Grève à la SNCF : on a mis près de 24 heures pour faire Paris - Digne-les-Bains
Au cours des deux premiers jours de grève à la SNCF, mardi et mercredi, Matthieu Mondoloni, journaliste à franceinfo, a tenté de faire la route entre Paris et Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence). Il a pris deux covoiturages et un bus.
Les cheminots ont lancé, lundi 2 avril au soir, leur première grève contre la réforme du service public ferroviaire. Elle doit s'étaler sur trois mois, à raison de deux jours de grève tous les cinq jours. Mardi et mercredi, le trafic était très perturbé.
Face au peu de trains disponibles, de nombreux Français ont dû se rabattre sur d'autres moyens de transport, comme la voiture personnelle mais aussi les bus, le covoiturage ou l'auto-stop. franceinfo a décidé de les suivre sur la route en envoyant son reporter, Matthieu Mondoloni, à Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence). On a suivi son trajet sur deux jours.
Mardi, 14h : première étape, le bus pour Boulogne-Billancourt
Pour quitter Paris et se rapprocher de sa destination, Matthieu a d'abord opté pour le covoiturage en s'inscrivant sur un site spécialisé. Après un peu de difficultés pour trouver une voiture disponible (sur les 50 offres Paris-Lyon, il n'en restait qu'une dizaine lundi soir et plus aucune mardi matin), notre reporter a décroché une place avec Karine, qui fait la route Rouen (Haute-Normandie) - Saint-Etienne (Loire). Le rendez-vous est fixé à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).
Matthieu est donc parti en bus RATP de la Maison de la Radio, dans le 16e arrondissement de Paris. Déjà 4,5 km de fait, sur les 760 à parcourir au total. Il attend sa conductrice qui doit venir le chercher en compagnie d'une ou deux personne(s), l'annonce n'était pas très claire.
Karine devrait le déposer à la gare de Lyon-Perrache (Rhône) vers 20h. Et idéalement un peu avant, afin qu'il puisse attraper un autocar pour Grenoble (Isère), où il compte passer la nuit... À moins qu'il ait du succès en auto-stop pour s'avancer un peu...
Départ pour Digne-les-Bains. Première étape, rejoindre Boulogne-Billancourt pour attraper un covoiturage vers Lyon pic.twitter.com/7zeSAeoI5y
— Matthieu Mondoloni (@M_Mondoloni) 3 avril 2018
Mardi, 17h, sur l'Autoroute du Soleil, au niveau d'Auxerre : c'est plutôt bien parti
Ça avance bien. Pour l'instant, il n'y a pas de difficulté sur la route. Matthieu a parcouru plusieurs centaines de kilomètres en une heure et demie. Avec lui dans la voiture, il y a Karine, la conductrice de 35 ans, Nolwenn qui fait son service civique et Victorine, étudiante à Saint-Etienne.
Covoiturage avec Karine, la conductrice, Nolwenn, en service civique, et Victorine, étudiante à Sciences-Po. Direction Saint-Etienne pour elles, Lyon pour moi. A part Nolwenn, toutes devaient prendre le train aujourd’hui et ont choisi le covoiturage comme plan B. pic.twitter.com/HkJjbCBhGo
— Matthieu Mondoloni (@M_Mondoloni) 3 avril 2018
Karine et Victorine devaient impérativement rejoindre Saint-Etienne : la première a une formation professionnelle et la seconde, des partiels dès 8h du matin mercredi. Elles devaient prendre le train, mais n'ont pas trouvé de place. "L'annonce a été vue 246 fois exactement, raconte Karine, qui n'a pas l'habitude de faire de trajets en covoiturage. J'ai eu énormément de demandes, avec même des gens qui voulaient que je passe par d'autres villes que mon trajet initialement prévu. Donc, il fallait restreindre. Je ne pouvais pas prendre tout le monde. Mais, le covoiturage se passe très bien."
Encore un peu plus de 200 km avant d’arriver à Lyon. Ça va se jouer à la minute près pour attraper mon bus pour Grenoble prévu à 20h. Mais pour l’instant pas de bouchons pic.twitter.com/ocHcUA5iRL
— Matthieu Mondoloni (@M_Mondoloni) 3 avril 2018
Pause à l'aire de la Biche, dans l'Yonne, vers 17h. Il reste 300 km avant Lyon... La perspective du bus pour Grenoble à 20h s'éloigne.
