: Reportage "Je ne compte pas m'arrêter là" : à Paris, les manifestants ne veulent pas abandonner la bataille contre la réforme des retraites
Une seule option pourrait satisfaire Xavier. "Ça serait le retrait pur et simple par le Conseil constitutionnel pour dysfonctionnement de la démocratie", pose cet ingénieur d'EDF. "Sinon, on continuera à être dans la lutte." A la veille de la décision des Sages sur la constitutionnalité de la réforme des retraites, franceinfo est allé à la rencontre des manifestants dans le cortège parisien. Malgré ces douze journées à battre le pavé, ils n'envisagent pas de baisser les bras.
Yeux clairs et casquette noire sur la tête, Xavier assure qu'il n'est pas épuisé par ces trois mois de mobilisation : "La fatigue, c'est de devoir travailler deux ans de plus." A 62 ans, il n'est pas concerné par la réforme, mais ça ne l'empêche pas "d'être de toutes les manifs". Douze jusqu'ici, et autant de journées de salaire en moins.
"On ne lâchera rien, on a perdu trop de jours de grève pour laisser tomber maintenant."
Xavier, ingénieur chez EDFà franceinfo
Syndiqué à la CGT, il craint tout de même une division de l'intersyndicale. "La semaine prochaine, il n'y aura peut-être plus la CFDT avec nous, mais ça ne nous empêchera pas de mener des actions", promet-il.
Pour Camille, 20 ans, l'heure est aussi au changement de méthode. "Tout ce qui est non violent ne fonctionne pas, le gouvernement fait tout pour nous amener à la radicalité", regrette la jeune femme. Mobilisée depuis début janvier, elle reconnaît que le mouvement est en perte de vitesse. "Mais la décision du Conseil constitutionnel va redonner un nouveau souffle à la mobilisation, comme avec 43.9", veut croire cette étudiante. "En tout cas, moi, je ne compte pas m'arrêter là !"
"Je pense que le peuple va se résigner"
Pour Sylvie, venue manifester avec des collègues, les chances que le Conseil constitutionnel retoque l'intégralité de la réforme sont faibles. "Vu sa composition, on n'en attend pas grand-chose", lance cette agente hospitalière en réanimation à l'hôpital de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). En charge du nettoyage des blocs opératoires, elle assure être épuisée par son travail : "Avec le manque de personnel, les lits qui ferment, je ne me vois pas travailler jusqu'à 64 ans." A quelques mois près, cette brune de 58 ans aurait pu échapper à la réforme. "Je dois partir en retraite dans 3 ans, mais avec la réforme, je devrais faire 2 ans de plus, c'est hors de question."
"S'il faut être encore des mois et des mois dans la rue, on ira."
Sylvie, agente hospitalièreà franceinfo
Pour pouvoir venir manifester ce jeudi, elle a échangé un jour au planning avec une collègue. "En tant qu'hospitalier, si je fais grève, je suis réquisitionnée donc ça a moins d'impact", explique-t-elle. Elle pense aussi à ceux qui "ne peuvent pas venir parce que la grève pèse trop sur leur salaire".
Malgré ses 16 ans, Sofia est aussi consciente des difficultés financières des grévistes. "Même nos profs nous ont dit : 'On a fait grève encore et encore, mais on ne peut plus'. Je les comprends, ils ont aussi une famille à nourrir." La lycéenne, qui vient pourtant de bloquer son établissement à l'aide de poubelles, avant de "décaler en manif" avec ses camarades, a peu d'espoir. "Le gouvernement aurait déjà dû agir bien avant, là, je pense que le peuple va se résigner", regrette-t-elle.
"Il faudrait une réelle situation de crise"
Mikaty, 70 ans et retraité, veut encore y croire, pour ses enfants, petits-enfants et pour tous les autres, dit-il. "Si je vous dis qu'aujourd'hui, c'est la dernière grande manif, ça veut dire que je baisse les bras, et ce n'est pas dans mes habitudes", raconte cet ancien cadre dans l'informatique. "Mais, en effet, il va falloir trouver d'autres moyens." Il espère voir bientôt un pays à l'arrêt. "Il faudrait une réelle situation de crise, des blocages, estime cet ancien "gilet jaune". Là, il y a des gens qui vont faire du shopping à Opéra sans être concernés par la manifestation juste à côté."
Habitué des longues grèves, Ledge, ouvrier dans la climatisation à la SNCF, ne voit pas le mouvement s'éteindre après la décision de Conseil constitutionnel demain. "Le gouvernement espère qu'il s'agit de la dernière grosse manifestation", analyse-t-il. Venu manifester ce jeudi avec des collègues, il l'assure, il est encore prêt pour la grève générale.
"Demain, on va constater que le Conseil constitutionnel va censurer le texte à la marge et du coup, on va rester mécontents. A la prochaine goutte d'eau ça va à nouveau déborder, par exemple s'ils n'autorisent pas le RIP."
Ledge, 52 ans, ouvrier à la SNCFà franceinfo
Si elle est validée, la demande de référendum d'initiative partagée (RIP), qui vise à soumettre à une consultation nationale une proposition de loi afin que l'âge de départ à la retraite ne puisse pas dépasser 62 ans, devra réunir au moins 4,8 millions de signatures. "Tous les moyens d'action sont bons, il faut utiliser la moindre occasion pour discuter et mobiliser contre la réforme", estime Ledge. Comme lui, la plupart des manifestants interrogés par franceinfo n'ont pas l'intention d'abandonner. Xavier, rencontré au début de l'après-midi, promet qu'il ne perdra pas espoir : "Le plus facile dans la vie, c'est de baisser les bras. Et ce n'est pas dans ma nature."
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