Après Hadopi, la loi Loppsi II soulève l'inquiétude d'internautes et de politiques
Pour ses détracteurs, plusieurs dispositions de la Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dite Loppsi II) menacent la liberté du Net.
Parmi les articles incriminés, ceux qui créent un délit d'usurpation d'identité sur Internet : "Le fait de faire usage, de manière réitérée, sur un réseau de communications électroniques, de l"identité d"un tiers ou de données qui lui sont personnelles, en vue de troubler la tranquillité de cette personne ou d"autrui, est puni d"un an d"emprisonnement et de 15 000 € d"amende". "Est puni de la même peine le fait de faire usage, sur un réseau de communications électroniques, de l"identité d"un tiers ou de données qui lui sont personnelles, en vue de porter atteinte à son honneur ou à sa considération. » Voilà qui pourrait éventuellement sanctionner les détournements parodiques en vogue sur la Toile et les réseaux sociaux.
Mais le plus controversé reste sans doute l'article qui oblige les fournisseurs d'accès à interdire la diffusion de certains sites (dont la liste sera communiquée par le ministère de l'intérieur), pour lutter contre la "pédopornographie".
L'amendement Tardy introduit le recours à l'autorité judiciaire
A l'initiative du député UMP Lionel Tardy (qui avait ferraillé contre Hadopi), l'article a été amendé en commission des lois. Il prévoit désormais que l'interdiction se fera "après accord de l'autorité judiciaire, conséquence logique de "la jurisprudence constitutionnelle" imposant " le passage par un juge pour toute restriction à l'accès à internet." Lionel Tardy a d'ailleurs rappelé que le projet de loi sur les jeux en ligne prévoyait dès le départ "le passage par l'autorité judiciaire pour le blocage de l'accès aux sites de jeux en ligne illégaux."
Le filtrage, une mesure déjà obsolète ?
L"amendement Tardy a été jugé "rassurant" par Jérémie Zimmerman, de la Quadrature du Net, même s"il souligne qu" "on n"est pas à l"abri d"un revirement en séance". Et de marteler l"argument de l"association "de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet": "la censure du Net ne permet pas de combattre la pédopornographie. Il faut attaquer le mal à la source : aux flux financiers".
Fabrice Epelboin, du site Readwriteweb, va plus loin et affirme, dans un article publié sur Rue89, que la Loppsi fera la fortune des réseaux de pornographie infantile, citant à l'appui un rapport dont il est l'auteur. Son argument-clé : les mafias qui s'enrichissent avec la pédopornographie ont plusieurs longueurs technologiques d'avance et se jouent des filtrages prévus par la loi. Elles seront, selon lui, les grandes bénéficiaires des censures prévues. Même écho du côté de la Quadrature du Net : d"un point de vue technique, la mesure prévue par Loppsi est déjà "obsolète".
Jérémie Zimmerman pointe en outre un risque de "surbloquage des sites" : «si on bloque l"adresse IP d"un site, on peut bloquer 10.000 sites." Que se passe-t-il alors, pour les sites injustement censurés ?
"On introduit des systèmes de contrôle du Net"
La députée européenne Sandrine Bélier (Europe Ecologie) s'insurge, elle aussi, contre les risques de dérive. Elle dit avoir été alertée par des textes précédents ( HADOPI) et à venir (notamment l"ACTA : "Anti-counterfeiting trade agreement", accord international sur le droit d'auteur et la propriété intellectuelle, actuellement en discussion entre une dizaine de pays).
"On introduit par le biais de la loi", estime Sandrine Bélier, "des systèmes de contrôle du Net, amenant à une restriction des libertés individuelles et des libertés publiques, comme l'accès à l'information, la liberté d'expression et la protection des données personnelles." "Ca s'inscrit", ajoute-t-elle, "dans une volonté de filtrage du Net, commune à de nombreux Etats. Au nom de la lutte contre la pédopornographie, on va organiser la censure de ce qu'il y a sur le Net".
La députée européenne réclame une réflexion globale au niveau de l'Union. Le projet de décret du gouvernement Berlusconi contraignant les sites internet à demander une autorisation préalable avant la diffusion de vidéos s'appuie, rappelle-t-elle, sur l'interprétation (discutée) d'une directive communautaire. Sandrine Bélier veut qu'on "définisse les droits des internautes" avant d'établir des restrictions, et "qu'on prévoie des limites aux limites : sinon, avec des décrets, on peut aller loin et durcir les textes initiaux".
Un constat partagé par Christophe Grébert, blogueur connu ( monputeaux.com) et élu Modem des Hauts-de-Seine. Avec des bémols : il juge, à titre personnel, qu'il ne faut pas aborder le texte de façon "manichéenne". Et met en garde contre les tenants d'"une liberté d'expression totale à l'américaine qui s'accompagne d'un contrôle policier des données personnelles plus important qu'en France". Même s'il n'accepte "ni filtrage ni flicage du Net", il lui semble légitime de lutter sur le réseau contre ce qui porte atteinte à nos valeurs fondamentales. Tout en veillant sur la neutralité du Net, cet "espace de liberté qui a à peine quinze ans".
Voir aussi : Le dossier Loppsi sur le site de l'Assemblée nationale (projet de loi, amendements ...) Acta, le traité secret qui doit réformer l'auteur (Le Monde, 25 janvier 2010)
>> Hadopi, Loppsi, les censeurs du Net s'organisent par Sandrine Bélier (Slate)
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