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Réforme des retraites : pourquoi le Conseil constitutionnel risque de rejeter la seconde demande de référendum d'initiative partagée

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
La façade du Conseil constitutionnel, le 24 avril 2023 à Paris. (MAGALI COHEN / HANS LUCAS / AFP)
Des parlementaires de gauche et du centre ont déposé, pour la deuxième fois, une demande visant à organiser un référendum pour limiter l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans. Le Conseil constitutionnel doit se prononcer mercredi.

La réforme des retraites pourrait-elle ne pas entrer en vigueur ? Le Conseil constitutionnel doit se prononcer, mercredi 3 mai, en fin de journée, sur une deuxième demande de référendum d'initiative partagée (RIP) sur le dossier des retraites. Objectif : s'opposer à la très contestée réforme reportant l'âge légal de départ de 62 à 64 ans, promulguée par Emmanuel Macron le 15 avril. Introduit dans la réforme constitutionnelle de 2008 et encadré par l'article 11 de la Constitution, le RIP est un dispositif qui prévoit la possibilité d'organiser une consultation populaire sur une proposition de loi. Pour être jugé recevable par le Conseil constitutionnel, le texte doit notamment relever de "l'organisation des pouvoirs publics", de "réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent" ou de "la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions".

Un texte légèrement remanié

Une première demande de référendum d'initiative partagée, déposée par des parlementaires de la gauche et du centre le 20 mars, souhaitait soumettre au vote la proposition visant "à affirmer que l'âge légal de départ à la retraite ne [pouvait] être fixé au-delà de 62 ans". S'il s'agissait bien d'une proposition relative à la politique économique et sociale, le Conseil constitutionnel a considéré, le 14 avril, que ce texte ne relevait pas d'un "changement de l'état du droit", c'est-à-dire d'une réforme. Au moment où cette demande avait été formulée, l'âge légal de départ à la retraite était en effet toujours de 62 ans. Le texte revenait donc à maintenir le statu quo, et non à modifier le droit existant.

Anticipant l'échec de leur première demande, les élus ont formulé, avant la promulgation de la réforme, une deuxième proposition visant à limiter l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans. Son titre et son premier article sont quasiment identiques à ceux de la précédente proposition. Cette fois, les rédacteurs du texte ont néanmoins ajouté un second article, relatif au financement du système de retraites. L'article 2 relève le taux de la CSG à 19,2% sur les revenus du capital (les plus-values sur les titres, les rachats d'actions et les dividendes), et affecte ce bénéfice à la branche "vieillesse" de la Sécurité sociale. Grâce à cette modification du financement du système de retraites, cette nouvelle proposition comporte donc "un élément de réforme", avait estimé le sénateur socialiste Patrick Kanner auprès de l'AFP.

Impossible de censurer partiellement

Pourtant, le feu vert du Conseil constitutionnel est loin d'être gagné, notent plusieurs constitutionnalistes interrogés par franceinfo. "Ça me semble mal embarqué, avance Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public à l'université de Nanterre. La première proposition de loi ne constituait pas une réforme au sens de l'article 11 de la Constitution."

"Si on suit la logique du Conseil constitutionnel, et puisque la nouvelle formulation de l'article premier est quasiment identique, on va retomber sur le même problème."

Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public à l'université de Nanterre

à franceinfo

Quand bien même l'article 2 apporterait un élément de réforme, le Conseil constitutionnel pourrait "considérer que, puisque le premier article de la proposition est inconstitutionnel, l'ensemble de la proposition l'est", relève Thibaud Mulier. Lors de l'examen du RIP pour garantir un accès universel à l'hôpital public, en août 2021, une seule disposition jugée inconstitutionnelle avait ainsi conduit le Conseil constitutionnel à rejeter le texte dans son ensemble, sans même "se prononcer sur la conformité à la Constitution de ses autres dispositions". 

Lorsque le Conseil constitutionnel vérifie la constitutionnalité des lois ordinaires, il peut n'en censurer qu'une partie. Ce fut le cas pour la réforme des retraites, qui a été promulguée, à l'exception de certaines dispositions retoquées comme l'index senior. Mais la logique est différente pour un référendum d'initiative partagée.

"Dans le cas d'un référendum, modifier la proposition de loi en déclarant qu'une de ses dispositions n'est pas conforme reviendrait à ne pas poser la même question aux électeurs."

Lauréline Fontaine, professeure de droit public et constitutionnel à l'université Sorbonne Nouvelle

à franceinfo

Quand bien même le Conseil constitutionnel trancherait au regard de l'ensemble du texte, et non en prenant les articles individuellement, il n'est toujours pas certain que la nouvelle proposition soit considérée comme une réforme.

D'autres conditions à remplir

En octobre 2022, le Conseil constitutionnel a en effet rejeté la demande de RIP sur l'instauration d'une contribution portant sur les "superprofits" des grandes entreprises au titre que le texte proposé "se bornait à augmenter le niveau de l'imposition existante des bénéfices de certaines sociétés". "Le Conseil constitutionnel a précisément dit que la taxation n'était pas, en soi, une réforme, note Lauréline Fontaine. Il pourrait donc tout à fait redire la même chose cette fois-ci." Thibaud Mulier a toutefois une interprétation différente : "Une mesure fiscale peut constituer une réforme pour le Conseil constitutionnel à condition que son impact sur la fiscalité et sur les finances de l'Etat soit suffisamment important."

Si le Conseil constitutionnel venait néanmoins à valider la demande de RIP, ce dernier pourrait tout de même ne pas voir le jour. Il faudrait encore que 4,88 millions d'électeurs (soit 10% de la population électorale) y apportent leur soutien en neuf mois, et que l'Assemblée nationale comme le Sénat refusent de se saisir de la proposition de loi durant les six mois suivants, pour qu'Emmanuel Macron soit tenu d'organiser la consultation citoyenne. Au regard du nombre de conditions à respecter, aucun référendum d'initiative partagée n'a abouti depuis son introduction dans la Constitution en 2008. Pour rendre cet outil plus opérant, les députés du groupe Liot ont d'ailleurs déposé, mi-avril, une proposition de loi pour en simplifier la procédure.

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