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Ambitieux contrarié, "gros bosseur" et "arrogant"... Qui est Benjamin Griveaux, choisi par LREM pour conquérir Paris ?

Passé par le PS, l'ancien porte-parole du gouvernement a été investi, mercredi soir, par La République en marche pour tenter d'arracher la mairie de Paris à Anne Hidalgo.

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Benjamin Griveaux (au premier plan), le 29 janvier 2019 à Paris. (HAMILTON / REA)

"Il faut parler aux gens ! C'est dans ma culture, c'est ma manière de faire, c'est comme ça que j'ai gagné un canton que l'on disait imprenable en Saône-et-Loire. Surtout quand on est un 'connard arrogant'…" Dans un entretien accordé lundi au Point, Benjamin Griveaux détaillait sa méthode pour conquérir la mairie de Paris face à la socialiste Anne Hidalgo. L'ex porte-parole de l'exécutif, qui ironisait sur son image de responsable politique cassant et vaniteux, va pouvoir passer des paroles aux actes : il a été désigné, mercredi 10 juillet, par la commission nationale d'investiture de La République en marche pour porter les couleurs de la majorité lors des municipales du printemps 2020, au détriment du mathématicien Cédric Villani et de l'ancien chiraquien Hugues Renson. 

Une victoire de haute lutte pour un homme qui a connu de nombreuses désillusions. Car retracer le parcours de Benjamin Griveaux revient à remonter le fil de plusieurs ambitions contrariées. Pour ce diplômé de Sciences Po Paris et de la prestigieuse école de commerce HEC, l'une des déceptions les plus fondatrices reste son échec à l'oral d'admission à l'ENA, au début des années 2000. "Il en parle beaucoup", écrit L'Express à ce sujet, avant de relever que parmi les aspirants énarques de cette année se trouve Matthias Fekl, futur ministre de François Hollande et ancien compagnon de route de Benjamin Griveaux. Le prétendant à la mairie de Paris assure avoir digéré cet échec, comme il l'explique à L'Opinion au printemps 2017. 

Pas d'amertume. Je suis tombé sur un jury de chevènementistes ! Quand ils ont parcouru mon CV au fil du grand oral : fils de notaire, éducation jésuite, Sciences Po et HEC, j'ai vite compris qu'ils allaient se passer de mes services !

Benjamin Griveaux

à "L'Opinion"

Une des autres frustrations de sa carrière provient de "l'ancien monde". Militant au Parti socialiste depuis ses jeunes années, Benjamin Griveaux ne semble pas se satisfaire du tournant que prend sa carrière au milieu des années 2010. Après avoir brillamment remporté en 2008 un canton réputé ingagnable, l'ambitieux se sent "corseté" dans son mandat de vice-président du conseil général de Saône-et-Loire, qu'il occupe en parallèle de son poste de conseiller de la ministre de la Santé de l'époque, Marisol Touraine.

Pensé comme une réponse aux propos de Laurent Wauquiez , qui avait qualifié "l'assistanat" de "cancer de la société", son essai Salauds de pauvres ! publié en 2012 ne lui permet pas de se faire une place sur la scène politique nationale. "Las de piétiner en politique", Benjamin Griveaux décide donc pour la première fois de sa carrière de s'engager dans le privé et décroche le poste directeur de la communication et des affaires publiques chez Unibail-Rodamco, géant de l'immobilier où il s'imagine travailler pendant une dizaine d'années et chez lequel il ne passera finalement que deux ans.

Benjamin Griveaux, alors vice-président du conseil général de Saône-et-Loire, le 16 octobre 2009 à Chalons-sur-Saône. (JEFF PACHOUD / AFP)

La dernière contrariété dans son ascension remonte aux premières semaines du quinquennat. Embarqué à plein temps depuis l'automne 2016 dans l'aventure En marche !, il espère prendre la tête du mouvement présidentiel après avoir été écarté du premier gouvernement d'Edouard Philippe.

Mais Emmanuel Macron, qui ne digère pas que l'intéressé ait laissé entendre en privé que les ministres "n'auront la main sur rien", le fait nommer en juin 2017 secrétaire d'Etat, "dernier dans l'ordre protocolaire gouvernemental, et sans attribution, sous l'autorité du ministre de l'Economie, Bruno Le Maire", écrit l'hebdomadaire. Il devra attendre novembre pour être promu au poste de porte-parole du gouvernement, en remplacement de Christophe Castaner, parti occuper le poste de patron de LREM dont Benjamin Griveaux rêvait tant.

Sur le papier, voir Benjamin Griveaux porter la parole de l'exécutif macronien n'a rien d'étonnant. Introduit par Olivier Ferrand, fondateur du think tank Terra Nova mort en 2012, ce fils de bonne famille de Chalon-sur-Saône intègre au début des années 2000 le cercle des proches de Michel Rocard et Dominique Strauss-Kahn, dont est issue une partie de la garde rapprochée de l'actuel chef de l'Etat. "En 2003, j'ai 25 ans et je me retrouve à des réunions avec Michel Rocard qui nous prêtait ses bureaux. Il débarquait vers 18 heures, 'T'as pas un clope ?', il buvait un whisky et il refaisait l'histoire du syndicalisme en un quart d'heure", se remémore l'actuel candidat dans M, le magazine du Monde.

"Chef de bande"

Jeune diplômé, il rejoint ensuite la bande dite de "la Planche", du nom de la rue du 7e arrondissement de Paris où se réunissent Ismaël Emelien, Cédric O ou Stanislas Guerini – futurs macronistes – pour préparer la candidature de DSK à la présidentielle de 2007. L'ambiance, menée par un Benjamin Griveaux "chef de bande, drôle, chambreur et bon camarade", est "joyeuse, volubile, blagueuse. On sort ensemble, on va danser ensemble", décrit L'Express.

