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Témoignages Réforme des retraites : portraits de Français inquiets de ne pas pouvoir "profiter d'une retraite digne et sur une durée acceptable"

La réforme des retraites sera officiellement présentée la semaine du 10 janvier. franceinfo dresse le portrait de travailleurs soumis à des régimes différents.
Article rédigé par franceinfo - Louise Buyens
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
De gauche à droite : Catherine, hôtesse de caisse à Leers (Nord) - Benjamin, professeur d'histoire-géographie à Montreuil (Seine-Saint-Denis) - Hélène, graphiste indépendante au Mans (Sarthe) et Luc, agent dans la centrale nucléaire de Gravelines (Nord). (Louise Buyens / RADIO FRANCE)

"2023, sera l'année de la réforme des retraites", a prévenu Emmanuel Macron lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre. Le gouvernement doit présenter le texte le 10 janvier qui vise notamment à reculer l'âge légal de départ de 62 à 64 voire 65 ans. Selon l'institut de sondage Ifop, deux tiers des Français s'opposent à cette mesure. Catherine, Luc, Hélène et Benjamin exercent différentes professions, mais partagent la même inquiétude concernant cette réforme. Ils expliquent pourquoi à franceinfo. 

1 200 euros par mois à la retraite, "maigre consolation" pour Catherine

Quand Catherine traverse la galerie commerciale de la grande surface où elle travaille depuis 32 ans, à Leers (Nord), on dirait une star. "Bonjour madame, ça va bien ?" l'interpelle Monique. Cette cliente vient à sa caisse toutes les semaines parce qu'elle "est très gentille et on discute". 

Catherine est caissière dans une grande surface à Leers, une commune près de Lille dans le Nord. (LOUIS BUYENS / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Catherine a aussi tissé des liens avec ses collègues, dont Sarika. "On sera triste de ne plus travailler avec elle, elle va nous manquer notre petite Catherine". Mais la caissière de 59 ans perd son sourire contagieux quand elle réalise qu'elle va devoir travailler plus longtemps. "Ma retraite était prévue dans 10 mois, je comptais les jours et les semaines. Quand on apprend qu'on devra faire des années en plus, ça fait vraiment de la peine parce que j'avais beaucoup d'autres choses prévues pour les mois à venir." Elle se voyait déjà se rapprocher de sa fille et de ses petits-enfants dont un qui va bientôt naître. "J'aurais voulu la soutenir, mais malheureusement, ça va être compliqué si je dois faire un an de plus."

Grâce au dispositif "carrière longue", Catherine partira tout de même à la retraite plus tôt que d'autres salariés, à 61 ou 62 ans. Mais ces quelques mois supplémentaires sont douloureux moralement et physiquement, notamment à cause des horaires changeants. "On travaille trois matins et deux après-midi dans la semaine. Il y a le bruit et quand on passe les articles à la caisse, les épaules prennent aussi", détaille-t-elle.

Mais la caissière apprécie d'être assise. Pendant 26 ans, elle a travaillé, debout, dans les rayons froids du magasin. Des conditions de travail qui lui ont valu une opération des pieds. Pourtant, aucun critère de pénibilité n'est reconnu dans son emploi. Catherine touchera 1 200 euros par mois à la retraite, le montant minimum promis par le gouvernement pour une carrière complète. "Maigre consolation", dit-elle pour une vie entière à travailler.

 "On change mon contrat de travail en cours de route", dénonce Luc 

Luc Cauchy a les yeux clairs et rieurs, mais en ce moment, il n'a vraiment pas envie de rire. À 57 ans, il se préparait à partir en retraite dans quelques mois parce qu'il est affilié à un régime spécial. Il est agent dans la centrale nucléaire de Gravelines (Nord). Un poste où il fait les quarts. Autrement dit les 3×8. "Cela veut dire qu'on travaille sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il y a toujours quelqu'un présent pour gérer le réacteur nucléaire. Jour férié, week-end ou nuit, on ne fait même plus attention."

Luc Cauchy, 57 ans, agent dans la centrale nucléaire de Gravelines (Nord), en décembre 2022. (LOUIS BUYENS / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)


Luc a supporté ces conditions de travail difficiles pendant 29 ans. Puis, il y a quatre ans, il est passé – sur les conseils de son médecin – sur un poste de jour. "J'en étais arrivé à rentrer à 7h du matin et à me lever à 9h, je dormais 2 heures", raconte-t-il. Son train de vie a inquiété son épouse. "Elle m'a dit : 'Il faut que t'arrêtes, tu vas y laisser ta santé.'"

Aujourd'hui, il a une meilleure hygiène de vie, mais il subit encore les conséquences de ces années de vie en décalé. "Dès qu'on fait moins attention, on prend du poids, j'ai de la tension à cause de cela. Il y a eu des recherches disant que les gens qui font beaucoup de quarts perdent des années de vie. C'est la raison pour laquelle on nous avait octroyé le droit de partir en retraite avant", souligne-t-il.

Mais les régimes spéciaux n'échappent pas à la réforme des retraites. Le gouvernement entend conserver la possibilité de partir à la retraite plus tôt, mais avec un âge de départ rallongé de trois ans. Cette mesure, si elle était adoptée, serait complètement injuste, dénonce Luc. "J'étais d'accord d'avoir un salaire moins élevé que dans le privé parce que cela me permettait de gagner des années sur ma retraite. Sauf qu'on me change mon contrat de travail en cours de route et ce n'est pas très normal. On a l'impression de se faire rouler dans la farine par des gens qui ne connaissent même pas ce qu'on fait."

