Cet article date de plus de deux ans.

Reportage Logement : à la recherche de la chaleur perdue (avec une caméra thermique)

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Une "balade thermographique" à Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher), le 24 février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

A Saint-Laurent-Nouan, dans le Loir-et-Cher, une "balade thermographique" a été organisée pour promouvoir la rénovation énergétique des logements et redonner confiance aux habitants face aux démarchages intempestifs.

Cet article fait partie de notre opération "Les focus de franceinfo", qui met en avant des sujets-clés peu traités dans la campagne présidentielle : le coût du logement, la crise de l'hôpital public, le tabou de la santé mentale et l'empreinte carbone des transports.


Le rendez-vous a été fixé à 18 heures. Dehors, le soleil commence à décliner, jeudi 24 février, et le thermomètre affiche 7 °C. Une douzaine d'habitants de Saint-Laurent-Nouan, petite commune du Loir-et-Cher, ont répondu à l'appel. L'âge moyen est d'une cinquantaine d'années. "C'est parti, on y va !", lance Jérémy Lambert, 26 ans, en jean slim et baskets. Tout le monde enfile un gilet jaune et commence à suivre le jeune conseiller énergétique, armé de sa drôle de machine aux allures de pistolet laser : une caméra thermique.

Jérémy Lambert, conseiller énergétique à Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher), le 24 février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Après quelques mètres de marche seulement, le meneur du groupe s'arrête devant une belle maison aux murs blancs et au toit en ardoise. Jérémy Lambert dégaine sa caméra, vise le mur, ajuste les réglages et montre le résultat qui s'affiche sur l'écran de la machine : la maison est désormais principalement violette, signe d'une température extérieure froide, à l'exception du coffrage des volets roulants d'une fenêtre, en jaune, signe d'une chaleur plus importante. "On voit ici les défauts d'isolation", note le conseiller. Sans même déranger les habitants de la maison, les déperditions de chaleur de leur foyer sont visibles par tous.

L'isolation d'une maison à Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher), le 24 février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

C'est tout l'objectif de cette "balade thermographique" organisée par la petite ville de Saint-Laurent-Nouan. L'animation permet de rendre le gaspillage énergétique visible et concret, avec l'appui de l'Agence départementale d'information sur le logement du Loir-et-Cher (Adil 41) et de la Maison de l'habitat de la communauté de communes Grand Chambord-Beauce Val de Loire.

Une facture bimestrielle de 900 euros

"Mon espoir est de savoir enfin où l'on perd de l'énergie dans ma maison", explique Jérôme, habitant de la commune depuis une vingtaine d'années. Le quadragénaire barbu a déjà relevé ses manches pour rénover une partie de son logement et a récemment changé le ballon d'eau chaude. Mais rien ne semble y faire. "Notre dernière facture d'électricité, c'est 900 euros pour deux mois, souffle-t-il. Le peu d'économie d'énergie que j'ai fait m'a seulement permis de limiter la hausse du prix de l'électricité..."

Jérôme, habitant de Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher), le 24 février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Comme pour Jérôme, les factures qui flambent sont souvent la porte d'entrée vers les projets de rénovation énergétique. "On essaye d'expliquer aux habitants : 'Vous avez beau avoir le meilleur système de chauffage au monde, si vous n'êtes pas bien isolés, cela va vous coûter très cher'", résume Julien Denis, animateur à la Maison de l'habitat Grand Chambord-Beauce Val de Loire. 

"On a des ménages qui sont arrivés avec une augmentation mensuelle de 100 euros sur leur facture de gaz."

Julien Denis, animateur à la Maison de l'habitat

à franceinfo

En parlant de facture, Michel et Brigitte ont également reçu une note salée durant l'hiver. "On avait rempli seulement la moitié de la cuve de fioul cet automne à cause du prix... mais c'était encore pire quelques mois plus tard", se désespère le couple qui habite dans un pavillon des années 1970. Chez eux, l'été est très chaud et l'hiver très froid. "Heureusement, on n'est pas frileux la nuit", glisse Brigitte. Mais les sexagénaires sont un peu perdus face aux travaux à entreprendre. "On n'a aucune idée de ce qu'il faudrait mettre comme chauffage et on ne sait pas vraiment ce qu'il y a dans nos murs", reconnaît le couple.

"C'est comme si vous mettiez un manteau"

Au fil de la balade, ils pourront constater par eux-mêmes les matériaux et les installations qui sont efficaces... et ceux qui le sont moins. "Là, on peut voir qu'il y a un radiateur sous la fenêtre et que le mur n'est pas bien isolé", montre un autre conseiller, Ulrish Bouala, en pointant la tache jaune qui apparaît sur la caméra thermique. Un peu plus loin, c'est un mur porteur et un plancher qui forment un pont thermique bien visible à l'écran. "C'est pour cela qu'on conseille d'isoler par l'extérieur, c'est comme si vous mettiez un manteau, ça couvre tout", ajoute son collègue, Jérémy Lambert.

L'isolation d'une habitation à Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher), le 24 février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Le long de la route, quelques automobilistes ralentissent pour observer leurs voisins agglutinés dans le froid, les yeux rivés sur un mur en moellons sans charme. "Des maisons qui ont un siècle sont mieux isolés que celles construites il y a 30 ans", s'exclame un habitant face à un petit pavillon en piteux état.

Un peu plus loin, ce sont les logements des pompiers qui sont scannés. A l'image, les habitants observent une perte de chaleur importante tout le long du conduit de cheminée du vieil immeuble.

