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"Je suis totalement désemparée" : les députés LREM déboussolés face au mouvement des "gilets jaunes"

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Des "gilets jaunes" bloquent un rond-point à Dinan (Côtes-d'Armor), le 20 novembre 2018. (MARTIN BERTRAND / HANS LUCAS / AFP)

Les députés de la majorité présidentielle peinent à répondre à la contestation de leurs administrés provoquée par la hausse des prix du carburant.

"Je ne sais pas quoi leur répondre d'autre que les arguments que l'on avance et qui ne prennent pas..." Au bout du fil, Valéria Faure-Muntian, députée LREM de la 3e circonscription de la Loire, fait preuve d'une étonnante franchise. Cette parlementaire de 34 ans, ancienne chargée de clientèle en assurances et élue en 2017 grâce à la vague En marche !, l'avoue sans ambages : elle est "totalement désemparée" face au mouvement des "gilets jaunes". Samedi, ils étaient plus de 280 000 à faire entendre leur colère face à la hausse du prix des carburants. Depuis, les blocages se poursuivent à certains endroits, tandis qu'un appel à manifester le 24 novembre à Paris a été lancé sur Facebook. L'issue du conflit est plus qu'incertaine. Les revendications dépassent maintenant le simple ras-le-bol fiscal et les corps intermédiaires sont exclus de la contestation.

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De quoi décontenancer profondément les députés de la majorité. Tous ceux interrogés par franceinfo sont unanimes : ils disent comprendre l'exaspération et le sentiment de déclassement exprimés par les "gilets jaunes". Mais comment leur répondre ? Avec qui entamer les discussions ? Sur quoi ? "On n'est pas sur la même longueur d'onde, ils ont des sentiments, nous des arguments, ça ne colle pas", résume Valéria Faure-Muntian. Pourtant, pour Emmanuel Macron, "c'est dans le dialogue qu'on peut en sortir, dans l'explication, dans la capacité à trouver le bon rythme et les solutions de terrain", a-t-il déclaré mardi à Bruxelles. Plus facile à dire qu'à faire pour les députés de la majorité. 

"J'ai tenu une permanence, personne n'est venu"

Beaucoup ne sont pas allés au contact des manifestants pour "ne pas envenimer" les choses. Philippe Chassaing est député de la 1re circonscription de Dordogne, où les appels au blocage "ont été suivis avec des ronds-points occupés". "Je n'ai pas voulu me rendre sur les sites pour ne pas que ça dégénère et que cela soit perçu comme une provocation", explique-t-il. Alors, il s'est décidé à "tenir une permanence samedi matin si les 'gilets jaunes' voulaient interroger un élu". Mais voilà, "personne n'est venu". Le midi, le député s'est rendu au PC de sécurité pour s'entretenir avec la préfète.

Damien Adam aussi n'est pas allé sur le terrain. Il a suivi le mouvement via les services de la préfecture et les réseaux sociaux, et n'a pas eu de contacts avec les "gilets jaunes". "Sur le glyphosate, on avait été sollicité par les citoyens. Là, on n'a été sollicité par aucun 'gilet jaune', ils s'en foutent de leur député", lâche l'élu de Seine-Maritime à franceinfo.

D'autres parlementaires ont pu s'entretenir avec les "gilets jaunes", "un peu en marge des blocages". C'est le cas de Jean-René Cazeneuve, député du Gers, qui était samedi à Auch : "J'ai écouté ce qu'ils avaient à dire mais c'est compliqué, c'est très hétérogène entre celui qui demande moins de taxes et l'autre qui veut plus de services publics, les revendications n'étaient pas communes." A 400 kilomètres de là, Anthony Cellier, député du Gard, a pris sa voiture et s'est retrouvé bloqué à un rond-point. "On m'a dit que je n'avais pas mon gilet jaune et que je ne pouvais pas passer", raconte-t-il. Il se retrouve à débattre avec quatre personnes sans dire, au début, qu'il est député. "Ils me disaient qu'ils n'avaient plus de quoi payer à la fin du mois. Je leur ai demandé qui avait voté aux dernières élections, sur les quatre, un seul l'avait fait. Je leur ai aussi expliqué qu'un très bon moyen de s'exprimer, c'était d'aller dans les urnes", ajoute-t-il, précisant leur avoir dit qu'il comprenait leur colère. 

Les députés face "au ras-le-bol"

Cette colère, Anne-Laure Cattelot la perçoit, l'entend tous les jours. Députée du Nord, sur un territoire où le chômage touche près de 16% de la population, la jeune femme a croisé samedi plusieurs manifestants qu'elle connaît alors qu'un blocage était organisé à 200 mètres de chez elle. 

C'est un énorme ras-le-bol cumulé, on a mis un couvercle sur la cocotte depuis 30 ans, et là les gens sont sortis de leurs gonds.

