Après les "gilets jaunes", les "stylos rouges" : on vous présente ce mouvement qui rassemble des profs en colère
Des enseignants du primaire et du secondaire se mobilisent, sur les réseaux sociaux, pour demander de meilleures conditions de travail et des hausses de salaire.
Leur plume a la couleur de la colère. Derrière l'appellation "stylos rouges", c'est au tour des enseignants de se rassembler, en partageant leurs revendications, sur les réseaux sociaux notamment. Difficile de ne pas y voir l'influence du mouvement des "gilets jaunes" sur les fonctionnaires de l'Education nationale. Tout comme la mobilisation lancée le 17 novembre dans toute la France, les "stylos rouges" se sont par exemple lancés sans inviter, pour le moment, les syndicats d'enseignants. Voici ce que l'on sait de ce mouvement.
Qui est à l'initiative des "stylos rouges" ?
Sur Facebook, les enseignants connectés occupent depuis longtemps des espaces de discussion, comme le groupe fermé "Le coin détente des profs". C'est là que Cyril, enseignant en histoire-géographie, inspiré par les "gilets jaunes", a d'abord proposé, le 11 décembre, de créer un groupe des "crayons rouges". Avec humour, il suggère que "toutes les nuances de rouges" y soient les bienvenues. "En guise de soutien, on peut arborer un crayon rouge sur son rétro, son tableau de bord, dépassant d'une de ses poches ou même sur son oreille", écrit-il encore.
Le groupe Facebook "Les stylos rouges en colère", créé le 12 décembre, compte plus de 33 000 membres, samedi 29 décembre, sur les quelque 880 000 enseignants qu'emploie l'Education nationale. "Et nous avons encore 6 000 demandes en attente", précise Sam, enseignante en primaire en Seine-Saint-Denis et administratrice du groupe. Dans un court texte de présentation, les "stylos rouges" se décrivent comme un "groupe de profs en colère" et précisent que le groupe – géré par six administrateurs et six modérateurs – est constitué de professeurs des écoles, de profs en collèges, lycées et lycées professionnels.
Que revendiquent ces profs en colère ?
Dans un premier manifeste publié le 17 décembre, les "stylos rouges" affichent leurs objectifs – "faire entendre nos revendications et améliorer l'image de l'enseignement en France" – et listent leurs demandes, "essentielles au bien-être de l'école publique de demain et de ceux qui la font vivre au quotidien". Le texte a beaucoup évolué depuis, mais les mêmes revendications restent en tête, les enseignants réclament une augmentation des salaires "à hauteur de la fonction occupée" et "le dégel immédiat du point d'indice". Gelé entre 2010 et 2015, le point d'indice salarial, qui permet de calculer les salaires de la fonction publique, a connu de faibles revalorisations en 2016 et 2017, mais le gouvernement l'a à nouveau gelé en 2018.
Je travaille depuis 14 ans dans l'Education nationale et vois les choses se dégrader petit à petit, pour les profs et pour les élèves : programmes qui changent tout le temps, classes surchargées…
Julie, enseignanteà franceinfo
"On parle beaucoup du dégel du point d'indice, mais ce que nous voulons tous, c'est une école bienveillante et une bienveillance de l'Etat pour nos élèves", insiste Sam. "Pour avoir des élèves heureux, il faut des profs heureux, et pour ça, la moindre des choses, c'est du matériel adapté", ajoute l'enseignante de 29 ans. "Cette année, en maths et français, on a un livre pour deux et je dois payer les photocopies de ma poche", enchaîne-t-elle. "Nous travaillons dans des conditions catastrophiques et donc les élèves aussi", ajoute sa collègue des Yvelines, Julie. "C'est pour eux que nous passons tant de temps à travailler en dehors de la classe et que beaucoup dépensent leur argent personnel", poursuit-elle.
Depuis septembre, j'ai dû dépenser environ 300 euros de ma poche, pour avoir une petite bibliothèque dans la classe, pour faire des impressions, etc.