Mais à la différence d'autres membres de la bande de la Planche, "Griveaux ne fait pas partie du canal strictement historique du premier cercle macronien", détaille Le Monde. Il doit sa rencontre avec l'actuel chef de l'Etat à Ismaël Emelien. Neuf ans après l'échec de DSK à la primaire socialiste face à Ségolène Royal, celui qui est devenu conseiller d'Emmanuel Macron à Bercy propose en octobre 2015 à Benjamin Griveaux d'assister à une réunion secrète pour bâtir ce qui deviendra En marche !. 

S'il est emballé par le "ni droite ni gauche" porté par Emmanuel Macron, l'ancien socialiste attendra un an de plus avant de quitter son poste chez Unibail-Rodamco pour se consacrer uniquement à la campagne présidentielle. "Il avait une très bonne situation, il a pris son risque, c'est courageux", salue dans Le Parisien Richard Ferrand, l'actuel président de l'Assemblée nationale, rencontré à cette époque et qui voit dans le quadra "un gros bosseur (...) qui gagne à être connu".

"Drôle, cash et méchant"

Au sein de l'équipe de campagne qui entoure le candidat Emmanuel Macron, Benjamin Griveaux "finit par décrocher le job qui lui va comme un gant : chargé de la riposte", retrace L'Express. Sur les plateaux de télévision comme dans les journaux, il n'hésite pas à défendre bec et ongles son champion et distiller des remarques acides à ses détracteurs.

Benjamin Griveaux (au centre), lors d'une réunion avec Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, le 12 janvier 2017 à Paris. (ELODIE GREGOIRE / REA)

Quand François Bayrou, alors potentiel candidat à l'Elysée, assimile Emmanuel Macron au "pouvoir de l'argent", il réplique : "Et pourquoi pas au complot judéo-maçonnique ?", se souvient L'Express, pour qui il est "drôle, cash, [et] méchant". Devenu porte-parole de l'exécutif, Benjamin Griveaux n'abandonne pas son ton incisif : quelques semaines avant le début de la crise des "gilets jaunes", il tacle Laurent Wauquiez, candidat "des gars qui fument des clopes et qui roulent au diesel". Une déclaration brutale qui écornera son image et qu'il regrettera auprès du Figaro.

"Avec Griveaux, la première impression est toujours très bonne mais, en fait, il a un mépris, un cynisme, une arrogance, une morgue... On sent une urgence, une telle pulsion de réussite, que ça a abîmé son discernement. Alors que le mec est très intelligent. C'est bizarre", charge Jérôme Durain, sénateur socialiste du département d'origine de l'ex-porte-parole du gouvernement cité par Le Monde. Arnaud Montebourg, qui présidait le conseil général de Saône-et-Loire lorsque Benjamin Griveaux en était vice-président, ne dit pas autre chose"Il faisait partie de mon opposition interne, mais y mettait de la sympathie. Il répondait avec une morgue très distrayante à l'opposition locale de droite." Une attitude qui lui vaudra même chez certains camarades socialistes le surnom de "marquis de sa Suffisance", comme le rapporte L'Express.

"Jamais pour blesser"

Parti en mars du gouvernement pour mener campagne à Paris, Benjamin Griveaux s'est démené pour gommer l'image d'ambitieux arrogant qui lui colle à la peau. Et n'a pas hésité à faire son mea culpa dans un entretien accordé en mai au Parisien : "Est-ce qu'il m'est arrivé d'être trop dur dans mes expressions ? Vraisemblablement. Je suis quelqu'un d'entier. Je l'ai fait avec sincérité, jamais pour blesser."

Benjamin Griveaux, annonce sa candidature l'investiture LREM pour la mairie de Paris, le 28 mars 2019 dans un café situé place de la République. (MAXPPP)

Les proches de ce père de trois enfants s'emploient également à adoucir sa réputation. Dans un reportage agrémenté de photos posées, publié en avril par Paris Match, son épouse, l'avocate Julia Minkowski – qui a piloté le groupe justice de LREM – balaie ainsi l'idée d'un candidat prétentieux.

Ça me rend folle, c'est tellement loin de ce qu'il est vraiment ! Son tort, c'est peut-être de dire les choses franchement dans un monde politique où il y a beaucoup d'hypocrisie.

Julia Minkowski, avocate et épouse de Benjamin Griveaux

à "Paris Match"

Après avoir reçu les encouragements de plusieurs figures de la macronie, comme Marlène Schiappa, Aurore Bergé, Richard Ferrand ou Gabriel Attal, Benjamin Griveaux a pu se féliciter du soutien apporté à sa candidature par 34 élus parisiens dans Le Journal du dimanche. Une manière, pour lui, de retirer son costume de candidat du pouvoir, après avoir, selon Libération ,"assuré, dans tous les cénacles, qu'il avait le soutien du président".

Désormais officiellement investi, l'ancien porte-voix du gouvernement va pouvoir tenter de convaincre les Parisiens de la pertinence du "positionnement central" qu'il a choisi d'incarner dans la campagne à venir. Afin de tenter d'enterrer définitivement l'étiquette du responsable politique hautain, l'ancien sniper en chef de LREM compte construire un "pacte démocratique" avec les administrés à l'aide d'une "plateforme numérique collaborative et des consultations de terrain". Parmi les sujets de consultation prévus, on trouve l'ouverture des commerces le dimanche, la création d'une police municipale armée, ou encore l'interdiction des bus touristiques diesel en 2023. Des propositions qui, espère-t-il, lui permettront de prendre l'hôtel de ville à un Parti socialiste auquel il a définitivement tourné le dos.

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