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Pourquoi Agnès Buzyn a-t-elle démissionné avant de se lancer dans la campagne des municipales à Paris ?

Contrairement à plusieurs ténors du gouvernement, l'ancienne ministre de la Santé a quitté son cabinet, dimanche, avant d'entrer en campagne. Eu égard à la "situation de crise" dans la capitale, il était impossible de cumuler les deux fonctions, explique son équipe. 

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Agnès Buzyn après la passation de pouvoir avec Olivier Véran, le 17 février 2020 au ministère des Solidarités et de la Santé, à Paris. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

Exit le coronavirus et la crise des hôpitaux. Agnès Buzyn a quitté le costume de ministre de la Santé, dimanche 16 février, pour revêtir celui de candidate à la mairie de Paris. Au moment de passer le pouvoir à son successeur Olivier Véran, la tête de liste LREM n'a pas pu contenir son émotion. En larmes, elle a décrit son passage au ministère comme "l'une des plus belles aventures humaines". En partir est-il donc un choix de cœur ou de raison ? Et pourquoi avoir présenté une démission quand Edouard Philippe au Havre (Seine-Maritime), Franck Riester à Coulommiers (Seine-et-Marne) et Gérald Darmanin à Tourcoing (Nord) font campagne dans les villes qu'ils visent sans avoir quitté leurs cabinets parisiens ?

VIDEO. Agnès Buzyn lors de la passation de pouvoir au ministère
VIDEO. Agnès Buzyn lors de la passation de pouvoir au ministère VIDEO. Agnès Buzyn lors de la passation de pouvoir au ministère

L'émotion affichée par l'ex-ministre laisse en tout cas une drôle d'impression au moment de lancer une difficile campagne. Sur les réseaux sociaux, la députée socialiste Valérie Rabault s'est d'ailleurs interrogée sur les motivations profondes d'un tel départ. "La ministre femme Agnès Buzyn doit démissionner. Certes c'est pour Paris. Une explication ? Merci". L'élue du Tarn-et-Garonne a sans doute oublié que Mounir Mahjoubi et Benjamin Griveaux avaient respectivement démissionné de leurs postes de porte-parole avant de briguer la mairie de Paris.

Par ailleurs, selon nos informations, le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer figurait dans le tête-à-tête final pour obtenir l'investiture parisienne. En cas de succès, il aurait lui aussi dû démissionner.

"Matignon, ce n'est pas la même chose"

La question d'une démission a tout de même le mérite d'être posée. Les députés LREM, interrogés sur ce point par France 5, livrent d'ailleurs des réponses évasives. "Quand il y a une [épidémie] comme le coronavirus, je pense que c'est compliqué [de faire campagne aux municipales]", a répondu Aurore Bergé (LREM). C'est une situation très différente que [pour] d'autres ministres. Edouard Philippe a été élu maire du Havre en 2014, donc il est sortant". Erwan Balanant, député MoDem du Finistère, a simplement répondu que "Matignon, ce n'est pas la même chose" et Sacha Houlié, député LREM de la Vienne, a préféré botter en touche, estimant qu'il fallait "poser la question aux intéressés".

VIDEO. Agnès Buzyn devait-elle démissionner ?
VIDEO. Agnès Buzyn devait-elle démissionner ? VIDEO. Agnès Buzyn devait-elle démissionner ?

Franceinfo a donc posé la question au QG de campagne d'Agnès Buzyn. Celui-ci met l'accent sur une "actualité bouillante" qui rend "impossible" une double casquette. "Il y a des urgences des deux côtés : dossiers complexes au ministère de la Santé (coronavirus, retraites...) et de l'autre une situation de crise à Paris", résume Marie-Laure Harel, porte-parole de campagne. "A un moment donné, quand c'est complexe des deux côtés..."

Quid des autres personnalités à la tête d'importants portefeuilles ministériels ? "[Le ministre de l'Action et des Comptes publics] Gérald Darmanin n'a pas de dossier particulièrement bouillant en ce moment, poursuit la porte-parole. J'imagine que ce serait plus compliqué pour lui si nous étions en pleine session budgétaire".

Autre différence de taille : Agnès Buzyn occupera bien le fauteuil de maire en cas de victoire. Or selon les informations de franceinfo, le gouvernement a demandé aux ministres de quitter le gouvernement s'ils choisissent d'assurer leurs fonctions de maires après les municipales. En cas de victoire au Havre, Edouard Philippe laissera donc le maire actuel assurer le mandat, ce qui n'empêche pas le Premier ministre de mener une campagne active dans la ville portuaire, où il passe en moyenne trois jours par semaine.

"Une vraie prise de risques"

Dépêchée en urgence au chevet d'une campagne moribonde, Agnès Buzyn a donc tiré un trait sur le Conseil des ministres. "Elle a quitté un ministère qu'elle aime. Quelle que soit l'issue, c'est une vraie prise de risques", juge son équipe. Cette aventure est pour le moins incertaine à Paris. Issue de la société civile, elle "suscite moins de jugements épidermiques que Benjamin Griveaux", analyse pour l'AFP Frédéric Dabi. Mais le directeur général adjoint de l'Ifop rappelle également son "inexpérience" des campagnes électorales et une notoriété toute relative – 36% des Français déclarent ne pas la connaître.

En attendant, ses adversaires à Paris ont déjà raillé un supposé manque d'entrain et d'envie, à l'image de l'adjoint au maire Jean-François Martins – les "marcheurs" "confondent casting national et réalité d'élu local." Marie-Laure Harel, de son côté, affirme qu'Agnès Buzyn a toujours "eu envie d'être maire de Paris et a toujours montré son souhait de s'investir dans la ville". En juin 2019, elle avait certes émis l'hypothèse d'une candidature mais elle ne s'est jamais officiellement lancée, que ce soit d'ailleurs en tête de liste ou au côté de Benjamin Griveaux.

Deux jours avant sa nomination, elle affirmait encore sur France Inter que son agenda était bien trop chargé pour se lancer à Paris. C'est "une décision de cœur et d'engagement", assure pourtant l'Elysée à l'AFP, tout en ajoutant que cette candidature était "un choix cohérent qui doit être salué".

Ce n'est évidemment pas l'avis des autres équipes en campagne à Paris. La candidate LR Rachida Dati a regretté, sur RTL, qu'Agnès Buzyn "soit candidate malgré elle", ajoutant que Paris n'était pas une "punition". Et dans le camp Hidalgo, le socialiste Rémi Féraud a ironisé sur la "ministre qui ne connaît rien aux dossiers de Paris". A moins de trente jours des municipales, Agnès Buzyn n'aura pas le temps de prendre la température. Pour elle et pour la majorité, il y a déjà urgence.

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