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Législatives 2022 : "Ça fait 40 ans qu'on sombre dans la démocratie de l'abstention", s'inquiète Dorian Dreuil, de l’ONG A Voté !

L'abstention a atteint dimanche un nouveau record au premier tour des élections législatives. Moins d'un Français sur deux (47,51%) s'est rendu dans un bureau de vote.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Dans un bureau de vote à Lavau-sur-Loire, le 24 avril 2022. Photo d'illustration. (LOIC VENANCE / AFP)

"Ça fait 40 ans qu'on sombre dans la démocratie de l'abstention", déclare lundi 13 juin sur franceinfo Dorian Dreuil, co-président de l’ONG A Voté !. L'abstention a battu un nouveau record lors du premier tour des élections législatives de 2022 avec plus de la moitié des électeurs (52,49%) qui ne se sont pas rendus aux urnes dimanche. Pour Dorian Dreuil, il est "urgent" de "retisser le lien entre les citoyens et les institutions".

franceinfo : Avec l'ONG A voté !, vous essayez de redonner envie aux citoyens de se rendre aux urnes. Vous avez échoué ?

Dorian Dreuil : Oui, on a tous échoué, c'est un échec collectif de notre vie démocratique. Le constat est que les rendez-vous électoraux ne sont plus une fête. En grande majorité, finalement, des électeurs décident de ne pas participer à la vie politique et à la vie de la cité, ou en tout cas pas par le vote. Ce n'est pas uniquement lié à ce scrutin.

Il ne faudrait pas se tromper dans l'analyse qu'on aurait de cette abstention. C'est-à-dire que ce n'est pas un enjeu de "il faisait beau dimanche", "la campagne n'a pas intéressé" ou "les médias n'en ont pas assez parlé". Ça fait 40 ans qu'on sombre dans la démocratie de l'abstention. Il s'agit du point culminant d'une chute de record qu'on continue de de battre.

A quoi est liée cette chute ? Au fait que les politiques, dans leurs discours, ne parlent plus aux intérêts des électeurs ?

Oui, et je pense que ces dernières années, on observe un changement de rapport au temps démocratique dans la société. C'est-à-dire qu'il ne suffit plus de dire aux gens : "venez voter une fois tous les cinq ans". Les citoyens ont besoin aujourd'hui d'un autre rapport au temps démocratique avec des respirations démocratiques, beaucoup plus de participation citoyenne, pour renforcer in fine le vote. Parce que l'enjeu, c'est de retisser le lien entre les citoyens et les institutions.

"On a une architecture institutionnelle qui ne correspond plus aux modalités d'engagement des citoyens ou aux envies des citoyens de participer à la vie de cette démocratie plus participative."

Dorian Dreuil, ONG A Voté !

à franceinfo

Cette démocratie plus participative, peut-elle s'inscrire dans le cadre actuel de la Ve République ?

Bien sûr ! Et puis on peut la faire évoluer. Cette Ve République a connu 24 lois de révision constitutionnelle, donc elle n'a déjà plus la même allure qu'en 1958. Il faut aller une étape encore après, et surtout institutionnaliser ces mécanismes de participation citoyenne.

Par exemple, à Bruxelles, en Belgique, vous avez une modalité qui s'appelle la "Commission délibérative". Quand un certain nombre d'électeurs demandent qu'une commission délibérative se réunisse sur un sujet donné et précis, vous avez une commission mixte entre 15 députés parlementaires belges et 45 citoyens tirés au sort, qui réfléchissent, qui préparent des propositions, des solutions et qui les remettent après au Parlement qui reprend son travail de démocratie représentative classique.

L'enjeu est de savoir comment est-ce qu'on institutionnalise ce type de mécanisme participatif ? Et comment est-ce qu'on modernise aussi notre scrutin, nos modalités de vote et les modalités d'organisation du scrutin ? On voit que ce mode de scrutin uninominal à deux tours trouve sa fin et sa chute.

Les moins de 35 ans ont été 70% à s'abstenir au premier tour de ces législatives. La jeunesse se désintéresse de la politique ?

Elle ne se désintéresse pas de la politique, mais du vote. Et elle se désintéresse sûrement de ses représentants politiques. Ce qui est inquiétant dans ces chiffres, c'est que vous avez finalement toute une génération qui disparaît de la représentation nationale et dont on ne retrouvera ni les idées, ni les sujets, ni les enjeux dans les cinq années à venir à l'Assemblée nationale.

"Il s'agit d'une génération qui, pour les plus jeunes, les 18-24 ans, se mobilise différemment. Elle pense que finalement la capacité de changement n'est peut-être plus à l'Assemblée nationale mais dans d'autres mobilisations."

Dorian Dreuil, ONG A Voté !

à franceinfo

Il y a aussi les 25-34 ans, où il y a un désintérêt et une lassitude, ce qui est pire que de la méfiance, d'ailleurs. On dit souvent que le contraire de l'amour n'est pas la haine, mais le désintérêt. C'est un peu le cas aussi dans ce scrutin.

Est ce-que vous, sur le terrain, vous arrivez à convaincre des abstentionnistes de voter ?

Oui ! Il n'y a pas d'anti parlementarisme. Il n'y a pas de désintérêt pour la vie de la cité ou la vie politique. Il y a finalement le sentiment que le vote ne sert plus, ou que ce n'est plus utile de voter parce que ce n'est pas ce qui change la vie.

Il n'y a pas de fatalité à avoir vis-à-vis de ces chiffres de l'abstention. Il y a au contraire un regain d'énergie qu'il faut mettre très rapidement sur : comment est-ce qu'on passe de ce sentiment d'apathie démocratique au renouveau démocratique ? Comment est-ce qu'on change les règles du jeu institutionnel ? Comment est-ce qu'on change les règles du jeu démocratique pour donner envie aux gens de revenir vers les urnes ?

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