Réforme des retraites : à un mois de l'entrée en vigueur de la loi, la Caisse nationale d'assurance vieillesse face au défi de la préparation dans "un délai resserré"

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
La Caisse nationale d'assurance vieillesse et ses agents se préparent à l'entrée en vigueur de la réforme des retraites, le 1er septembre 2023. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
L'organisme de la Sécurité sociale, auquel sont affiliés les actifs et retraités du régime général, doit être opérationnel pour le 1er septembre. Un challenge qui inquiète les syndicats et agents interrogés par franceinfo.

"Nous serons prêts pour le 1er septembre." A un mois de la mise en œuvre de la réforme des retraites, le directeur général de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), Renaud Villard, se montre serein. L'organisme de la Sécurité sociale, qui représente les 38 millions de personnes affiliées au régime général, dont 15 millions de retraités, est pourtant confronté à un défi de taille pour mettre à jour son système de traitement de dossiers à temps et former ses agents à la nouvelle législation. Un challenge d'autant plus grand que, depuis la promulgation de la loi en avril, les 31 textes d'application de la réforme paraissent au compte-gouttes.

Les deux décrets les plus attendus, sur le recul progressif de l'âge légal de départ de 62 à 64 ans et sur les départs anticipés notamment pour carrière longue, ont été publiés dès le 4 juin. Ceux qui entérinent la suppression des principaux régimes spéciaux sont parus dimanche au Journal officiel. La majorité des autres décrets doivent être rendus publics dans le courant de l'été.

De "gros chantiers" en cours

"Nous attendons prioritairement celui sur la retraite progressive et celui sur la revalorisation des petites pensions", détaille Renaud Villard. "On est bien dans les délais, je ne suis pas inquiet, ils sortiront avant le 31 août", rassure-t-il. Une minorité de décrets devrait toutefois voir le jour après le 1er septembre, selon le calendrier prévisionnel disponible au Journal officiel. Le texte encadrant les trimestres supplémentaires accordés aux sapeurs-pompiers volontaires ne devrait, par exemple, être publié qu'en novembre.

"Le délai est resserré, mais c'est jouable", insiste Renaud Villard, qui exclut toute difficulté ou retard dans les paiements des premières pensions concernées par la réforme. Depuis mi-juillet, les logiciels informatiques de la Cnav ont été mis à jour pour prendre en compte les principaux changements paramétriques : l'évolution de l'âge légal et de la durée de cotisation requise, ainsi que les conditions de retraite anticipée au titre d'une carrière longue.

"Le système d'information est conforme et les premiers dossiers concernés par la réforme ont été instruits le 12 juillet."

Renaud Villard, directeur général de la Cnav

à franceinfo

Si l'"essentiel" est opérationnel, selon lui, plusieurs "gros chantiers sont encore en cours". L'un d'eux porte sur la revalorisation de la pension minimum pour les futurs retraités et quelque 1,8 million de retraités actuels. Or, ces derniers ne percevront pas tous ce coup de pouce dès les premiers paiements, qui doivent intervenir début octobre. Car si les services de la Cnav disposent déjà de toutes les informations nécessaires dans leurs systèmes pour les plus jeunes retraités, la "reconstitution des carrières" sera plus fastidieuse pour ceux partis "avant 2012" et pour lesquels les données sont "plus fragmentaires", développe Renaud Villard. Pour ces profils, "on est plutôt sur un horizon à l'été 2024", planifie-t-il, avec un versement rétroactif des sommes dues.

L'autre chantier vise à transcrire les nouveaux droits introduits par la réforme, comme l'amélioration de la pension pour les bénéficiaires du cumul emploi-retraite ou encore la possibilité pour les orphelins de percevoir la pension de réversion de leurs parents. "Sur ce volet, on ne sera pas sur une puissance de feu informatique de pointe au 1er septembre, concède Renaud Villard, mais on pourra quand même calculer et mettre en paiement ces dossiers."

Les agents "naviguent à vue"

Du côté des syndicats, on ne partage pas "le positivisme du directeur général". "Les services informatiques, les services juridiques et les agents en charge du traitement des dossiers travaillent dans l'urgence. Ils naviguent à vue, avec la publication des décrets du jour au lendemain", déplore Florence Puget, secrétaire nationale de la CFDT Protection Sociale Travail et Emploi. "Tout le monde a envie que la mise en œuvre se passe bien, qu'elle puisse avoir lieu au 1er septembre, mais l'inquiétude gagne chez les salariés", appuie Karim El Hachmi, secrétaire général du syndicat Unsa Cnav.

"Le traitement des dossiers simples va fonctionner", juge Nathalie*, technicienne retraite en Ile-de-France, qui craint cependant que les carrières longues ne soient "lésées". "On a régulièrement des assurés qui nous disent qu'ils attendent l'attestation de carrière longue à transmettre à leur employeur, on est déjà en retard", témoigne cette agente, syndiquée, en charge du traitement des dossiers. "Les premiers assurés en carrière longue touchés par la réforme ne partiront pas dès septembre, mais plutôt vers décembre", temporise de son côté Renaud Villard, précisant que les attestations ont commencé à être délivrées courant juillet. Pour simplifier le travail des agents, un service en ligne permettant à l'assuré d'éditer ce document doit par ailleurs être mis en ligne "dans la deuxième quinzaine de novembre".

