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"Les élus sont devenus des produits jetables, comme des Kleenex" : des députés vaincus racontent leur fiasco

Sèchement battus lors du premier tour des élections législatives, plusieurs élus se confient sur le "rouleau compresseur" En marche ! qu'ils ont dû affronter. 

Article rédigé par Vincent Daniel, Sophie Brunn
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Sébastien Denaja, alors député PS, le 19 juillet 2016 à l'Assemblée nationale. (RGA / REA)

Le coup de balai, le tsunami, le "dégagisme"… Quelques jours après le premier tour des élections législatives, beaucoup le reconnaissent : ils s'y attendaient. Dès la première manche du scrutin, pas moins de 122 députés sortants ont été défaits sans ménagement. N'atteignant même pas, pour certains, la barre des 5%…

Dans la 1re circonscription de la Somme, Pascale Boistard, secrétaire d'Etat de 2014 à 2017, a fait à peine mieux. Avec seulement 7,06% des voix, la socialiste a terminé cinquième, derrière le candidat de La République en marche, derrière le journaliste François Ruffin investi par La France insoumise, derrière l'acteur Franck De Lapersonne investi par le FN, et derrière le candidat des Républicains. 

"Je m'attendais à être éliminée dès le premier tour", concède aujourd'hui Pascale Boistard, en citant, pour expliquer son faible score, "la forte abstention, la médiatisation de François Ruffin" et "bien sûr les difficultés liées au bilan des socialistes". Au vu du score de Benoît Hamon lors de la présidentielle (6,36%), Pascale Boistard avait de toute façon "anticipé la défaite" et s'y était "préparée intérieurement". Elle va désormais se consacrer à sa "nouvelle vie". A quoi ressemblera-t-elle ? "Je vais travailler, parce qu'il faut bien vivre, comme tout le monde !" dit-elle sèchement, agacée par notre question.

"Rouleau compresseur"

"Quand vous avez un rouleau compresseur comme celui-là, il n’y a rien à faire", confirme Eduardo Rihan-Cypel, lui aussi emporté par la vague En marche !. Elu pour la première fois en 2012 dans la 8e circonscription de Seine-et-Marne, l'ancien porte-parole du Parti socialiste a cette fois été balayé, terminant en cinquième position. "Lucide", il assure qu'il n'a "rien pu faire" "Il n'y a pas d'équation personnelle, pas d'ancrage local, de bilan, de travail accompli..."

Il y a très peu de copains qui ont résisté. Même dans les bastions de gauche depuis 40 ans...

Eduardo Rihan-Cypel

à franceinfo

Dans la 7e circonscription de l'Hérault, le socialiste Sébastien Denaja, arrivé quatrième, a essuyé la même vague. "Je n'ai absolument pas été surpris, je m'y attendais, ce qui me permet de le vivre de façon sereine", raconte ce "hollandais". "Le plus dur à vivre, c’est qu’il n’y a même plus de territorialité du vote", ajoute-t-il, en expliquant que, dans sa circonscription, "le candidat de LREM a débarqué il y a trois semaines".

Aurélie Filippetti et Benoît Hamon, le 24 mai 2016, à l'Assemblée nationale.  (MAXPPP)

Un constat "démobilisant" partagé par Aurélie Filippetti, battue dans la 1re circonscription de Moselle, où elle briguait un second mandat. "Les gens disent qu’ils veulent des élus présents, pas cumulards, honnêtes, mais à la fin ils votent En marche ! quel que soit le candidat", regrette l'ancienne ministre de la Culture. 

On a l’impression que labourer une circo, être présent à l'Assemblée... Finalement, ça ne change rien.

Aurélie Filippetti

à franceinfo

"Que vous ayez bossé ou non, le résultat sera le même"

"Amer mais sans aigreur." Thierry Mariani, lui, n'a pas encore perdu, mais le résultat du premier tour dans la 11e circonscription des Français de l'étranger ne lui laisse plus beaucoup d'espoir. Sa qualification au second tour est due à la seule abstention : son adversaire LREM a obtenu 54,11% des voix, mais la participation était trop faible pour qu'elle soit élue dès le premier tour. Lui n'a recueilli que 18,78% des suffrages. 