Le quinquagénaire imagine déjà retraite. "J'ai envie de m'occuper un peu plus de ma famille, d'être plus présent parce que malheureusement, je n'étais pas toujours là. J'ai passé des Noël au travail au lieu d'être avec la famille". Ces moments sont encore plus précieux depuis qu'il est devenu grand-père. Luc veut aussi faire du vélo, des sports de combat, si sa santé lui permet.

"A 67 ans, on n'est plus autant créatifs", s'inquiète Hélène

La paperasse, Hélène n'aime pas trop ça. Alors la retraite, du haut de ses 42 ans, elle ne s'y était jamais intéressée, jusqu'à ce qu'elle entende parler de la réforme. "J'ai imprimé le document 'info retraites' et je vois que je peux partir à 67 ans avec un taux plein ou à 62 ans, mais avec moins d'argent."

Hélène est graphiste à son compte depuis huit ans. À part des problèmes de vue, elle reconnaît que son travail n'est pas pénible, mais elle ne se voit pas faire ce métier aussi longtemps. "À 67 ans, on n'est plus autant créatif, on n'a pas la fougue qu'ont les jeunes qui sortent d'école et c'est problématique quand on fait ce genre de métier", explique-t-elle. Puis, la quadragénaire a du mal à accepter de devoir travailler plus longtemps pour au final "toucher 955,41 euros bruts, à 67 ans".

Hélène, graphiste indépendante au Mans (Sarthe), en janvier 2023. (LOUIS BUYENS / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Son mari est aussi à son compte. Il est propriétaire d'une brasserie. Heureusement, le couple pourra compter sur le loyer d'un appartement acheté en région parisienne et le crédit de leur maison au Mans (Sarthe) sera entièrement remboursé quand ils arrêteront de travailler. Mais avant cela, il reste des inconnues : que vont faire leurs enfants de 11 et 14 ans ? Vont-ils faire de longues études ? Hélène commence à y réfléchir.

Elle envisage une reconversion, si elle ne parvient à se renouveler dans ce métier qu'elle aime. Mais "vers un projet qui nous convienne aussi". Elle se tournera peut-être vers l'enseignement. Elle veut prendre une décision avant de fêter ses 50 ans. "Je pense qu'après, ce sera plus difficile. Il faut de toute façon travailler sur l'intégration des seniors. Je pense que beaucoup sont prêts et ont l'énergie pour ça aussi donc il faut vraiment le faire avec les seniors", plaide-t-elle.

Le gouvernement prévoit justement d'insister sur l'emploi des seniors, estimant que c'est une condition essentielle à la réussite de la réforme des retraites. L'exécutif veut obliger les entreprises à publier un index de leurs salariés âgés, avec une pénalité pour celles qui refuseront de jouer le jeu. 

Benjamin veut profiter "d'une retraite digne et sur une durée acceptable"

Le père de Benjamin Marol était enseignant également. Il est décédé quatre ans après avoir pris sa retraite, à l'âge de 66 ans, sans avoir eu le temps de couler des jours heureux en dehors d'une salle de classe. Cette histoire, le quadragénaire la raconte le cœur serré et avec une pointe de colère depuis qu'il sait qu'il devra travailler plus longtemps, si la réforme des retraites, telle qu'annoncée, est adoptée. "Normalement, je dois partir à 67 ans, mais peut-être beaucoup plus si la durée de cotisation est rallongée, si les conditions pour obtenir une retraite à taux plein changent".

Benjamin Marol, professeur d'histoire-géographie à Montreuil (Seine-Saint-Denis); (LOUIS BUYENS / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"Ce qui m'embête le plus, c'est d'avoir travaillé toute sa vie et qu'on ne puisse pas profiter d'une retraite digne et sur une durée acceptable", ajoute le professeur d'histoire-géographie. À 45 ans, il sent déjà la fatigue après vingt années passées devant des élèves pas toujours faciles. Il enseigne depuis quinze ans dans un collège de Montreuil (Seine-Saint-Denis).

L'établissement est en zone d'éducation prioritaire renforcée, ce qui "exige un niveau d'implication très élevé. Puis, il y a le niveau sonore, le niveau de violence des échanges entre les élèves, la tension en classe. Quand on finit une semaine de cours, on est vraiment excessivement fatigué. Quand on est en vacances, on commence par dormir trois jours", raconte-t-il. Mais les jours suivants, impossible d'appuyer sur pause. "En vacances, on travaille quelques jours, forcément". Il peut prendre par exemple, trois ou quatre jours pour corriger les copies.

Il ne voit pas comment il trouvera cette énergie jusqu'à la retraite, d'autant plus qu'il estime que la réforme est totalement injuste. "Elle n'est pas faite pour assurer la viabilité du système. Elle est faite pour dégager des sommes d'argent qui vont être réutilisées pour financer d'autres mesures qui n'ont rien à voir avec le bien-être des concitoyens." Benjamin a bien l'intention de descendre dans la rue pour dire sa colère et défendre un modèle de retraite solidaire. Un modèle dont il aimerait que ses trois enfants puissent profiter un jour.

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