Une autre inquiétude est engendrée par la mise en place progressive d'un nouveau logiciel, baptisé Syrca, en cours de déploiement depuis plusieurs mois dans les agences de la Cnav et à l'échelon régional dans les Carsat. "Notre crainte, c'est de travailler en mode dégradé, avec des dossiers traités sur Syrca, d'autres dans l'ancien outil et d'autres manuellement", glisse Karim El Hachmi de l'Unsa Cnav. Un avis partagé par Guillaume Danard, secrétaire CFDT Sécurité sociale.

"La réforme arrive sur un nouveau logiciel qui dysfonctionne. Dans certaines Carsat, les agents reviennent parfois sur l'ancien logiciel de traitement pour aller plus vite."

Guillaume Danard, secrétaire CFDT Sécurité sociale

à franceinfo

"Avant la réforme, on était déjà dans les choux au niveau du traitement des dossiers", témoigne Constance*, employée de la Cnav en Ile-de-France. "Si on rajoute à cela de nouvelles règles à assimiler et le nouveau système informatique, tout ça va encore créer du retard", souffle-t-elle. "On part d'une situation où, sur les deux dernières années, on n'arrivait déjà plus à traiter les dossiers en temps et en heure", renchérit Guillaume Danard.

Les agents de la Cnav contactés par franceinfo s'interrogent en outre sur leur formation. "Même si la réforme ne remet pas tout en cause dans notre traitement de dossiers, ça nous déstabilise quand même", rapporte Constance. "On a eu un webinaire en juin, mais on n'a pas eu énormément d'informations compte tenu du manque de décrets", ajoute l'agente. Lors de la précédente réforme des retraites d'ampleur, en 2010, "on avait des notes beaucoup plus claires et précises", affirme quant à elle Nathalie.

"Sur le terrain, on sent que ça va être compliqué"

De son côté, Renaud Villard rappelle que les techniciens bénéficient d'une "formation longue", de 13 mois, à leur prise de poste, et qu'il n'est donc pas nécessaire de les "remettre sur les bancs de l'école" à l'occasion de cette réforme. Outre les séminaires en ligne, les agents "reçoivent régulièrement des fiches consignes pour leur expliquer l'évolution de la réglementation". "C'est une transformation beaucoup moins lourde que ce qu'il n'y paraît", poursuit-il, et "99% de la formation, sur la gestion des outils, les droits à la retraite et la carrière, reste la même". 

Les syndicats et agents contactés s'alarment aussi de la mise en place d'une réforme dans un contexte de "fatigue" des équipes et de "manque d'effectifs". "Sur le terrain, on sent que ça va être compliqué", confirme Constance. "On a de plus en plus de démissions, de burn out, d'arrêts maladies", ajoute Nathalie, qui gère "plus d'une centaine de dossiers d'assurés"

"L'épuisement professionnel est déjà important, notamment dans les secteurs où on traite les dossiers."

Karim El Hachmi, secrétaire général du syndicat Unsa Cnav

à franceinfo

Une expertise commandée en 2021 par le Comité social et économique auprès d'un cabinet spécialisé, révélée en mai par Politis et consultée par franceinfo, conclut à "un état de santé psychique et physique fortement dégradé chez les agents de la Cnav", "une fatigue assez généralisée", "voire parfois un épuisement". Interrogée à ce sujet, la direction assure être attentive "au moral des troupes" et défend la mise en place de "baromètres réguliers" sur la qualité de vie au travail. 

"On est clairement sur une période où l'activité est soutenue et qui appelle des renforts", reconnaît toutefois le directeur général. Recrutés en avril, 300 CDI viendront grossir les rangs des techniciens en charge des dossiers à l'issue de leur formation. "Et 200 CDI supplémentaires pourront être embauchés si la situation venait à être plus tendue", complète Renaud Villard. En outre, 200 CDD ont été recrutés alors que les appels sur les plateformes téléphoniques ont augmenté de "10 à 15%". 

"Depuis juin", Emma* observe que le rythme des sollicitations des assurés "a commencé à s'intensifier". Malgré des zones de flou sur l'application de la réforme, la téléconseillère en Ile-de-France, syndiquée, estime être globalement en mesure de les informer et de les orienter. "Pour l'instant, les assurés ont surtout des questions basiques : ils veulent savoir s'ils vont devoir faire des trimestres supplémentaires, mais ils n'entrent pas encore vraiment dans le détail", observe-t-elle. L'agente souligne aussi l'indulgence des assurés, qui "comprennent que le temps que les textes sortent, c'est parfois compliqué de leur apporter une réponse" sur un point spécifique. Une patience qui pourrait ne pas durer : "A partir du 1er septembre, ils risquent d'être moins compréhensifs", redoute-t-elle.

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressées.

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