"Il faudrait que j'en tue pas mal pour être élue" : la drôle de campagne des candidats en fin de liste pour les européennes
"Place d'honneur" ou "lanterne rouge" ? Dix-sept candidats non éligibles se livrent sur leur état d'esprit, à moins de deux semaines du vote.
"Je vais avoir besoin de beaucoup de meetings à Lourdes pour devenir eurodéputé !" Sur le ton de la boutade, Christian Benedetti résume bien la situation des candidats placés en bas des listes pour les élections européennes. Pour sa première campagne avec La France insoumise, l'acteur et metteur en scène a été bombardé à la 76e place... sur les 79 noms que doit compter chaque liste. Autant dire qu'il faudrait un miracle pour le voir siéger au Parlement européen. Comme lui, 17 candidats officiels, mais non éligibles, nous ont raconté leur drôle de campagne.
"Moi je me dis encore que la liste peut faire 85%", lance en riant Mathilde Tessier, 68e de la liste Europe Ecologie - Les Verts. Et elle n'est pas la seule à imaginer par quels moyens improbables ils pourraient se retrouver à Strasbourg à la rentrée... "Vu ma position, on a créé quelques slogans avec des amis : 'Objectif 100%' ou 'Si je gagne, tout le monde gagne'", sourit Julian Augé, 74e de la liste La France insoumise.
Si jamais je suis élu, ça veut dire qu'on aura fait un score stalinien... et je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose pour la démocratie.
Julian Augé, 74e sur la liste La France insoumise aux européennesà franceinfo
D'autres ont même en tête quelques scénarios machiavéliques pour accéder aux sièges convoités. "Pour que je sois élu, il faudrait que les 60 premiers de la liste prennent le même avion et s'écrasent", imagine un candidat du Rassemblement national, inscrit en fin de liste. "Il faudrait que j'en tue pas mal pour être élue", ironise une candidate Les Républicains, non éligible. A moins que certains candidats meurent naturellement entre-temps ? "On a mis des candidats jeunes, donc c'est mal barré pour avoir une hécatombe", rigole encore un candidat frontiste.
"Je n'étais pas maître du placement"
Toutes les formations politiques sont confrontées à ce paradoxe : investir officiellement des candidats... en position non éligible. Car il faut obligatoirement constituer une liste de 79 candidats, correspondant au nombre de sièges à pourvoir au Parlement européen, pour pouvoir participer à l'élection. Chaque liste doit aussi être composée alternativement d'un homme et d'une femme, et avoir été déposée avant le 3 mai. Au-delà de ces obligations légales, les formations politiques s'organisent comme elles le veulent pour désigner leurs candidats. De quoi favoriser les batailles internes pour choisir les têtes de listes et les quelques places éligibles qui suivent. Mais la situation est bien différente pour ceux qui se retrouvent en queue de peloton.
De nombreux candidats en fin de listes ont appris leur positionnement par un simple coup de téléphone du parti. "En décembre, on m'a appelée pour me dire que ma candidature avait été acceptée et que je serais la 38e femme de la liste, se remémore Astrid Morin, militante de La France insoumise. Evidemment, j'aimerais bien être élue mais je sais bien que je ne suis pas éligible." A la 75e place en ce qui la concerne, le siège de députée européenne s'avère en effet inaccessible. "Je n'étais pas maître du placement", reconnaît aussi Edith Varet, conseillère régionale Modem des Hauts-de-France, et 77e candidate de la liste La République en marche.
Au risque d'une petite désillusion ? "J'ai candidaté, tout en sachant que ça pouvait être à la première ou à la 79e place. Les deux m'intéressaient", assure Ryan Lequien, benjamin de la liste LREM. Le jeune créateur de start-up de 23 ans sera finalement plus proche de la seconde option, à la 72e place. "Je suis très honoré de faire partie de cette liste. On était 2 800 à candidater à LREM, c'est déjà une chance énorme", relativise-t-il.
"La notoriété, ce n'est pas ma came"
A dire vrai, être officiellement retenu comme candidat a été une bonne nouvelle pour ces jeunes militants. D'autant plus que ce statut réserve quelques avantages. "Pendant la campagne, ce n'est plus moi qui avance les billets de train, et comme je vis sous le seuil de pauvreté, ce n'est pas négligeable", explique Julian Augé (LFI), par ailleurs conférencier et formateur en éducation populaire. Cette candidature peut aussi être un bon tremplin pour mieux rebondir après l'annonce des résultats. "Je ne me projette pas député européen mais je me projette travaillant à l'animation des mandats des amis députés européens", poursuit le militant.
Etre candidate, ça peut ouvrir d'autres opportunités, peut-être assistante parlementaire.
Astrid Morin, 75e sur la liste La France insoumise aux européennesà franceinfo
Même satisfaction pour la militante d'EELV, Mathilde Tessier, 68e sur la liste pour les européennes : "C'est la première fois que je suis candidate sur une campagne de cette ampleur, c'est vrai que ça donne envie. J'espère que je pourrai avoir des responsabilités par la suite." Mais cet accélérateur de carrière n'est pas toujours très rapide. Valérie Lecerf-Livet se retrouve ainsi 76e sur la liste des Républicains, cinq ans après avoir été la dernière de la liste, en 2014. "Il faut des personnes sur une liste, relativise-t-elle. Moi, je fais toutes mes campagnes avec le cœur et la tête, je suis une militante."