L'ancien secrétaire d'Etat de Nicolas Sarkozy, élu à l'Assemblée nationale depuis 1993, a décidé de raccrocher face à cette absence de "reconnaissance". "On est présent sur le terrain, on rend service aux gens qui ont des difficultés, mais que vous ayez bossé ou que vous n'ayez rien fait, le résultat sera le même..." déplore Thierry Mariani, qui va "retourner dans le privé".

Le député des Républicains Thierry Mariani à l'Assemblée nationale, le 25 mars 2015. (MAXPPP)

Le socialiste Sébastien Denaja, lui, y voit le succès de la stratégie du président de la République, qui a "désidéologisé et dépolitisé sa campagne". "Les élus sont devenus des produits jetables, comme des Kleenex : on les utilise, on les jette, on en prend un autre, on ne se soucie pas du lieu de fabrication." Aurélie Filippetti dénonce, elle aussi, une forme de "dépolitisation" : "Quand on a le même résultat à Longwy en Moselle, à Neuilly dans les Hauts-de-Seine, dans le 16e arrondissement de Paris et dans le 11e arrondissement, c'est qu'il y a un problème." 

Ces "grands brûlés" de la politique décrivent une campagne "difficile", "tendue". Parfois face à un candidat LREM qui se contente de "distribuer des cartes postales avec sa tête et son nom, sans aucun élément de programme". "Mais on s'est battu jusqu'au bout", ajoute Erwann Binet, qui a échoué dans la 8e circonscription de l'Isère. "Pas mécontent" de son score (14,45%), le rapporteur socialiste de la loi sur le mariage pour tous se félicite de devancer La France insoumise. Même s'il est "déçu", il assure n'avoir "aucune amertume, aucun regret"

J’ai rempli mon mandat de manière très dense, comme si chaque jour était le dernier. Je savais que mon temps était compté.

Erwann Binet

à franceinfo

Retraite ou retour à la vie professionnelle

La voix encore pleine d'émotion, Véronique Massonneau, élue dans la 4e circonscription de la Vienne en 2012 sous les couleurs d'Europe Ecologie-Les Verts, confie elle aussi sa "grande déception". "J'aurais aimé pouvoir redéposer une loi sur la fin de vie ou sur d'autres sujets qui me tiennent à cœur", poursuit-elle. Arrivée quatrième au premier tour, la désormais ex-députée regrette de ne pas pouvoir profiter de son expérience acquise lors du précédent quinquennat. "Au bout de cinq ans, on commence à bien maîtriser le fonctionnement de l'Assemblée, j'aurais gagné du temps et j'aurais été plus efficace."

L'ancienne députée écologiste Véronique Massonneau, le 22 juin 2016 à l'Assemblée nationale. (MAXPPP)

Que faire après la défaite ? "Me reposer d'abord", sourit Véronique Massonneau. Cette salariée de la Caisse d'épargne va recontacter son employeur, afin d'être réintégrée. Fonctionnaire territorial, Erwann Binet a "notifié" à son administration de rattachement qu'elle devait le reprendre. Ministre de 2012 à 2014, et battu dans la 1re circonscription du Nord, François Lamy, lui, ne cache pas son "angoisse".

Je n'ai plus de travail, je vais tâcher d'en trouver un, ce n'est pas forcément la chose la plus évidente quand on a 57 ans et qu'on a fait beaucoup de politique dans sa vie...

François Lamy

sur France 2

Ancien conseiller de François Mitterrand, ancien ministre de Lionel Jospin, député depuis vingt-quatre ans, Jean Glavany, 68 ans, va faire valoir ses droits à la retraite. Battu dans la 1re circonscription des Hautes-Pyrénées, il s'affaire à "recaser [s]es collaboratrices qui vont devoir être licenciées"

Normalienne, professeure de lettres, Aurélie Filippetti envisage de reprendre l'enseignement. Quant à leur avenir politique, tous ne ferment pas à la porte à un éventuel retour. A l'image de Sébastien Denaja, 38 ans, professeur de droit public à Toulouse, qui sourit : "J'ai l’âge qu'avait François Hollande quand il a perdu sa circonscription en 1993, ça me laisse un grand espoir !"

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