Anne-Laure Cattelot, députée du Nord

à franceinfo

Concernant la hausse du prix des carburants, Anne-Laure Cattelot dit parler à ses administrés "du scandale de la pollution liée au diesel". "Ils comprennent avec le scandale de l'amiante qu'on a connu ici mais ils me disent : 'Est-ce que les pouvoirs publics font les mêmes efforts ?' Ils ont l'impression d'être la vache à lait." La parlementaire l'assure : "On aide un maximum mais demain, on ne va pas non plus offrir des voitures, il faut responsabiliser les gens." Et si elle affirme être"très compréhensive des petites gens", voir "un gilet jaune sur une Porsche Cayenne" la rend "dingue"

Anthony Cellier assure lui aussi comprendre "cette impatience parfaitement légitime". "On parle des 6 milliards de baisse d'impôts ou encore de la suppression de la taxe d'habitation pour 80% des foyers, mais on n'a pas le sentiment que c'est perçu et compris", soupire-t-il. Il n'est pas le seul à partager ce sentiment. "J'ai des arguments factuels, mais mes arguments n'ont pas la force nécessaire pour faire face à leur désarroi", explique Valéria Faure-Muntian. "C'est très difficile d'avoir un dialogue constructif, les gens ne sont pas rationnels, ils mettent en avant ce qui baisse mais jamais ce qui monte, abonde Damien Adam. Quand on augmente la rémunération de 20 euros, on me dit : c'est bien gentil, mais je vais faire quoi avec 20 euros', mais quand on baisse de 5 euros les APL, les gens hurlent." 

"Il faut qu'ils adressent un mot d'ordre parce que là, c'est confus"

Autre difficulté majeure pour ces parlementaires : le mouvement n'a ni revendications précises ni représentants déclarés. "Il faudrait qu'ils adressent un mot d'ordre parce que là c'est confus, il y a l'essence mais aussi les taxes, les retraites, les services publics...", liste Philippe Chassaing. "Il n'y a pas de revendications claires et nettes, on peut vouloir entendre cette parole mais là, elle est multiple", analyse Anne-Laure Cattelot. Et puis, vers qui se tourner ? 

La difficulté d'entamer le dialogue, c'est aussi d'arriver à identifier un interlocuteur. Est-ce qu'on fonctionne par rond-point, par département, avec celui qui a le plus de likes sur Facebook ?

Anthony Cellier, député du Gard

à franceinfo

Dans sa circonscription de la Loire, Valéria Faure-Muntian a bien essayé d'identifier des interlocuteurs, mais "c'est complexe", explique-t-elle. "On essaye tous d'identifier l'objet qu'est ce mouvement social car on doit y répondre en tant qu'élu de la nation." Le problème, détaille-t-elle, c'est ce "sentiment qu'ils ne souhaitent pas de dialogue"

Alors, en attendant de se mettre autour de la table pour négocier, certains parlementaires font leur introspection."On aurait dû anticiper la hausse du baril avec Trump, on savait qu'on allait augmenter les taxes, si on avait été dans l'anticipation, on n'en serait pas là", ose Frédéric Barbier, député du Doubs et ancien socialiste. "On a séquencé nos mesures parce qu'on n'avait pas les moyens de faire tout en même temps, mais avec ce séquençage, les bonnes nouvelles sont indolores, c'est quelque chose que l'on a raté", convient un de ses collègues de la majorité. 

Pédagogie, pédagogie, pédagogie

Alors comment concrètement répondre à la colère des "gilets jaunes" ? Les députés peinent à trouver la solution magique. Beaucoup répondent, comme le fait l'exécutif, par plus de "pédagogie". En clair, mieux expliquer les réformes aux Français. "Avons-nous su occuper le terrain ou répondre aux critiques ? Trop peu", avant ainsi lancé mardi Edouard Philippe devant la majorité parlementaire, avant de poursuivre : "On m'a rapporté que sur les plateaux, nous n'avons pas été suffisamment sonores, présents, audibles."

Message reçu 5 sur 5 par les députés de la majorité. "Oui, on a un travail de pédagogie à faire. A quoi servent le budget, les taxes, l'Etat ? On a l'impression que les impôts nourrissent un monstre qui est l'Etat, mais l'Etat, c'est l'ensemble des citoyens", tient à rappeler Anthony Cellier. 

"Il faut que l'on soit meilleur en pédagogie et en communication, il faut toucher ces gens qui ne lisent pas la presse mais qui s'intéressent aux émissions de divertissement et qui sont sur les réseaux sociaux pour qu'ils ne se laissent pas influencer par les fake news", poursuit Damien Adam. Le député de Seine-Maritime en est persuadé : "Une grande partie des 'gilets jaunes' ne se serait pas mobilisée si elle avait eu accès à des infos vérifiées." Lutter contre les fake news, avoir une meilleure communication... D'autres députés plaident aussi pour réfléchir à des réponses plus innovantes. "Edouard Philippe a essayé d'apporter des réponses, mais ça n'a pas bougé depuis son intervention de France 2, je me dis que puisque ça n'a pas bougé, ça ne suffit pas", remarque Valéria Faure-Muntian. 

On a essayé des réponses classiques, ça ne suffit pas, il faut que l'on invente un nouvel arsenal de dialogue.

Valéria Faure-Muntian, députée de la Loire

à franceinfo

Frédéric Barbier a lui pris au mot la proposition du secrétaire général de la CFDT Laurent Bergé qui, dans une interview lundi au Monde (article payant), proposait au gouvernement de construire "un pacte social de la conversion écologique" avec les organisations syndicales et patronales mais aussi les associations. "Mais, pour moi, il ne s'agirait pas d'une conférence une fois pour toute, il faut une instance de dialogue qui se réunirait tous les deux ou trois mois et qui permettrait d'évaluer nos politiques et d'engager des actions correctives si nécessaire", assure le député du Doubs. 

En attendant, chacun sait qu'il y a urgence avec un mouvement qui risque de se durcir. "Au début, c'était bon enfant mais là ça se tend et ça m'inquiète pour la sécurité de tout le monde", alerte Anthony Cellier. "Ce qui est inquiétant, c'est que l'on ne trouve pas la façon adéquate de leur répondre", soupire Valéria Faure-Muntian.

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