Un policier a-t-il braqué son LBD contre la tête d'un "gilet jaune" lors d'une manifestation ?
Plusieurs images montrent le canon de l'arme au contact de la tête du jeune homme plaqué au sol. Une source policière affirme néanmoins que le geste du policier n'était pas volontaire et qu'il n'y avait pas de risques de tir accidentel.
Sur la page "France blessée", qui compile des images présentées comme celles de personnes blessées par les forces de l'ordre lors de rassemblements des "gilets jaunes", une image postée dimanche 24 mars a manifestement marqué les esprits. Partagée plus de 6 300 fois depuis (bien plus que des images de mutilations sanglantes), elle montre un jeune homme maintenu à terre par un policier. Ce dernier tient à la main un LBD – cette arme à l'utilisation contestée – dont le canon est pointé vers la tête de la personne interpellée, si proche qu'il touche ses cheveux. "Cette photo est extrêmement choquante", réagit un internaute, quand un autre dénonce "l'humiliation" de cette posture. La photo a également été postée sur Twitter. Là aussi, elle est très commentée. Mais est-elle authentique ? Et que montre-t-elle vraiment ?
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J'ai beau chercher, je ne trouve aucune raison valable qui puisse justifier de menacer une personne à terre d'un tir de flashball à bout touchant..@PoliceSCSI une réaction? pic.twitter.com/uheEeVfAHE
— Sestrey du Felay (@DuFelay) 24 mars 2019
Si la façon dont elle a fait son chemin jusqu'aux réseaux sociaux n'est pas claire, cette image n'est pas un montage, bien qu'elle ait été recadrée. L'originale a été prise par un photographe du journal Ouest-France, Franck Dubray, lors de la manifestation des "gilets jaunes" au Mans (Sarthe) samedi 23 mars. Si elle n'apparaît pas dans le compte-rendu de cette manifestation publié sur le site du journal, elle a été mise en ligne sur le catalogue de photos de l'agence de presse MAXPPP qui achète notamment les clichés venus de la presse régionale et à laquelle sont abonnés de nombreux médias, dont franceinfo.
Au total, le catalogue de cette agence reprend une quinzaine de photos signées Franck Dubray de différents moments de l'interpellation de ce jeune homme, dont la police nationale affirme qu'il a été arrêté pour "outrage" et "rébellion". Ce manifestant doit être jugé en juin. Contacté par franceinfo, le photographe explique avoir sciemment choisi de mettre à disposition le plus d'images possibles, pour restituer le plus fidèlement possible leur contexte. "Je n'avais pas vu [la position du LBD] tout de suite, c'est en revoyant mes images que je l'ai remarquée, ça m'a tout de suite interpellé", explique-t-il.
Une scène qui a duré "quelques secondes"
Au total, six de ses images montrent le canon du LBD pointé sur l'homme à terre. Sur les deux premières, le policier, qui porte l'arme en bandoulière, ne la touche pas et elle repose le long de sa cuisse, orientée vers la tête du manifestant interpellé.
Viennent ensuite quatre photos, prises en l'espace de quelques secondes à en juger par les infimes différences dans la position des personnes représentées et où l'arme est dans la même position. Cette fois-ci, la main du policier est bien posée sur le LBD. C'est une de ces images qui a circulé sur internet. En voici une autre :
Enfin, des photos prises un peu plus tard montrent que le policier a lâché son LBD, qui pend à nouveau à sa bandoulière, éloigné de la tête du manifestant, le canon vers le sol. Enfin, une image montre le policier empoignant à nouveau son LBD, cette fois dirigé vers le sol devant lui, alors qu'il semble se tourner vers la foule.
Ces images montrent que le canon d'un LBD a bien été en contact avec la tête de ce manifestant. Etait-ce volontaire de la part du policier ? Le photographe Frank Dubray explique que la scène n'a duré que "quelques secondes". "Je ne crois pas qu'il l'ait fait sciemment, estime-t-il. Il ne l'a pas mis en joue."
C'est également ce qu'affirme une source policière contactée par franceinfo. "Etant donné la position [du policier] et celle de son genou", posé au sol pour maîtriser le jeune homme interpellé, "l'arme s'est retrouvée naturellement à proximité de l'individu", estime cette source. "En aucun cas, il n'y a eu une mise en joue volontaire".
Cette source policière estime que "les images sont assez parlantes, il est plus concentré sur ce qui se passe autour". On constate effectivement que, sur toutes les photos de la scène, le policier regarde autour de lui et n'a jamais la tête dirigée vers le jeune homme ni vers son arme. Cette source explique que ce policier a pu poser ponctuellement sa main sur son arme pour la déplacer et l'éloigner de la tête de l'homme interpellé. Elle a effectivement bougé sur les photos prises quelques instants plus tard. Mais en l'absence de vidéo de la scène, impossible de savoir avec certitude quel a été le geste du policier.
Pas de risque de tir involontaire, estime la police
Reste que la situation a frappé Franck Dubray, qui avait couvert d'autres manifestations des "gilets jaunes" avant celle-ci. Si le canon n'a pas été pointé très longtemps vers l'homme à terre, "il était tout près. Un coup aurait pu partir, cela aurait pu être dangereux", s'inquiète-t-il. Il explique également avoir été "surpris, parce qu'en général, les policiers qui portent des LBD n'interpellent pas".
Ce que dément la source policière jointe par franceinfo. Si les LBD sont utilisés par des CRS, qui s'en servent – de façon parfois contestée – pour disperser la foule, et n'ont pas vocation à interpeller des manifestants, le policier photographié "a plutôt l'air d'être un policier de la BAC", qui sont également équipés de LBD, et dont le rôle est d'être "au contact pour faire des interpellations". Au vu de la taille de l'arme, ils la portent en bandoulière et, dans une situation où ils doivent s'accroupir au sol, il est déconseillé de la ranger dans leur dos, pour éviter que quelqu'un tente de s'en emparer.
Un tir aurait-il pu partir involontairement et blesser le jeune homme à terre ? La source policière se veut rassurante. "Tant que vous n'appuyez pas sur la détente, le tir ne part pas", explique-t-elle. Et les policiers ont pour consigne de tenir leurs armes d'une façon particulière "pour ne pas risquer d'accrocher involontairement la gâchette" : ils doivent garder leur index allongé le long du pontet, une partie de l'arme qui entoure la gâchette. "Si le doigt est le long du pontet, vous ne pouvez pas le plier", du moins pas involontairement. Sur les images où le policier tient son LBD, on constate effectivement que son index est collé à son arme ; et qu'il respecte cette règle.
La source policière jointe par franceinfo assure donc qu'elle ne constate "pas de manquement de la part du policier" sur ces images. Tout en concevant que "quand on voit cette image figée, elle peut surprendre et émouvoir".
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