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Pourquoi la France est devenue la bête noire d'une partie du monde musulman

Depuis la publication du dernier numéro de "Charlie Hebdo", dont la une représente une nouvelle fois Mahomet, des centaines de milliers de musulmans dans le monde ont manifesté, parfois très violemment, contre la France. 

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des manifestants brûlent un drapeau français lors d'un défilé anti-Charlie Hebdo à Peshawar (Pakistan), le 19 janvier 2015. (A. MAJEED / AFP)

Au Pakistan, au Niger, en Tchétchénie, au Koweït ou à Gaza, on est loin de "l'esprit du 11 janvier" unanimement loué par le gouvernement français. Quelques jours après l'attentat qui a visé Charlie Hebdo, la publication dans le nouveau numéro de l'hebdomadaire d'un dessin satirique représentant le prophète Mahomet a déclenché de violentes manifestations dans de nombreux pays musulmans.

Si les pancartes vilipendent avant tout le journal, les drapeaux français et les portraits de François Hollande brûlés révèlent un puissant sentiment antifrançais, disséminé bien au-delà de la sphère jihadiste.

Francetv info se penche sur les raisons pour lesquelles la France est devenue persona non grata dans une bonne partie du monde musulman.

Parce sa politique est pointée du doigt

Depuis plus de cinq ans, les griefs des islamistes radicaux contre la France sont allés crescendo. L'interdiction du voile intégral, votée en 2010, est ainsi fréquemment dénoncée par les extrémistes comme une "humiliation des musulmans", malgré le rappel de la légalité de ce texte par la Cour européenne des droits de l'homme en juillet dernier.

Les décisions prises par les autorités françaises sur le plan international ont également entraîné la France dans des conflits la mettant aux prises avec l'islam radical. L'appui aérien en Libye en 2011, l'opération Serval au Mali en janvier 2013, le leadership de la menace d'une intervention en Syrie en août de la même année, puis le bombardement des positions des jihadistes de l'Etat islamique en Irak en 2014 ont exposé les militaires et les intérêts français à une riposte.

Parce qu'elle s'est attaquée à Mahomet

Mais jusque-là, la France n'était pointée du doigt que par les musulmans les plus radicaux. Le soutien apporté à Charlie Hebdo après l'attaque meurtrière qui a visé le journal et la publication d'une nouvelle caricature de Mahomet ont fait basculer de nombreux musulmans dans la dénonciation de l'attitude de l'hebdomadaire et, avec lui, de la France.

Bien que la façon de représenter ou pas Mahomet diffère selon les formes d'islam pratiqué, les slogans étaient les mêmes dans les manifestations de Téhéran, de Grozny, de Koweït City, de Gaza ou de Niamey : "Nous défendons le prophète", "A bas la France !" "A bas Charlie Hebdo !"

Un message partagé par les autorités de ces pays : "Dans l'ensemble des pays musulmans, l'attitude des gouvernements a été la même, analyse Karim Pakzad, chercheur à l'Institut de recherches internationales et stratégiques (Iris). Tous ont condamné la mort des dessinateurs de Charlie Hebdo et l'usage de la violence, mais tous ont également dénoncé la provocation du journal. Même en Iran, où le chiisme permet de représenter Mahomet, la caricature n'est pas acceptable."

Parce qu'elle paye son passé colonialiste

Au Niger, la colère contre les caricatures du prophète de l'islam a provoqué des émeutes qui ont fait dix morts, 128 blessés et entraîné le pillage et la destruction de dizaines d'églises et du Centre culturel franco-nigérien de Zinder, dans le sud du pays.

Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l'Afrique et ancien directeur de La Lettre du continentn'est pas étonné par cette éruption de violence dans cette ancienne colonie française, réputée amie de la France : "C'est un leurre de penser que le Niger est toujours proche de la France. On l'a vu en 2013, lors des manifestations hostiles à Areva, pendant la renégociation des tarifs de l'uranium nigérien. Les jeunes, qui n'ont pas connu la Françafrique entre 1960 et 1990, sont très antifrançais. Non seulement ils ont du mal à obtenir des visas pour venir en France, mais ils ne comprennent pas non plus la forte présence de militaires français chez eux. Une présence d'autant plus incomprise que l'aide au développement, elle, n'a cessé de diminuer depuis vingt ans."

Pour l'auteur d'Africafrance (Fayard), "en tant qu'ancienne puissance coloniale, la France va être confrontée aux sentiments irrationnels d'une population prête à la menacer, y compris pour des prétextes religieux".

Parce que des partis politiques ont sauté sur l'occasion

Ce caractère fédérateur de la défense du prophète a incité certains partis politiques à soutenir et à amplifier les manifestations, notamment en Tchétchénie et surtout au Pakistan, où le blasphème peut être puni de mort : "Le Pakistan est un pays qui a été fondé pour les musulmans, explique Karim Pakzad. La défense du prophète y est une cause majeure. Mais des partis islamistes d'opposition, comme le Jamiat-e-Islami ou le Jamiat Ulema-e-Islam, profitent de la situation pour créer des troubles et dire 'Regardez, nous défendons ceux qui ont défendu le prophète, alors que le gouvernement les condamne'".

Au Niger aussi, des partis d'opposition, notamment membres de l’Alliance pour la réconciliation, la démocratie et la République (ARDR) d'après Libération, ont manifesté dimanche contre Charlie Hebdo. Leur objectif, à un an de l'élection présidentielle, est de discréditer le président Mahamadou Issoufou, présent à la marche républicaine à Paris le 11 janvier : "L'opposition va insister sur le fait qu'Issoufou est un ami personnel, et de longue date, de François Hollande pour le disqualifier", analyse Antoine Glaser.

Parce qu'elle paye pour tout l'Occident

Antoine Glaser souligne que, dans le sillage de Boko Haram, la secte islamiste qui sévit dans le nord du Nigeria voisin, les idées favorables à l'islam radical se diffusent facilement dans le sud du Niger, où l'ethnie haoussa domine des deux côtés de la frontière. "Ces régions ont été abandonnées par le pouvoir. Ce sont les associations islamiques qui ont pris le relais. Or la population ne pense qu'à sa survie. Aujourd'hui, sous l'influence des extrémistes, ces Nigériens voient la France comme un 'symbole du monde occidental qui veut nous imposer ses valeurs'."

Ce n'est donc pas spécifiquement la France qui est visée par les islamistes, mais la France en tant que représentante des pays occidentaux. "Il n'y a pas d'hostilité contre la France au Pakistan, affirme Karim Pakzad. Si le drapeau français y a été brûlé ce week-end, c'est uniquement à cause des caricatures de Charlie Hebdo. Si ce journal avait été anglais, c'est le drapeau britannique qui aurait été brûlé. Seuls les Etats-Unis sont détestés par la très grande majorité des Pakistanais, même quand ils aident financièrement le pays."

Le chercheur spécialiste de l'Afghanistan et du Pakistan assure que, vis-à-vis de la France, "la situation va se calmer si on privilégie la voie du dialogue avec les élites éclairées qui sauront apaiser les choses". Mais il lance un avertissement : "Il ne faut pas aller plus loin dans la provocation, car les fous sont toujours capables d'agir partout."

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