Mardi, 19h, sur l'A6 en Saône-et-Loire : encore 100 km avant Lyon
Deux heures plus tard, il reste 100 km à Matthieu pour atteindre Lyon. Là, c'est certain : il ne sera pas à Digne-les-Bains avant mercredi. L'une de ses "co-voitureuse", Victorine, explique pourquoi elle a opté, pour la première fois, pour le covoiturage : "Parce que d'habitude je prends le train, mais en ce jour de grève, j'ai essayé tous les moyens pour pouvoir revenir à Saint-Etienne, indique l'étudiante de Sciences-Po Saint-Etienne. Le bus, 78 euros, non ! Donc, une seule solution : Blablacar [l'un des sites de covoiturage]. Et j'étais obligée de rentrer parce que j'avais mon partiel demain, donc c'était important."
Victorine, comme l'autre passagère de Karine, a payé une quarantaine d'euros pour rejoindre sa destination.
Mardi, 22h30 : la soirée se poursuit dans le bus pour Grenoble
Sans surprise, Matthieu a raté son bus de 20h. Il a pu prendre le suivant, à 21h20 au départ de la gare routière de Lyon Perrache et à destination de Grenoble. Il y avait beaucoup de monde sur les quais de la gare. Notre reporter a surtout croisé des usagers du train qui n'avaient jamais emprunté de bus et qui se rendaient à Toulouse, à Paris ou encore à Grenoble. Si le bus de 21h20 n'est pas plein, il est bien rempli. À bord, tout le monde dort. Arrivée prévue un peu avant 23h. Matthieu espère trouver de quoi dîner en arrivant. Il ne tentera pas finalement l'auto-stop de nuit qui aurait pu l'avancer. Il passera la nuit à Grenoble avant de pousuivre son périple mercredi vers Digne-les-Bains.
Billet réservé ! Et je ne suis pas seul... pic.twitter.com/nIcsYEysPe
— Matthieu Mondoloni (@M_Mondoloni) 3 avril 2018
William vient de Montélimar et doit impérativement se rendre à Paris. Il part au Sri Lanka demain. Il devait prendre un TGV OuiGo à 28 euros, ce sera finalement un bus à 80 euros. « Ça reste moins cher que si j’avais pris ma voiture. » pic.twitter.com/pLV7nE7two
— Matthieu Mondoloni (@M_Mondoloni) 3 avril 2018
Mardi, 22h50 : arrivée à Grenoble pour la nuit
Après un trajet en silence dans l'autocar, Matthieu Mondoloni est arrivé à Grenoble. Il doit y passer la nuit. Il rêvera sans doute de trains... Demain, il tentera d'en attraper un pour rallier Gap, dans les Hautes-Alpes, à plus de 80 km de Digne-les-Bains. Il compte ensuite se rendre jusqu'à sa destination finale en "auto-stop citoyen".
22h50, je suis arrivé à Grenoble. Avec un peu de chance, un des rares trains en circulation m’amènera à Gap demain matin. Puis « auto-stop citoyen » jusqu’à Digne-les-Bains ? À demain ! pic.twitter.com/5n81SelS0m
— Matthieu Mondoloni (@M_Mondoloni) 3 avril 2018
Mercredi, 9h30 : en attente du 2e covoiturage sur un parking de Grenoble
Après une nuit à Grenoble, Matthieu a bien tenté de prendre un TER pour Gap (Hautes-Alpes)... Aucun train à l'horizon. Quant aux bus de substitution proposés par la SNCF, les horaires n'étaient vraiment pas pratiques. Notre reporter s'est alors lancé dans l'auto-stop. À l'aide des petites affichettes "auto-stop citoyens" mises à disposition par la compagnie ferroviaire, il a tenté sa chance devant la gare.
Heureusement, j’ai ma petite affichette « auto-stop citoyen », comme conseillé par la SNCF pic.twitter.com/emuNwlHyDZ
— Matthieu Mondoloni (@M_Mondoloni) 4 avril 2018
Un échec. Aucune voiture ne s'arrête. "J'étais un peu esseulé, pour ne pas dire triste", raconte Matthieu, à l'antenne de franceinfo mercredi matin. C'est à ce moment-là que son portable sonne : Daniel lui propose un covoiturage vers Digne ! C'était l'une des annonces consultées hier par Matthieu. À 9h30, il s'apprête donc à monter dans la voiture avec trois passagères : Luce, Laura et Madeleine. Arrivée prévue entre 12h et 14h à Digne-les-Bains, à 180 km de là.
Depuis son départ de Paris, Matthieu a surtout croisé des gens qui, normalement, prennent le train, mais se sont retrouvés obliger de prendre des transports alternatifs. Certains sont en colère, d'autres plus compréhensifs, mais tous s'y font. C'est surtout l'occasion de découvrir le covoiturage, un moyen de transport convivial et plus économique qu'un billet SNCF.