Sam, enseignanteà franceinfo
Selon les documents de franceinfo a pu consulter, les demandes des "stylos rouges" portent aussi sur la "revalorisation" et la "reconnaissance" de leur métier, ainsi que sur les conditions de travail : "limitation du nombre d'élèves par classe", "arrêt des suppressions de postes", "reconnaissance du temps réel de travail" dont le travail "invisible" (réunions, préparation des cours…), "une médecine du travail", "la baisse de l'âge de départ à la retraite sans perte de pension", "une vraie mutuelle du travail"... Les enseignants en colère souhaitent aussi que les professeurs des écoles bénéficient des mêmes conditions de travail que les profs du second degré, qui peuvent faire des heures supplémentaires rémunérées, par exemple.
Sur Twitter, des profs partagent aussi leurs interrogations et leurs problèmes quotidiens, avec le mot-clé #stylosrouges. "Si les policiers méritent une prime parce qu'ils protègent les citoyens, n'en mérite-t-on pas une parce qu'on les forme ?" demande ainsi @SosoDany2, alors que les syndicats de police ont obtenu des augmentations de salaire après quelques jours de grève, en décembre.
Si les policiers méritent une prime parce qu'ils protègent les citoyens, n'en mérite-t-on pas une parce qu'on les forme? #stylosrouges
— Soso Dany (@SosoDany2) December 19, 2018
D'autres, comme @titmite, annoncent leur salaire, leur ancienneté et le nombre d'heures travaillées :
@cendram je suis professeur des écoles. J'ai pointé exactement 613,8 h depuis le 1er septembre. Je travaille à temps partiel, 77%, ma fiche de paie: 1699€, 15 ans d'ancienneté. Aucune heure sup payée #stylosrouges
— la titmite (@titmite) December 21, 2018
Quelles actions prévoient les "stylos rouges" ?
Les "stylos rouges" sont-ils prêts à descendre dans les rues comme les "gilets jaunes" ? Pour le moment, "tout est en discussion, nous nous sommes d'abord appliqués à mettre au point nos revendications", explique Julie, professeure des écoles dans les Yvelines. "Il y a aussi des groupes locaux qui se créent et qui mèneront sûrement leurs propres actions", ajoute-t-elle.
Certains se mobilisent déjà en organisant des réunions. A Lille, le journal La Voix du Nord y a par exemple assisté. "Les 'gilets jaunes' ont réussi à obtenir quelques avancées, même si ce ne sont que des miettes, explique au quotidien Grégory Benjamin, prof dans un collège. Aucune des décisions du gouvernement ne concerne les enseignants."
Quelle place laissent-ils aux syndicats ?
"Ce mouvement est détaché de toute appartenance politique et syndicale", précise le groupe Facebook. "Les mouvements proposés par les syndicats ne suffisent plus", constatent un peu plus loin les "stylos rouges". "Mais nous respectons les syndicats, il y a des personnes syndiquées parmi nous, et moi je vote pour mes représentants", assure Sam. Pour Julie, il s'agit surtout de rester "apolitiques". "On ne veut pas remplacer ou écarter les syndicats, ils nous représentent, mais on veut juste trouver un autre moyen de se faire entendre", insiste-t-elle. "Par ailleurs, aucun syndicat ne rassemble les enseignants du primaire et du secondaire", ajoute la prof des écoles. Pourtant, le SE-Unsa représente l'ensemble des enseignants et d'autres organisations sont rassemblées en fédérations, comme la FSU, afin de porter les revendications de leurs collègues du premier et second degré.
On ne ferme pas la porte aux syndicats, on essaie autre chose, en parallèle.
Samà franceinfo
Les organisations syndicales se sentent tout de même mises à l'écart. "On peut regretter que ça ne passe pas par les syndicats, parce que ces revendications sont portées depuis longtemps par les organisations", a par exemple déclaré Frédérique Rolet, secrétaire générale du syndicat Snes-FSU, interrogée par BFMTV. Sur Twitter, Amélie Hart-Hutasse, enseignante et militante du même syndicat, regrette également la mise à l'écart des organisations. "Dépasser les syndicats, c'est précisément la méthode du gouvernement", dénonce-t-elle. "Nos droits individuels et collectifs en tant que travailleurs ont été conquis par l'action syndicale et leur survie dépend de l'existence des syndicats", ajoute la militante.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.