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Reportage "Il y en a marre des communistes" : dans le Val-de-Marne, le PCF chassé aux élections départementales jusque dans ses bastions historiques

Dès ce jeudi, Olivier Capitanio (LR) va remplacer Christian Favier (PCF), à la tête du département depuis vingt ans et battu dimanche aux élections départementales. A Champigny-sur-Marne, fief historique du Parti communiste, le départ de la gauche divise.

Article rédigé par Charles-Edouard Ama Koffi
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une affiche électorale de la droite sur le canton de Champigny-sur-Marne 1 (Val-de-Marne), face à la mairie, le 29 juin 2021.  (CHARLES-EDOUARD AMA KOFFI / FRANCEINFO)

"Les communistes, c'est les plus mauvais, je suis heureux que le 94 ait sauté !" Attablé à la terrasse d'un café près de la mairie de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), mardi 29 juin, Michel laisse éclater sa joie. Cet électeur de droite a de quoi se réjouir. Deux jours plus tôt, le second tour des élections départementales a livré son verdict. Pour la première fois depuis quarante-cinq ans, le Val-de-Marne, dernier département rouge de l'Hexagone, s'est colorié en bleu sur la carte de France.

Ce jeudi 1er juillet, c'est donc Olivier Capitanio, maire LR de Maisons-Alfort, qui va s'installer dans le fauteuil laissé par Christian Favier, patron communiste du département sans discontinuer depuis 2001. Ce dernier, comme un symbole, a été battu dans son canton de Champigny-sur-Marne. Le canton voisin, qui couvre l'autre moitié de la ville, est lui aussi tombé aux mains de la droite. En 2020, la mairie avait déjà changé de bord aux élections municipales. La fin d'une ère pour cette commune où Georges Marchais, emblématique sécrétaire général du PCF, vécut ses 22 dernières années avant d'y être enterré.  

"Le Val-de-Marne n'est pas imperméable à la droitisation de la société"

"Il y a eu un effet vague bleue, avec Valérie Pécresse qui s'est largement imposée dans la région. Le Val-de-Marne n'est pas imperméable à la droitisation de la société et du débat public", tente d'expliquer Julien Léger, suppléant de Christian Favier lors des élections départementales. Ici, l'abstention a atteint 65,72% dans le canton 1 et 72,35% dans le canton 2. Pour Julien Léger, qui accuse le coup, les électeurs de gauche étaient résignés : "Les gens n'ont plus vraiment d'espoir en une justice sociale. Ils se demandent 'à quoi bon aller voter' ?'" 

"On a parfois l'impression que les gens veulent mettre des grillages partout pour qu'on se retrouve dans Banlieue 13 mais ce n'est pas ce qui m'intéresse, moi !", déplore aussi Cynthia, croisée devant une résidence du centre-ville. Cette électrice de 41 ans, qui a toujours voté communiste, estime que l'insécurité n'est pas plus importante à Champigny-sur-Marne qu'ailleurs. Le quartier du Bois-l'Abbé, dont le commissariat a été la cible d'attaque aux mortifiers d'artifice à l'automne 2020, est pourtant déconseillé par de nombreux Campinois.

La sécurité était l'une des promesses de campagne de la droite pour rafler la mairie l'année dernière. Laurent Jeanne (Libres !), le tout récent maire qui a pris les rênes de la ville après soixante-dix ans de communisme, a promis l'installation d'une police municipale d'ici à 2022. Elle sera équipée à terme de 22 agents. 

Michel, dans un café près de la mairie de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), le 29 juin 2021, revendique d'avoir voté à droite aux élections départementales. (CHARLES-EDOUARD AMA KOFFI / FRANCEINFO)

"Nous avons peut-être été trop fébriles sur la question du trafic de drogue, concède Fily Keita-Gassama, conseillère municipale d'opposition (PCF) à Champigny et fonctionnaire dans une ville voisine. La droite a agité la solution de la police municipale mais c'est plus profond que cela. Il y a d'autres villes avec des polices municipales qui connaissent aussi des problèmes."

Les départementales, troisième tour des municipales ?

Pour cette élue, la défaite du PCF lors des départementales est liée à celles des municipales. L'année dernière, outre Champigny, les communistes avaient également perdu Choisy-le-Roi, Villeneuve-Saint-Georges et Valenton, au profit de la droite. "Tous les cantons où nous avons été battus se trouvent dans les villes que nous avons perdues aux municipales, remarque Fily Keita-Gassama. La droite s'est dit que c'était le moment et en a profité pour prendre aussi le département." Un "troisième tour des municipales", en quelque sorte.