Les logements des pompiers à Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher), le 24 février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

"La mairie n'est pas très bien isolée"

La petite troupe arrive ensuite devant la mairie de Saint-Laurent-Nouan. En fin de cortège, l'élu de la ville retient son souffle. La caméra thermique est pointée sur le bâtiment cossu du XIXe siècle. Ouf, rien à signaler. "Pourtant, la mairie n'est pas très bien isolée", reconnaît Jacky Hernandez, adjoint au maire en charge des travaux. Une enveloppe a justement été débloquée dans le budget de l'année pour y remédier au plus vite.

Il faut dire que la commune veut absolument montrer l'exemple en termes de rénovation énergétique. "Les collectivités sont très impliquées dans la réduction de leur impact carbone", assure Jacky Hernandez, fine barbe et lunette bleues sur le nez. L'élu pointe du doigt le centre culturel de la ville, à la déco qui fleure bon les années 1980. "On s'est surtout occupés de l'enveloppe et du chauffage", explique-t-il. Et pour preuve : un coup de caméra thermique sur le carrelage laisse apparaître de longs fils rouges. "C'est le chauffage au sol que l'on a fait installer", se réjouit Jacky Hernandez.

Une "balade thermographique" à Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher), le 24 février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Entre le centre technique et les salle communales, la liste des projets de rénovation énergétique de la ville est longue. La nouvelle équipe municipale, élue en 2020, a déjà lancé le remplacement d'une bonne partie des 2 000 lampadaires de la commune par de l'éclairage LED. "Le gain est quasiment immédiat", se félicite l'adjoint au maire. Une économie bienvenue alors que la centrale nucléaire installée le long de la Loire ne permet plus, comme il y a quelques années, de toucher une ristourne sur le prix de l'électricité, ni même de chauffer certains bâtiments municipaux avec son eau chaude.

"On est harcelés toute la journée"

Et si la balade nocturne n'a pas fait de détour vers les gros réacteurs installés sur la commune depuis 1969, certains habitants connaissent bien le site. C'est le cas de Bernard et Chantal. Bras dessus, bras dessous, les octogénaires sont tous les deux des anciens de la centrale nucléaire. Alors, même s'ils profitent de tarifs préférentiels sur l'électricité, pas question de laisser leur maison devenir une passoire thermique. "J'aimerais bien savoir si ma laine de verre n'est pas tombée depuis le temps", explique Bernard en voyant la caméra thermique déshabiller l'isolation des maisons du quartier.

Une maison mal isolée à Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher), le 24 février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Surtout, le couple souhaite avoir un avis objectif sur la performance énergétique de leur pavillon, qu'ils ont construit en 1976. "A force de recevoir des coups de fil tous les jours pour nous vendre un diagnostic, on s'est dit qu'il fallait qu'on le fasse. Mais sûrement pas avec ces démarcheurs", explique Chantal, passablement agacée par ces appels intempestifs.

Et ils ne sont pas les seuls. "On est harcelés toute la journée", souffle Frédéric, qui a vu sa facture s'alourdir avec le télétravail. "Là, ils n'ont rien à nous vendre et ça change tout", se réjouit le quadragénaire.

Ulrish Bouala, conseiller énergétique de l'ADIL 41 à Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher), le 24 février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Les conseillers énergétiques qui encadrent la balade sont effectivement tous embauchés par des collectivités ou l'association Adil. "Nos conseils sont neutres, objectifs et gratuits", résume Jérémy Lambert. "Même si vous vous déplacez à notre domicile ?", interroge, dubitatif, un jeune habitant de la commune. "Oui !", répondent en chœur les conseillers.

"Ces dernières années, tout le monde a reçu des appels incessants d'entreprises qui veulent tout refaire pour rien du tout. Beaucoup se sont fait arnaquer. On cherche à recréer de la confiance."

Julien Denis, animateur à la Maison de l'habitat

à franceinfo

Au fil de la balade, les encadrants donnent même quelques astuces pour éviter les arnaques. "A votre avis, pourquoi ce mur est d'une couleur différente sur cette zone-là ?", interroge Ulrish Bouala devant la tranche d'une maison. "Un radiateur ?", répond une habitante. "Non, en réalité, c'est simplement que l'enduit du mur est plus lisse et fausse le résultat de la caméra. On ne peut pas en déduire qu'il y a un manque d'isolation ici, mais c'est une technique très souvent utilisée par les démarcheurs", met en garde le jeune homme. "Quand on vous montre un cliché, il faut être vigilant", renchérit Jérémy Lambert.

L'isolation d'une maison à Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher), le 24 février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Plus de 5 000 demandes par an

Après ces bons conseils, la déambulation se termine, au chaud, dans le centre culturel de la ville. Reste à discuter du nerf de la guerre : le financement de ces travaux, dont l'utilité n'est plus à démontrer pour ces habitants. "Les gens sont intéressés par la rénovation énergétique mais les aides sont souvent complexes à obtenir", reconnaît Jacky Hernandez.

"On sent que les mentalités changent, mais il faut associer les habitants à la rénovation énergétique."

Jacky Hernandez, adjoint à la mairie de Saint-Laurent-Nouan

à franceinfo

Ce soir-là, tous les acteurs du logement sont rassemblés pour ouvrir une porte d'entrée unique vers ces subventions. A peine assis, les habitants sortent stylos et calepins pour noter les précieux conseils. "On accompagne tout le monde", résume Julien Denis, de la Maison de l'habitat. Le suivi se veut local et personnalisé. "On peut les aider jusqu'aux démarches en ligne, car ce n'est pas évident pour ceux qui ont des difficultés avec l'informatique", note le jeune animateur.

L'intiative semble plaire aux habitants. "On a environ 5 000 à 6 000 demandes par an", calcule la directrice de l'Adil 41, Maryline Thuault. Elle a même dû renforcer le nombre de conseillers énergétiques pour faire face aux sollicitations. La rançon du succès ? "Certains démarcheurs se font même passer pour nous au téléphone maintenant...", souffle un animateur.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.