Paris, dimanche 10 avril 2022. (ANDRE ALVES / HANS LUCAS / AFP)

Les sondeurs avancent l'effet du vote utile et une plus grande participation que prévue. Mais les méthodes des instituts pourraient aussi être en cause.

Le compte n'y était pas. Les derniers sondages publiés vendredi 8 avril ont donné le bon classement au premier tour de la présidentielle, mais de grands écarts ressortent entre les dernières estimations et le verdict des urnes pour plusieurs candidats. Certains ont vu leur score très sous-estimés, comme Jean-Luc Mélenchon ; d'autres ont au contraire été sur-estimés, à l'instar de Valérie Pécresse. Pour expliquer ces différences, les instituts de sondage avancent l'argument du vote utile, ainsi que l'effet d'une mobilisation plus importante que prévu. Mais les méthodes employées par les sondeurs, dont l'usage de plus en plus exclusif d'internet pour leurs enquêtes, sont également mises en cause.

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Pour comparer les résultats des urnes aux derniers scores des enquêtes d'opinion publiées avant le week-end du scrutin, franceinfo a agrégé les résultats de tous les sondages publiés le vendredi 8 avril. Nous avons ensuite calculé des marges d'erreur moyennes, c'est-à-dire les fourchettes des erreurs statistiquement possibles pour chaque candidat.

Le résultat de ce travail est projeté sur le graphique ci-dessous. Les traits crochetés noirs représentent les marges d'erreur. Les points représentent les scores obtenus par les candidats à l'issue du scrutin. Lorsque les points sont verts, les résultats rentrent dans les fourchettes de score des instituts de sondage. S'ils sont oranges, alors les scores sont en-dehors des intentions de vote calculées par les instituts.

Cette visualisation montre que le score obtenu par Jean-Luc Mélenchon à l'issue du premier tour de la présidentielle est beaucoup plus élevé que les intentions de vote qui lui étaient attribuées le vendredi 8 avril. Avec 21,95% des suffrages, le score du député des Bouches-du-Rhône dépasse la marge d'erreur de 2,96 points.

L'effet inverse se constate pour Eric Zemmour qui a remporté 7,05% des suffrages exprimés au premier tour, soit 0,46 points de moins que la limite basse de la marge d'erreur. De même pour Valérie Pécresse mais avec un plus grand écart. Avec 4,78 % des suffrages à l'issue du premier tour, la candidate des Républicains a réalisé un score inférieur de 2,44 points à la marge d'erreur des dernières enquêtes publiées avant l'élection.

Une mobilisation de dernière minute en faveur de Jean-Luc Mélenchon

Comment expliquer de telles différences ? Pour le sondeur Mathieu Gallard, directeur d'études à l'institut Ipsos, partenaire de franceinfo, ce phénomène s'expliquerait notamment par le recours massif au vote utile.

"Beaucoup d'électeurs ont semble-t-il fait le choix de se tourner vers les favoris."

Mathieu Gallard, directeur d'études chez Ipsos

à franceinfo

"Cela a eu pour conséquence de déplacer des soutiens d'Eric Zemmour vers Marine Le Pen, de Valérie Pécresse vers Emmanuel Macron et de Yannick Jadot et Anne Hidalgo vers Jean-Luc Mélenchon", poursuit-il. D'après lui, la participation, plus importante que prévue, a pu bénéficier à Jean-Luc Mélenchon : "Il y a eu une mobilisation d'abstentionnistes qui a bénéficié à Jean-Luc Mélenchon. 30% des électeurs qui se sont décidés au dernier moment ont voté pour lui."

Mathieu Gallard reconnaît qu'il reste malgré tout difficile de comprendre l'écart entre le résultat du candidat de La France insoumise et les dernières intentions de vote publiées avant le week-end.

"Nos sondages donnaient une bonne dynamique pour Jean-Luc Mélenchon, mais pas de cette ampleur."

Mathieu Gallard, directeur d'étude chez Ipsos

à franceinfo

Un biais se serait-il glissé dans les enquêtes d'opinion ? C'est une hypothèse qu'avance Vincent Tiberj. Ce professeur des université à Sciences Po Bordeaux pointe du doigt le dernier sondage d'Ipsos publié dans Le Monde, vendredi 8 avril. "Il s'agit d'une enquête menée sur un très large de panel de 10 000 personnes, avec des marges d'erreur très réduites, de seulement 1 point. Et pourtant, le score qui y était donné à Jean-Luc Mélenchon (entre 16,6 et 18,4%) reste très inférieur au résultat du candidat insoumis ", remarque-t-il. "Dès lors on peut se demander s'il n'y a pas un biais."

Une prime aux électeurs de droite ?

Pour le chercheur, une explication pourrait être à rechercher du côté des méthodes d'enquête utilisées par les sondeurs pour questionner les électeurs : "Les instituts de sondages ont tendance à préférer les questionnaires par internet, moins coûteux à réaliser, aux enquêtes en face à face, aux domiciles des sondés ou par téléphone. Or il a été démontré que les sondages par internet surestiment le vote en faveur de la droite et de l'extrême droite." 

Vincent Tiberj rappelle ainsi le précédent des élections régionales de juin 2021, pour lesquels les sondages avaient sur-estimés le score du Rassemblement national (de 4 à 9 points). "En Occitanie, les enquêtes d'opinion donnaient le RN et la liste de gauche de Carole Delga au coude-à-coude. Finalement, la socialiste a devancé l'extrême droite de près de 24 points", explique le chercheur en sociologie électorale.

Un argument qui pourrait donner raison à La France insoumise. Le parti mené par Jean-Luc Mélenchon s'était déjà plaint au cours de la campagne électorale de sondages ne prenant pas sufisamment en compte le vote populaire. Mais Mathieu Gallard rappelle que le leader des insoumis a profité de la bonne dynamique que les sondages lui ont donnée avant le scrutin.

"Je comprends que La France insoumise ne soit pas contente. Mais sans les sondages, il n'y a pas de vote utile."

Mathieu Gallard, directeur d'études chez Ipsos

à franceinfo

Ce report de voix n'aurait-il pas été encore plus important si les dernières enquêtes d'opinion avaient prédit ce score serré avec Marine Le Pen ? C'est une hypothèse qu'avance Vincent Tiberj : "Un vote Mélenchon à 21% dans les sondages aurait probablement eu un effet encore plus mobilisateur."

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