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"Zéro chance mais tout à gagner" : comment les "petits" partis s'organisent aux législatives pour accéder au financement public

Article rédigé par Thomas Destelle
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6 min
Lors d'une session de questions au gouvernement, le 22 février 2022. Photo d'illustration. (ALEXIS SCIARD / MAXPPP)
Le financement des partis politiques est lié aux résultats des législatives. Les formations, mêmes les plus petites, tentent donc de présenter le plus de candidats possible et concluent des accords techniques pour accéder à ces fonds publics.

Peu de chances de l’emporter mais impossible de ne pas participer. Depuis le lundi 16 mai, celles et ceux qui veulent devenir députés ont jusqu’au vendredi 20 mai pour déposer leur candidature aux élections législatives. Le scrutin qui se tiendra le 12 et 19 juin est un rendez-vous électoral à ne pas manquer pour les "gros" partis comme pour les plus "petits". "On a zéro chance d'avoir des députés, on en est parfaitement conscient", reconnaît Florie Marie, porte-parole du Parti pirate. L’organisation va pourtant présenter des candidats dans 80 à 100 circonscriptions. En plus de porter les idées du parti sur les libertés individuelles dans toute la France, l'objectif de l’organisation est de s'ouvrir l'accès au financement public.

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Car ces législatives peuvent rapporter gros, et même plusieurs millions d’euros. Derrière l'enjeu politique se cache un enjeu financier majeur. Les résultats du scrutin ne détermineront pas seulement la composition de la nouvelle Assemblée nationale mais aussi la répartition de l'aide publique versée aux partis politiques pendant les cinq prochaines années. "Ces élections permettent à des partis d'exister pendant cinq ans et d'avoir une base d'argent solide", indique la porte-parole du Parti Pirate, qui se présente dans la 7e circonscription de l'Essonne .

Des millions distribués chaque année

Entre 2017 et 2022, les partis politiques se sont partagé plus de 65 millions d'euros chaque année. Encore faut-il remplir les critères pour y accéder. La répartition de l'aide se décompose en deux parties. Une part est calculée selon le nombre de parlementaires élus (députés et sénateurs). Une autre est estimée selon le nombre de voix obtenues. Pour y avoir droit, il faut que le parti politique obtienne 1% dans au moins 50 circonscriptions. Si ce seuil est dépassé, chaque bulletin va rapporter de l’argent aux partis. En 2022, une voix égale 1,64 euro.

Grâce à ses résultats électoraux en 2017, le principal bénéficiaire sur les cinq dernières années est La République en marche. Le parti de la majorité touche en 2022 plus de 20 millions d'euros dont 10 millions pour la fraction concernant les résultats électoraux. Loin devant les 67 000 euros du Parti animaliste. "Ce n'est pas quelque chose qui va vraiment nous enrichir, affirme sa co-présidente Héléne Thouy. C'est plutôt quelque chose qui aide le parti à continuer à avancer et continuer de grandir." Après avoir présenté 147 candidats en 2017, le parti défenseur de la cause animale en présentera 430 en 2022.

Des alliances de circonstances

Ce seuil des 50 circonscriptions n’est pas anodin. Il a été décisif lors des accords entre partis. Le Parti socialiste a notamment décroché 70 candidatures dans la coalition de la Nouvelle Union populaire (Nupes) alors que le Parti communiste en a négocié 50. Cette répartition des candidats était tout aussi fondamentale dans la coalition de la majorité, Ensemble. Le parti Horizons d'Edouard Philippe en a obtenu une soixantaine.

Pour les plus "petits" partis, cette règle pousse à présenter le plus de candidats possible malgré la certitude de ne pas remporter l'élection. "Il n'y a pas vraiment d'enjeu à ce niveau, on est conscient de n'avoir aucune possibilité de gagner, reconnaît Florie Marie du Parti pirate. On est même parti avec cette idée là en tête. Notre objectif est le financement public et on a tout à gagner." D'autant que pour un petit parti les sommes en jeu sont importantes. "Le budget du Parti pirate est de 25 000 euros par an, mais ce sont des dons et des adhésions de nos membres ou sympathisants. Le financement public pourrait nous permettre de doubler notre financement annuel", explique la porte-parole du Parti pirate.

