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Européennes : ce qui a changé dans le programme du Rassemblement national depuis 2014

Depuis les dernières élections européennes, le parti de Marine Le Pen a abandonné son projet de sortie de l'euro et fortement amendé son discours sur l'UE. Tout en tentant d'imprégner son programme d'une dimension écologique.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des affiches de campagne du Rassemblement national, à Paris en février 2019. (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS / AFP)

"Non à Bruxelles, oui à la France !" Il y a cinq ans, les tracts du Front national pour les élections européennes annonçaient la couleur. "Les listes Bleu Marine que je soutiens feront de ces élections un grand référendum sur l'Europe", clamait sa présidente en promettant de sortir la France de la zone euro, voire de l'Union européenne. En 2019, avant le scrutin du 26 mai, le parti de Marine Le Pen, rebaptisé il y a près d'un an Rassemblement national, reste une formation foncièrement europhobe. Mais le ton a changé dans son programme intitulé "Pour une Europe des nations et des peuples".

Si le RN reste bien campé sur ses positions traditionnelles (fin de l'immigration, rétablissement des contrôles aux frontières, nationalisation de la politique agricole commune, suppression de la directive sur les travailleurs détachés…), le parti d'extrême droite explore aussi de nouvelles pistes.

Plus de sortie de l'euro à l'horizon

"L'euro est une prison, notre prison, et il faut s'en libérer avant que financiers et technocrates n'imposent à nos concitoyens le scénario qu'ils écrivent actuellement en Grèce", s'alarmait le Front national dans son programme de 2014. Désigné comme responsable des politiques d'austérité mises en œuvre sur le continent, l'euro était considéré par le FN comme "une anomalie car 95% des pays du monde ont leur propre monnaie nationale !" Le FN proposait donc de "rétablir notre monnaie nationale ainsi que les prérogatives de la Banque de France".

Cinq ans plus tard, le Rassemblement national n'évoque plus du tout le rétablissement du franc. Estimant que l'euro sert les intérêts de l'Allemagne plutôt que de la France, qui aurait "besoin d'une monnaie moins forte afin de relancer ses exportations", la liste menée par Jordan Bardella propose d'"aligner la création monétaire sur les besoins de l'économie réelle, par exemple en augmentant la proportion de la dette nationale que peuvent détenir les banques centrales nationales".

"Incontestablement, l'euro est un boulet pour la France" mais en sortir n'est "plus une priorité", avait expliqué Marine Le Pen mi-janvier devant la presse en officialisant ce revirement. Une décision plus "pragmatique" qu'"idéologique", de son propre aveu. "Le FN a réussi à se positionner aux yeux de l'opinion comme un parti qui s'oppose à l'euro", décrypte Emmanuelle Reungoat, maîtresse de conférences en science politique à l'université de Montpellier et auteure de Enquête sur les opposants à l'Europe (éditions Le Bord de l'eau).

Mais le parti s'est rendu compte que la sortie de la monnaie unique ne faisait pas consensus et ne permettait pas d'élargir son électorat.

Emmanuelle Reungoat, maîtresse de conférences en science politique à l'université de Montpellier

à franceinfo

Un constat apparu au grand jour lors du débat d'entre-deux-tours de la présidentielle 2017, lorsque la présidente du RN s'était elle-même montrée incapable d'expliquer face à Emmanuel Macron ce qu'elle entendait précisément par "sortie de l'euro".

Changer l'Union européenne plutôt que la quitter

Si le Rassemblement national continue, comme le faisait le FN en son temps, de blâmer l'Union européenne, son "désastreux bilan" et son "fonctionnement opaque, anti-démocratique et punitif", il ne rejette plus en bloc l'idée même d'appartenance à l'UE. En 2014, le Front national entendait "se battre pour que notre pays retrouve sa pleine souveraineté, seule garante de sa prospérité et de sa puissance". Au lendemain de la victoire du Brexit au Royaume-Uni, Marine Le Pen avait même réclamé un référendum similaire concernant la France. Une demande devenue promesse électorale lors de la campagne présidentielle.

Désormais, le Rassemblement national semble envisager l'Europe sous un jour légèrement moins hostile, rappelant par exemple "les valeurs de civilisation, les racines et l'histoire communes" que "les nations d'Europe ont en commun". Et plutôt que de quitter l'UE, le RN propose une réforme radicale de ses institutions. Outre son programme, le parti a publié il y a quelques semaines son "Manifeste pour l'Alliance européenne des nations", un document de 76 pages dans lequel il brosse le portrait de ce à quoi pourrait ressembler une UE à la sauce souverainiste.

Suppression de la Commission européenne, possibilité de coopérations entre plusieurs Etats membres sans rien imposer aux autres, primauté des droits nationaux sur les textes européens… Parvenir à une telle architecture demanderait une révision des traités à l'unanimité (donc quasiment impossible) des pays membres.

Ces propositions restent difficiles à mettre en place et s'apparentent davantage à des effets d'annonce. Mais cela montre que le RN reconnaît les institutions.

Emmanuelle Reungoat

à franceinfo

La maîtresse de conférences en science politique à l'université de Montpellier évoque même une "européanisation" du parti. Là encore, les raisons de ce changement de discours sont liées au crash de la patronne du parti lors du second tour de la présidentielle, et aux dissensions internes qui ont suivi, jusqu'au départ de Florian Philippot, principal artisan de cette ligne pro-Frexit.

Le "localisme", vernis écolo

Alors que l'écologie était totalement absente du programme du FN en 2014, ce thème fait son apparition dans celui de 2019. Rien sur d'éventuelles interdictions de pesticides ou fermetures de centrales (le FN est pro-nucléaire), mais une volonté de privilégier "les circuits courts" tout en "surtaxant les importations mondialisées anti-écologiques".

Loin d'être une proposition parmi d'autres dans son programme, le parti de Marine Le Pen a décidé d'en faire une doctrine à part entière, développée sous le nom de "localisme", qu'il définit comme "une économie de proximité, dans les financements, la production, le respect des préférences locales et la diversité des modes d’organisation et de production". Un concept développé par l'essayiste conservateur Hervé Juvin, qui a rejoint le Rassemblement national et figure en cinquième position sur la liste conduite par Jordan Bardella.

Mais ce supposé virage écolo apparaît surtout comme un vernis visant à justifier les thèses nationalistes et anti-migrations défendues par le parti. "Les systèmes vivants ne survivent que par des limites et des frontières. Nos identités sont notre meilleure gage de survie", développe ainsi Hervé Juvin, qui ajoute que "tout écologue sait bien qu'un système vivant complexe ne survit pas à des espèces invasives".

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