Mercredi, 12h30 : petite pause à Sisteron, sur l'A51, à 45 mn de Digne
Matthieu Mondoloni touche au but. Il ne lui reste plus que 39 km de route pour rejoindre sa destination Digne-les-Bains. Et puis, il a reçu une proposition plutôt sympathique lors de ses pérégrinations qu'il raconte sur Twitter : la maire de Digne-les-Bains l'invite à déjeuner ! Vu l'heure d'arrivée prévue, ce sera plutôt un café.
Petite pause à Sisteron pour déposer une des passagères et on repart pour Digne-les-Bains pic.twitter.com/KIO0vfbynJ
— Matthieu Mondoloni (@M_Mondoloni) 4 avril 2018
En attendant, la voiture a déjà déposé Laura sur le trajet - elle devait attraper un bus pour se rendre à Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence) - et Matthieu a fait la connaissance de Madeleine, l'une des autres passagères. Cette étudiante en prépa Beaux-Arts est partie de Valence : "J'y étais pour passer des concours", raconte Laura, qui aurait dû prendre un train Valence-Aix puis un bus Aix-Digne mais n'a pas trouvé de train et s'est donc rabattue sur le covoiturage. Un moyen de transport qu'elle va sans doute devoir réutiliser avec la grève en pointillés des cheminots : "Je dois faire une sorte de tour de France parce que j'ai [un concours à] Caen, Strasbourg, Saint-Etienne. Du coup avec la grève ce n'est pas facile de se déplacer, mais je vais y arriver !"
Avec moi dans la voiture, Madeleine, 18 ans, qui rentre à Digne-les-Bains après avoir passé un concours à Valence pic.twitter.com/c6xdUfx5PN
— Matthieu Mondoloni (@M_Mondoloni) 4 avril 2018
Mercredi, 13h : bien arrivé à Digne-les-Bains... au bout d'une journée de voyage !
Notre reporter a enfin mis les pieds à Digne-les-Bains après deux covoiturages et un bus. Il lui aura fallu, très exactement, 22 heures et 40 minutes pour faire 750 km. En temps normal, le trajet lui aurait pris 5 heures : 3 heures de TGV Paris-Aix et 2 heures de bus Aix-Digne. Matthieu a été accueilli par la maire en personne ! "Votre démarche était très sympa et en plus vous avez choisi Digne les Bains, c'est avec vraiment beaucoup de plaisir qu'on vous accueille ici", lui a confié Patricia Granet.
ÇA Y EST ! Il m’aura fallu un peu moins de 24h, deux covoiturages et un bus, mais j’y suis, hein @seb_baer ! Et accueilli par madame le maire @PatriciaGranet ! pic.twitter.com/mXIrO7HAyg
— Matthieu Mondoloni (@M_Mondoloni) 4 avril 2018
Se pose maintenant la question du retour. À Digne-les-Bains, il n'y a plus de ligne SNCF depuis les années 70, pour des "raisons économiques", indique la maire qui précise : "Nous avons, par contre, toujours ce train mythique qui fait Nice-Digne-les-Bains, le train des Pignes."
Bon, c'est pas tout ça mais faut rentrer maintenant... Passage à la gare de Digne, enfin aux gare de Digne. Plus de trains SNCF depuis plus de 40 ans mais le train des Pignes pour Nice opéré par les Chemins de fer de Provence : 3h15 et ça m'éloigne de Paris pic.twitter.com/bGWDITeZcU
— Matthieu Mondoloni (@M_Mondoloni) 4 avril 2018
Mercredi, 16h ... Et pour rentrer à Paris ? Il faut aller vers le Sud, à Aix-en-Provence !
Devant les gares de Digne-les-Bains, Matthieu a hésité. Certes, il n'y a pas de gare SNCF, mais il y a bien un train qui circule : il se rend à Nice en 3 heures et 15 minutes, à travers de beaux paysages. L'autre solution, c'est de rejoindre Aix-en-Provence en bus. Finalement, notre journaliste opte pour une 3e option : un 3e covoiturage. Patrick propose de l'emmener, pour 10 euros, en une heure et 20 minutes à Aix.
Une fois sur place, il faudra patienter : plus aucun train ne circule mercredi soir vers Paris-gare de Lyon. Ils sont pleins ou supprimés. La première place est jeudi, mais pas avant 14h car tous les trains sont pris d'assaut par ceux qui ont reporté leur voyage avec la grève. Matthieu passera donc la nuit à Aix-en-Provence. Son bilan financier jusqu'ici : 100 euros.
Bien arrivé à Aix, et petit coucou aux copains de @bleuprovence, en plein journal de 18h #forza pic.twitter.com/1lSIWLnclJ
— Matthieu Mondoloni (@M_Mondoloni) 4 avril 2018
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