D'ailleurs, tous les candidats interrogés semblent prêts à tout pour défendre leur liste, malgré leur position peu avantageuse. "Je suis dans un état d'esprit de guerrier, assure Christian Benedetti (LFI). L'idée, c'est de faire gagner notre liste. Peu importe ma position, il n'y a aucun état d'âme. Et puis la notoriété, ce n'est pas ma came. Je fais déjà des spectacles, j'ai de bonnes critiques." Les jeunes militants propulsés candidats veulent aussi montrer leur motivation. "Je ne me suis jamais imaginée dans un siège de députée européenne, mais je vais participer activement à la campagne", promet Amanda Guénard, 23 ans et 74e de la liste Les Républicains, qui doit jongler avec son stage de fin d'études.
Son nom sur les affiches
Avoir son nom sur la liste, c'est aussi l'opportunité de mener des meetings, d'avoir sa photo sur des affiches, de vivre à fond son engagement pendant quelques semaines. "Je milite dans une ville où ce n'est pas toujours facile, explique Marine Tondelier, élue écologiste d'Hénin-Beaumont et 74e de la liste EELV. La campagne, c'est un moment que j'aime beaucoup. C'est le moment où on a l'occasion de convaincre." Idem pour Eric Lytwyn, pompier professionnel depuis trente-cinq ans, qui va mener campagne pour La France insoumise : "Avoir la chance d'être candidat, c'est fantastique. Depuis le lancement, partout où on me demande, je suis présent."
C'est le moment de prouver que lorsque je m'engage dans un défi, ce n'est pas seulement pour gagner une place au chaud et des indemnités mirobolantes, c'est vraiment par sincérité.
Danièle Noël, 71e sur la liste LREM aux européennesà franceinfo
Ces dernières places seraient-elles, en réalité, un bon plan ? A y regarder de plus près, on constate rapidement que de nombreuses personnalités politiques figurent en queue de peloton pour ces élections : parmi elles, Jean-Luc Mélenchon, à l'avant-dernière place de la liste de La France insoumise, comme Marine Le Pen au Rassemblement national et Eva Joly chez Europe Ecologie - Les Verts. Du côté de La République en marche, c'est le fils de Simone Veil, Jean Veil, qui occupe cette position. Et cela n'est pas dû au hasard.
La bataille... de la fin de liste
"Il vaut mieux être 79e que noyé dans la liste", explique l'eurodéputé sortant, Michel Dantin. Le maire de Chambéry ne peut pas rempiler au Parlement européen en raison des règles de non-cumul. Mais il compte bien faire profiter la liste des Républicains de son expérience. "J'ai demandé à Laurent Wauquiez d'avoir la dernière place. Je suis 'booster'. C'est comme au Tour de France, on se souvient du maillot jaune et de la lanterne rouge, pas des autres."
C'est une façon à nous de donner de la visibilité à la liste avec notre petite notoriété. On est là pour porter la liste.
Françoise Coutant, 70e sur la liste EELV aux européennesà franceinfo
La technique est bien rodée : placer quelques noms connus en fin de liste pour donner envie aux électeurs. "On sait bien que sur ces listes de près de 80 noms, les gens regardent les 10 premiers et, après, directement la fin", explique Wallerand de Saint-Just, 73e de la liste du Rassemblement national, et qui assure n'avoir jamais voulu être député européen. "Il est paru important à la commission de m'avoir pour pousser la liste", raconte de son côté l'ancienne députée écolo Eva Sas, qui avait pourtant décidé de ne plus être élue.
"Je me suis fait chiper la 79e place"
La fin de liste est même convoitée par certains candidats qui n'avaient pas envisagé de tout quitter pour une vie à Strasbourg et Bruxelles. "J'ai demandé à ne pas figurer en milieu de liste. Si c'est pour être dans le ventre mou, c'est encore plus compliqué. Là, je suis juste devant Jean-Luc [Mélenchon], ça me va bien, je suis vu", raconte Christian Benedetti.
De quoi provoquer des déceptions. "Je me suis fait chiper la 79e place par le maire de Beaucaire... C'est la place d'honneur !", râle, non sans humour, l'eurodéputé sortant Dominique Martin, qui se retrouve à la 77e place, juste avant Marine Le Pen. A partir du moment où il a compris qu'il ne serait pas en position éligible cette année, cet élu historique du Rassemblement national a décidé de batailler... pour la clôturer. "La fin de liste, c'est une reconnaissance", lâche-t-il.
Celui qui a eu la chance d'obtenir cette dernière place tant convoitée, c'est Julien Sanchez, maire de Beaucaire et porte-parole du Rassemblement national. "Traditionnellement, c'est la place d'honneur. C'est un salut amical de la part de Marine Le Pen et Jordan Bardella", reconnaît l'intéressé, avant de conclure par ce qui pourrait être le mantra de tous ces candidats de fins de listes : "L'important, c'est de participer."
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