Avant la présidentielle, le recasage à marche forcée des conseillers ministériels
Un conseil d'administration extraordinaire se penche mercredi sur la nomination contestée d'un proche de Marisol Touraine à l'Institut Gustave-Roussy, dans le Val-de-Marne. Coup de projecteur sur une pratique séculaire et transpratisane, dont les bienfaits pour la démocratie restent à démontrer.
Plus on approche de l'élection présidentielle de 2017, plus les cabinets ministériels se vident. Les vannes sont ouvertes : les conseillers quittent les ministères et cherchent fièvreusement à retrouver un poste de haut fonctionnaire ou de contractuel avant un possible changement de majorité. Les ministres et le président signent donc des nominations à tour de bras. Ces nominations sont légales... mais il arrive qu'elles passent mal et fassent du bruit.
À l'Institut Gustave-Roussy (IGR) de Villejuif (Val-de-Marne), les débats risquent ainsi d'être houleux mercredi 14 décembre : un conseil d'administration extraordinaire est convoqué dans ce plus grand centre anti-cancer d'Europe. Marisol Touraine, la ministre de la Santé, souhaite imposer un membre de son cabinet, Frédéric Varnier, inspecteur des finances, au poste de numéro 2. Une nomination sans discussion, décidée à la hâte. Le directeur général de l'IGR est écœuré : il avait un candidat au profil parfaitement adapté pour ce poste, dit-il.
Des nommés non-qualifiés qui passent mal
Le directeur bénéficie du soutien de la communauté médicale, qui n'apprécie pas une nomination jugée autoritaire. "Quel signe donne-t-on aux hôpitaux ? se révolte la représentante CGT du personnel, Flore Munck. Au lieu de se préoccuper de recaser ses petits camarades, Marisol Touraine devrait se poser d'autres questions, notamment sur l'avenir des hôpitaux. Si dans les quelques mois qui restent, ils ne font que ça, c'est préoccupant !"
Le ministère de la Santé n'est pas le seul concerné. Au mois de novembre, la ministre de l'Écologie, Ségolène Royal, a placé son conseiller budgétaire à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Elle avait auparavant placé sa directrice de cabinet à la tête de la RATP.
Une pratique vieille comme... la Révolution
Tous les ministères usent de cette pratique traditionnelle : nommer des collaborateurs à des postes, afin de les remercier et de conforter un réseau. Ce régime de faveur a écœuré Simon. Dans un grand établissement, cet homme, qui témoigne sous couvert d'anonymat, raconte avoir vu des responsables se faire écarter malgré leurs compétences reconnues, malgré des projets prometteurs, pour permettre de placer des collaborateurs d'un ministre.
Avec d'autres salariés Simon a tenté d'empêcher la manœuvre. En vain. Excédé par une pratique qu'il juge insensée et injuste, il a décidé de quitter la fonction publique. "On se rend rapidement compte que le rouleau compresseur sera le plus fort, raconte-t-il. Est-ce que vous vous rendez compte du tort que font ces nominations, quand ces gens ne sont pas vécus comme légitimes à exercer les fonctions pour lesquelles ils sont nommés ? Cela peut générer de l'écœurement, parfois même des formes de rebellion, dont on peut redouter qu'elles se traduisent parfois dans les urnes."
Nous sommes dans un système de récompense politique. C'est une spécificité bien française.
Le plus grand "nominateur" n'est autre que le président de la République, qui nomme 700 personnes par an. Les ministres, à différents niveaux, nomment également des dizaines de personnes. La pratique est née avec la Révolution française, depuis l'apparition des alternances au pouvoir, comme une émanation de la démocratie.
Le problème devient criant lorsque quelques membres d'un réseau font main basse sur la totalité des postes. Au risque d'asphyxier la démocratie, selon Roger Lenglet, qui a co-écrit en 2015 Les Recasés de la République (éditions First). "C'est un peu comme des papillons sur un arbre, qui s'envolent tous en même temps, explique-t-il. Ce petit jeu est tellement important ! Chaque ministre, chaque président y participe, sans oublier les directeurs d'administration. Ils se consacrent à nommer les personnes qui peuvent être des soutiens, qui peuvent rendre des services, qui savent se taire."
On se soucie beaucoup de recaser les collaborateurs, avant de se recaser soi-même, car les gens qu'on nomme sont eux-mêmes de futurs recaseurs
"Les rémunérations vont de 3 500 euros à 15 000 euros par mois, poursuit Roger Lenglet. L'opinion publique ne s'intéresse pas suffisamment aux nominations, et au caractère effectif de l'emploi. À ce sujet, la Cour des comptes a pu parler parfois d'emplois 'fantômes'."
Des parlementaires réclament plus de transparence
Cette bataille pour les bonnes places - qu'on désigne parfois comme les placards dorés - est particulièrement compliquée ces derniers mois, car les multiples plans d'économie ont réduit les postes au sein de la fonction publique. Mais certaines institutions et administrations restent championnes du recasage : le Conseil d'État, le Conseil économique et social, ainsi que les différentes inspections de la fonction publique.
La grande majorité des nominations sont publiées au Journal Officiel, mais passe souvent inaperçu au sein de l'opinion publique. Patrick Hetzel, député Les Républicains du Bas-Rhin, s'est emparé du sujet : "Je me suis intéressé au cas de l'Institut national pour la recherche agronomique (INRA), un établissement de recherche très prestigieux. Le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, a décidé qu'y soit nommé son directeur de cabinet, qui n'est même pas titulaire d'un doctorat. Il faudrait qu'il y ait plus de transparence, que le Parlement soit mieux informé, qu'il puisse avoir un regard sur les critères pris en compte."
Tout cela n'honore pas la République
Si Patrick Hetzel, député fillonniste, dénonce des recasages qu'il juge scandaleux de la part de la gauche, ces abus ne sont pas l'exclusivité d'un camp. En 2012, la Cour des comptes avait envoyé un courrier en référé à François Fillon. Les juges pointaient du doigt deux personnes que le Premier ministre d'alors avait nommées à l'inspection générale de l'Éducation nationale. Ces deux personnes n'avaient pas les compétences liées à la fonction et ne se rendaient jamais dans cette instance.
Les bonnes pratiques en la matière sont à chercher du côté de l'Allemagne ou des pays scandinaves, où pour être nommé à un poste dans la haute administration, il faut non seulement disposer de diplômes précis, mais aussi avoir rédigé et défendu un projet argumenté et être mis en concurrence devant des comités de parlementaires.
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