Pour arriver à dépasser les seuils et mettre toutes les chances de leur côté, les petits partis s'allient entre eux. Après s'être rassemblé derrière l’étiquette de La Caisse claire en 2017 avec des formations comme À nous la démocratie ou La Voie citoyenne, le Parti pirate s'associe cette fois avec le parti Régions et peuples solidaires (près de 800 000 euros d'aides publiques en 2022). "Beaucoup de partis politiques le font, défend Florie Marie, du Parti pirate. Quand on est vraiment un petit parti inconnu, c'est vraiment le seul moyen d'arriver à peut-être espérer avoir le financement public."

Autre bénéfice de cet accord, la possibilité de respecter la parité. Une partie de la dotation peut en effet être retiré en cas de non-respect de l’équilibre entre le nombre d’hommes et de femmes candidats. Cette alliance n'est pas contre-nature puisque les députés européens de ces partis appartiennent déjà au même groupe Vert-ALE au parlement. Mais il reste un simple accord technique, explique la porte-parole : "On va présenter nos candidats en toute indépendance. Ce sera notre bulletin et notre programme. On va faire notre campagne dans notre coin. Sauf que l'on va se rattacher à un parti politique qui va nous permettre de toucher avec certitude le financement public à la fin de la campagne électorale." Des alliances de circonstances qui peuvent être parfois surprenantes. En 2017 par exemple, le mouvement La France qui ose de Rama Yade s'était allié à la Confédération pour l’homme, l’animal et la planète (CHAP) lui permettant d'accéder à un financement public de 700 euros par mois pendant cinq ans, révélait l'hebdomadaire Marianne.

Un système obsolète ?

Pour René Dosière, ce système de financement est détourné de son but premier. Dans les partis ou groupements qui se présentent aux législatives, certains "n'ont pas de vocation politique et n'existent là que pour capter un financement public", déplore le président de l'Observatoire de l'éthique publique. Par le passé, des formations semblaient être même des coquilles vides, selon l'ancien député. Il propose de relever les seuils en passant à 3% de voix à obtenir au minimum dans 100 circonscriptions. "Avec 50% d'abstention dans une circonscription où il y a 40 000 électeurs, 1% représente des voix qui peuvent facilement s’obtenir", argumente René Dosière.

Pour la co-présidente du Parti animaliste, toucher aux seuils "c’est toujours essayer d'entraver le pluralisme politique". Surtout, qu'une élection coûte cher pour un "petit" parti. "Le minimum d'une campagne électorale ce sont les bulletins de vote, les affiches et les professions de foi, indique Hélène Thouy. Les petites formations politiques ne sont pas en mesure de les financer parce qu'il y a un risque de ne pas atteindre les 5%. C'est plutôt cette règle qu'il faudrait changer." Comme pour la présidentielle, les candidats doivent dépasser cette barre des 5% des suffrages exprimés pour être remboursés. Le montant du remboursement est arrêté par la Commission des comptes de campagne, dans la limite de 47,5% du plafond fixé pour chaque circonscription.

"Je pense que s'il y a des partis qui s'enrichissent avec des candidatures aux législatives, ce n'est certainement pas les petits partis."

Hélène Thouy, Parti animaliste

à francienfo

Pour le Parti pirate, le système est inéquitable. "Je trouve ça très injuste de financer des partis politiques en fonction du nombre de voix, explique Florie Marie. Surtout dans un pays où on doit dépenser de l'argent pour avoir des bulletins. En fait, on doit payer pour avoir des voix. On a beaucoup d'investissement à faire pour finalement une somme assez réduite." Un mauvais score aux législatives peut donc signifier la mort d'un parti malgré des bons scores dans d'autres élections. "Il n'est pas souhaitable que le financement public direct soit issu uniquement des élections législatives, explique René Dosière.

D'autres types d'élections pourrait participer au financement des partis, développe l'ancien député, comme par exemple les européennes ou les régionales. Mais pour changer le système, il faudrait changer la loi. Il paraît difficile d'imaginer le parti qui remportera la majorité au Palais Bourbon vouloir changer un système qui l'avantage pour les cinq prochaines années.

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