Sur les affiches de campagne de la droite à Champigny, le message est clair. "Après cinquante ans de communisme, l'alternance, c'est maintenant !", peut-on encore lire sur les panneaux électoraux. La formule semble avoir séduit les électeurs qui avaient déjà voté pour une alternance aux municipales. "Il y a en marre des communistes, il fallait que ça change !" peste ainsi Mokrane, le gérant du café près de la mairie. "Ici il n'y a pas de poissonnier, pas de fromager, etc. Ce n'est pas possible !, lance-t-il avec sa toque sur la tête. Tout le contraire, selon lui, de Saint-Maur-des Fossés, Chennevières-sur-Marne ou Joinville-le-Pont, des villes limitrophes qu'il juge plus agréables... et toutes dirigées par la droite.

Après avoir obtenu une extension de sa terrasse de la part du nouveau maire (qui a son rond de serviette dans l'établissement), le gérant ne cache pas son soutien à la droite locale. "Ce n'est pas parce que c'est la droite. Ça aurait aussi pu être En marche ! face aux communistes et j'aurais voté pour eux parce qu'ils ne feront pas pire qu'avant, assure-t-il. On dit souvent qu'on ne change pas une équipe qui gagne. Eh bien là, on change une équipe qui perd !"

Les affiches de campagne électorales dans le canton 1 de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), le 29 juin 2021.  (CHARLES-EDOUARD AMA KOFFI / FRANCEINFO)

Michel pense lui aussi que le temps du changement à la tête du département était venu. "J'ai voté pour la droite aux municipales et aux départementales, assume ce Campinois depuis 1998. Ça fait des années que les communistes sont là et on ne voit que ça. Il n'y a même pas de vrai centre-ville ici. Franchement, même si demain je suis milionnaire, je n'achète pas à Champigny mais plutôt dans les villes voisines !" Pêle-mêle, il reproche aux années PCF les fortes taxes locales qui ont compensé le manque d'entreprises installées dans la ville, le cadre de vie pas suffisament agréable, les incivilités à répétition ou encore le manque de mixité sociale.

"Si je te sers tout le temps du couscous, tu vas en manger tous les jours ?"

Attablé face à lui, Fernand-Cressant, son vieil ami de gauche, est au contraire resté fidèle aux communistes. "Il y a plusieurs années, quand je suis arrivé ici depuis le Congo, la gauche a résolu mes problèmes de papiers et de logement. C'est pour ça que je vote pour eux", explique-t-il. Mokrane n'en croit pas ses oreilles et tente une analogie politico-culinaire. "Si je te sers tout le temps du couscous, tu vas en manger tous les jours ?" "Si c'est bon, oui, pourquoi pas ?" réplique Fernand-Cressant, un brin provocateur. "T'es un fada", balaye Mokrane d'un geste du bras. 

Après toutes ces années au pouvoir, le PCF semble avoir été confronté à une forme d'usure de sa politique. "Les gens ont peut-être eu le sentiment que tout ce que nous faisions était normal, regrette Julien Léger. Il prend pour exemple la carte Améthyste, qui offre une quasi-gratuité des transports en Ile-de-France pour certains résidents du département. "Sur le terrain, il a fallu se batailler pour leur expliquer que c'était une spécificité du Val-de-Marne."

Fily Keita Gassama, qui s'est occupée de la communication de la ville de Champigny entre 2014 et 2020, en atteste. "J'ai toujours dit que nous étions trop modestes sur ce que nous avons accompli, regrette-t-elle. On a par exemple deux piscines municipales dans la ville pour que les plus jeunes apprennent à nager. Ça coûte cher mais c'est un choix politique qui est devenu un acquis sans que les gens ne s'en rendent compte." Cynthia, elle, se montre déjà nostalgique. "On sait ce qu'on perd, mais on ne sait pas ce qu'on va gagner..." Quant à Michel, il ne regrette pas son choix. "Il faut qu'il y ait de l'alternance, lance-t-il. De toutes les manières, ce sont nous, les électeurs, les faiseurs de rois. Si la droite ne fait pas du bon boulot, on va la virer." 

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